Peyman Azhari photographie l’Allemagne de l’immigration
Le photographe a fui l’Iran pendant la guerre du Golfe et a rejoint l’Allemagne avec sa famille.
Avec l’affluence de migrants que connaît l’Europe depuis quelques années, rien n’est plus important aujourd’hui que d’aider les Européens à comprendre les réfugiés. C’est en tout cas le combat de Peyman Azhari, qui dégaine son appareil photo pour faire progresser la tolérance.
Par Anne Damiani
Evingerstraße, au nord de Dortmund. Entre zone commerciale et zone industrielle, le quartier n’est fait que de garages et de concessions automobiles. Rien ne laisse supposer qu’une exposition photo a lieu ici. Et pourtant, au numéro 22, dans l’Autohaus Rüschkamp, parmi les Opel et les Peugeot flambant neuves, des panneaux décorent les murs blancs. À droite, des photos en noir et blanc magnifient les ouvriers de l’Autohaus tandis qu’à gauche est présentée l’exposition « Heimat 132 » (patrie en français). Ce lieu insolite, Peyman Azhari ne l’a pas choisi par hasard. Après avoir mis en avant la diversité culturelle de ce quartier de Dortmund au travers de ses photos, il lui a paru naturel d’exposer au sein même de la concession, qui offre du travail à beaucoup d’immigrés.
Écho à sa propre histoire
Car la vie d’immigré, le photographe de 31 ans la connaît bien. Même si son style un peu bobo, avec un manteau ajusté et des chaussures brillantes un peu pointues, suggère qu’il a bien réussi dans la vie, il n’en reste pas moins une « Schwarzkopf » (tête noire littéralement en français), avec ses cheveux noirs de jais et une barbe soignée qui encadrent son visage à la peau mate et au doux regard.
En 1988, à l’âge de quatre ans, ses parents, sa jeune sœur, son frère aîné et lui sont contraints de quitter l’Iran, alors en pleine première guerre du Golfe. Au volant d’une petite Fiat, la famille rejoint d’abord la Turquie de nuit, et s’installent un peu plus tard en Allemagne. Originaires de la classe moyenne aisée, les Azhari rencontrent de nombreuses difficultés. Ils doivent faire face non seulement à la douleur d’avoir perdu leur maison, et l’entreprise paternelle, mais aussi au manque de compréhension quant aux raisons de leur fuite. Il reconnaît que : « L’intégration demande beaucoup de travail, autant de la part des gens vivant ici que de ceux qui immigrent. L’État aussi doit s’impliquer, notamment en termes d’infrastructures. »
Encore aujourd’hui, et d’autant plus avec les évènements récents de Cologne, Peyman Azhari est victime de préjugés : « La semaine dernière, alors que je montais les escalators de la gare, j’ai vu une femme me regarder d’un air suspicieux et serrer son sac contre elle, comme si j’allais le lui voler. »
Un projet artistique et politique
C’est en lisant un article de presse, spécifiant que 132 nationalités différentes cohabitaient à Dortmund, que le photographe s’est davantage intéressé à la question de l’immigration. Las de « cette couverture médiatique unilatérale qui le dérangeait », car remplie de stéréotypes, comme la violence, la pauvreté, la prostitution, le chômage et la criminalité, il a décidé de mettre en images « ce qui le passionne », c’est-à-dire « les gens, les familles qui vivent ici ».
D’avril à septembre 2014, il s’est donc attaché à rencontrer un maximum de personnes de nationalité différente en déambulant à vélo dans les rues du quartier. Comme le dit Aïssata Ba, une Sénégalaise dont il a fait le portrait, « il profite de chaque occasion pour prendre une photo. Je lui ai rapidement fait confiance. On voit qu’il aime ce qu’il fait et que cela le rend heureux. »
« Créer ce livre et l’acheter sont des actes politiques. Je ne crois pas en la politique classique, car elle est trop longue et demande trop de compromis. »
Ali-Ekber Çelik, designer parisien et ami du photographe, a énormément collaboré au projet, et notamment au livre, sorti en janvier 2015. Ce Kurde de Turquie, lui aussi réfugié en Suisse allemande, a été touché par la démarche. Il estime a posteriori qu’ « au regard de l’actualité, Peyman a été presque avant-gardiste. Il met beaucoup d’énergie dans ce qu’il fait et se donne de la peine, que ce soit pour les financements ou la communication. » Donnant parfois un avis critique au photographe autodidacte, tel un mentor, il reconnaît tout de même que « parfois, cela n’a pas été facile, car c’est son projet avant tout. »
Mais pour Peyman Azhari, ce projet n’est pas que de l’art, c’est un engagement politique concret. Nebyou Elias, jeune Érythréen de 20 ans arrivé en Allemagne en 2013, l’appelle d’ailleurs « Papa » pour rire : « Il m’a beaucoup aidé, que ce soit pour intégrer l’internat qui donne des cours d’allemand, ou pour mon stage en mécanique à l’Autohaus Rüschkamp. J’ai eu beaucoup d’opportunités grâce à lui. »
Le photographe revendique l’aspect politique de son projet : « Créer ce livre et l’acheter sont des actes politiques. Je ne crois pas en la politique classique, car elle est trop longue et demande trop de compromis. » Il dit comprendre la peur des gens, mais il s’inquiète de la montée des mouvements d’extrême droite en Europe, notamment Pegida en Allemagne, ou le Front National en France. Il vise donc également une dimension didactique : « L’art touche davantage les gens. »
Une goutte dans l’océan
À en croire Matthäus Ochmann, ami et beau-frère de Peyman Azhari, ce projet n’est pas grand chose à côté de ce que le photographe souhaiterait faire : « Depuis notre rencontre, dès le premier jour, il est toujours très occupé. » En privé comme en public, c’est un perfectionniste, toujours très informé, curieux de tout et conscient du monde qui l’entoure. Son beau-frère admet qu’il a une grande influence positive sur son entourage : « Peyman est végétarien, et parfois, je me sens coupable de manger de la viande. » Il cherche toujours à inclure le plus de personnes possible dans les projets qui lui tiennent à cœur : « Par exemple, le pull que je porte est issu du commerce équitable. C’est lui qui m’a convaincu de l’acheter », confie Matthäus Ochmann en montrant son vêtement. Selon lui, c’est sa propre histoire qui a donné envie à son beau-frère de s’engager et de comprendre le monde.
« J’ai vu à la télévision qu’un journaliste demandait à un enfant s’il y avait des migrants dans son école. Le petit a répondu que non, il n’y avait que des enfants. »
Malgré toute cette énergie et cette volonté, le photographe va devoir se mettre en stand-by pendant quelques mois. Et pour cause : mariés depuis deux mois, Aya, la sœur aînée de Matthäus, et Peyman attendent un petit garçon pour avril. Un repos qui n’est pour déplaire à la jeune épouse : « Cela fait deux ans que l’on vit pour ce projet, nous avons aidé des gens. Une petite pause nous fera du bien. » Ce nouveau chantier qu’est la paternité sera d’autant plus imprégné de son engagement qu’Aya aussi a vécu ce statut d’immigrée. Arrivée de Pologne à l’âge de 7 ans, elle a également dû s’adapter à une autre langue et une autre cultur
Petite blonde avec de grands yeux bleus, elle contraste physiquement avec son époux, mais le jeune couple fait tout ensemble et est sur la même longueur d’onde. Tout comme la famille de chacun, qui a parfaitement accepté les différences de l’autre : « Même si ma famille est catholique et que celle de Peyman est musulmane, la question de l’acceptation ne s’est jamais posée, car ils sont tous les deux immigrés. Leur couple est un beau modèle d’intégration et de tolérance, mais ce sont tous les deux des intellectuels. Ce serait encore plus fort si nous venions d’une région plus rurale où les étrangers sont plus rares », confie Matthäus Ochmann.
D’ailleurs, Peyman Azhari a d’ores et déjà un projet pour plus tard, avec son fils : « J’ai vu à la télévision qu’un journaliste demandait à un enfant s’il y avait des migrants dans son école, et le petit a répondu que non, il n’y avait que des enfants, rapporte-t-il, le sourire aux lèvres. Je voudrais donc réaliser des photos en maternelle, car les enfants ne font aucune distinction d’origines, c’est l’humain qui compte avant tout. »
Un nouveau défi attend donc l’Allemand, qui « sera occupé toute sa vie même s’il ne réalise que 10 % de ses idées », assure son beau-frère.
L’histoire de l’immigration en Allemagne
Entre droit du sol, droit du sang et cours d’intégration, la législation allemande concernant l’immigration s’est profondément modifiée suite aux évolutions sociales. Petit récapitulatif.
Selon Destatis, l’Office national de la statistique allemand, en 2013, le pays comptait plus de 80 millions d’habitants, dont 20,5 % étaient issus de l’immigration. Venus pour travailler dans les années 1960, ces individus originaires principalement de Turquie, Pologne, Union Soviétique ou du Sud de l’Europe se sont finalement installés définitivement.
Depuis 1913, l’Allemagne appliquait exclusivement le droit du sang, c’est-à-dire que la filiation seule servait de critère pour définir la nationalité. En l’an 2000, une réforme du code de la nationalité a intégré le droit du sol, (nationalité déterminée d’après le lieu de naissance) dans la législation allemande. Puis en 2005, une loi sur l’immigration, centrée sur l’apprentissage de la langue, a été votée. Son entrée en vigueur en 2007 a été accompagnée d’un Plan national pour l’intégration, transposant ainsi onze directives de l’Union européenne relatives au droit de séjour et au droit d’asile.
Récemment l’arrivée des réfugiés a cependant causé des troubles, puisque des groupes néo-nazis, dont Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, signifiant les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident), ont manifesté à plusieurs reprises fin 2015. Des antinazis ont également manifesté pour défendre le droit d’asile, une tradition allemande de longue date. En effet, comme le soutient Catherine de Wenden, docteur ès science politique et consultante pour des organisations interétatiques, « les Allemands ont cette culture de l’asile ». Elle rappelle que l’Allemagne a accueilli beaucoup de réfugiés après la Seconde Guerre mondiale, notamment des Palestiniens et des Yougoslaves. 400 000 personnes ont bénéficié de cette protection après la chute du Mur de Berlin par exemple. A. D.