Sale temps pour les abeilles

Photo Martin Esposito/EPJT
Confrontée à de nombreux dangers, la population des abeilles diminue de façon inquiétante. Les raisons sont multiples : neuropesticides, acariens, pollution, malnutrition et même dénutrition… Leur importance est pourtant vitale pour la nature et pour notre alimentation. Sans elles, pas de légumes, pas de fruits, plus de miel. Les apiculteurs tirent la sonnette d’alarme.
Par Martin ESPOSITO, Cyrielle JARDIN et Yleanna ROBERT
Son magasin est un véritable sanctuaire dédié aux amateurs d’apiculture : pots de miel de toute sorte, ruches en bois ou en plastique et même un panneau où sont exposées des alvéoles. Un lieu à la hauteur de la passion d’Alain Marchais, apiculteur depuis dix ans. Il possède 200 ruches, dispersées sur plusieurs sites. Il appartient au petit cercle fermé des professionnels. En Europe, ils ne sont que 3 % des apiculteurs à vivre de cette passion (source Apiterra).
En dix ans, il a observé une baisse continue du nombre de ses protégées. « Les jeunes générations seront les dernières à voir des animaux sauvages vivants dans notre société », affirme-t-il. Des propos alarmistes mais non sans fondements. Dans un article du Figaro du 12 mars, Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), évoque la mort de 300 000 colonies d’abeilles chaque année. Soit une mortalité moyenne de 30 % par an, contre 5 % en temps normal.
Des chiffres inquiétants quand on sait que la longévité d’une abeille ouvrière est déjà courte : cinq semaines, hors hiver. Sans les abeilles, pas la peine de penser manger des fruits ou des légumes, « il n’y aurait que des plantes autofertiles comme le riz ou les céréales par exemple ».
« Tous les ans déjà, des milliers de plantes disparaissent, faute de pollinisateurs »
L’utilisation des insecticides qui contiennent des néonicotinoïdes sur les fleurs pollinisées est l’une des premières grandes causes de mortalité. Derrière ce terme barbare, se cachent des neurotoxiques qui vont affecter le système nerveux des abeilles et les tuer de manière progressive : perte de la mémoire, désorientation, paralysie…
Arrivés dans l’agriculture il y a un peu plus de vingt ans, ils sont en partie coupables de la fin de la « belle apiculture », comme la qualifie Alain Marchais avec nostalgie. « Dans les années quatre-vingt-dix, les ruches les moins productives donnaient 50 kilos de miel. Aujourd’hui, même avec un travail acharné, on peine à produire 40 ou 45 kilos », se désole-t-il. L’apiculteur est d’autant plus en colère qu’il était déjà de ceux qui manifestaient contre les neuropesticides au moment de leur introduction en France.
La disparition des abeilles n’est pas due aux seuls produits chimiques. Les changements climatiques et environnementaux ont également leur part car ils ont entraîné des problèmes de dénutrition. « Nos abeilles crèvent de faim huit mois par an en moyenne. Á partir du 10 juillet, il n’y a plus de nourriture. »
Herbivore, l’apis mellifera a besoin de plusieurs litres d’eau non polluée, dite eau propre, et de matières organiques apportées par le miel et le pollen pour se nourrir. « Elles deviennent très agressives pour protéger le peu de nourriture qui leur reste et il est très compliqué de travailler dans ces moments-là », confie l’apiculteur. Un problème majeur pour lui qui n’a pourtant pas peur de se faire piquer. Il est devenu insensible aux dards de ses abeilles et travaille sans gants.
« Jusque dans les années quatre-vingt-dix, nous n’avions rien à faire. Les abeilles disposaient d’assez de nourriture, raconte-t-il. Désormais, nous sommes obligés de les nourrir nous-mêmes si nous voulons qu’elles traversent l’hiver. » Elles souffrent donc de dénutrition mais aussi de malnutrition. Avec la pollution de l’eau et de l’air, les abeilles ingèrent des aliments contaminés qui les rendent malades. Le manque de ressources en eau propre a ainsi un impact non négligeable.
Les abeilles ont également leurs prédateurs. Le moins connu, et pourtant l’un des plus dévastateurs, est l’acarien varroa. Originaire d’Asie du Sud-Est et découvert en France en 1982, ce parasite se nourrit de l’hémolymphe de l’abeille – équivalent du sang – la privant ainsi de nombreuses cellules sanguines et de protéines. Il peut entraîner des malformations pour les larves et les nymphes, ce qui rend l’avenir des abeilles et celui de la colonie plus qu’incertain. Si une ruche n’est pas traitée à temps, toute sa population peut périr en quelques années.
Faire preuve d’optimisme malgré tout
Quelque 28 virus dus à cet insecte ont déjà été répertoriés. Pour éradiquer l’acarien, le gouvernement a d’abord recommandé les produits chimiques. D’autres méthodes existent pourtant. Des substances présentes naturellement dans les ruches, comme l’acide organique, permettent de réguler le nombre de parasites.
Alain Marchais est inquiet pour l’avenir des abeilles. Pour les sauver, pas beaucoup de solutions. « Nous sommes dans un système qui ne fonctionne plus depuis longtemps. » Contre vents et marées, il tente de faire preuve d’optimisme. Il a ainsi ouvert une école, l’Académie des ées. « Ées, c’est le nom des abeilles en patois tourangeau », précise-t-il.
Cet établissement permet de construire un réseau d’apiculteurs, un métier souvent solitaire. Elle permet aussi de sensibiliser les plus jeunes et leur faire prendre conscience de la place que les abeilles dans notre environnement. Pour lui, ce sont aux jeunes générations de trouver d’autres moyens de produire, plus propre, plus saines. « C’est à eux d’innover. Désormais, nous, les apiculteurs de la vieille école, nous ne pouvons que les orienter. »