Presse de programmes
Le lent déclin de la télé qui se litDepuis plusieurs années, l’intégralité des titres de la presse de télévision connaît une chute de leur nombre d’abonnés. Photo Dorian Gallais/EPJT
En tête des ventes des magazines depuis des décennies, les titres de la presse de télévision voient leur audience fondre à mesure que les Français se détournent du poste du salon. Alors pour enrayer cette dynamique, la plupart des rédactions tentent de s’adapter en misant sur la diversification et sur le numérique.
Par Dorian Gallais
Pourtant, à l’heure d’internet, du streaming et de la vidéo à la demande, les magazines de télévision sont toujours parmi les titres les plus vendus en France.
Un succès ininterrompu depuis des décennies qui prend ses origines dans les années cinquante avec la création de Radio Cinéma Télévision qui deviendra Télérama. Suivant le même essor que la télévision, les journaux de programmes s’imposent rapidement comme des poids lourds du secteur de la presse magazine.
Ils connaissent leur période la plus faste entre les années soixante-dix et deux mille. Un titre en particulier occupe une place ultradominatrice sur le marché. « Au début des années quatre-vingt, plus d’un Français sur 5 de plus de 15 ans lit Télé 7 Jours », explique Jamil Dakhlia, sociologue spécialisé dans les médias.
Une position dominante qui perdure depuis puisque Télé 7 Jours est encore, en 2023, l’hebdomadaire (hors supplément) le plus vendu en France selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM). Dans ce classement, on trouve pas moins de six magazines télé dans les dix premières places avec des titres comme Diverto, Télé Z, TV Magazine, TV Grandes Chaînes ou encore Télé Star.
Les premiers grands magazines d’actualité comme M Le Magazine du Monde, Paris Match ou encore Le Point sont relégués respectivement aux 12e, 14e et 18e places.
Dans les années quatre-vingt, en couverture de Télé Loisirs, une des vedettes du moment.
Un succès qui s’explique par une formule imparable : endosser le rôle d’une presse populaire. Mais aux deux sens du terme. D’abord, ils s’adressent à un lectorat moins favorisé. Vendus entre 80 centimes et 1,80 euro, ils font partie des moins chers du secteur de la presse magazine.
Outre ces prix très attrayants, ces publications cherchent également à toucher un très large public : ils proposent une formule qui allie simplicité et recherche du consensus avec des sujets « concernants » et fédérateurs. Un magazine télé, c’est « petit, pratique et toujours suffisant pour s’informer grâce à de vrais journalistes », résume Jean-Jacques Julien, fidèle abonné de Télé Poche depuis 1980.
Bien qu’ils tentent de s’adresser au plus grand nombre, ces magazines se sont rapidement heurtés à une autre réalité, celle d’un marché très concurrentiel qui compte une quinzaine de titres. Alors chacun a cherché à développer des particularités
pour tirer son épingle du jeu et fédérer un lectorat autour de leur marque.
Chez Télé Z par exemple, « on va à l’essentiel, on va direct au but. Il n’y a pas de fioritures autour. On donne le programme télé des chaînes et on a très peu d’éditorial », explique son rédacteur en chef, Jean-François Brosset.
Une ligne éditoriale qui fait recette. « J’aime le côté épuré et pratique de Télé Z. On y trouve vite ce que l’on cherche », confirme Jean-Claude Schaeffer, fidèle du magazine au basset.
Télé Star, de son côté, met l’accent sur l’actualité people. Télé Loisirs fait la part belle aux jeux et Télé Poche mise sur l’information pratique. Dans les pages de ce dernier, on trouve une rubrique « vie quotidienne » avec des articles intitulés « Dans quelle poubelle jeter ces objets ? » par exemple.
Pour alimenter cet imaginaire spécifique, chaque rédaction entretient la proximité avec ses lecteurs. Ainsi, dans la plupart des titres, le courrier des lecteurs constitue une rubrique à part entière. Il se fait le relais des états d’âme des téléspectateurs. TV Grandes Chaînes par exemple, se fait le porte-voix des coups de cœur et des mécontentements de ses abonnés sous la forme d’encadrés titrés : « Ça vous emballe » et « Ça vous agace ».
Des magazines proposent la grille des programmes gratuitement sur leur site internet, ce qui leur permet de s’assurer un certain trafic. Photo : Dorian Gallais/EPJT
Si ces titres restent ultradominateurs sur le marché de la presse magazine, ils ne sont pas pour autant imperméables aux crises que traverse l’écosystème médiatique hexagonal. Ils semblent cependant les surmonter avec une certaine résilience.
En 2022, suite à un désaccord avec le groupe Figaro, éditeur de TV Magazine, principal titre de la presse de télévision, les journaux de la presse quotidienne régionale (PQR) annoncent qu’ils arrêtent sa distribution. L’hebdomadaire, lancé en 1987, s’était rapidement imposé sur le marché grâce à une méthode bien sentie : il était distribué en supplément avec presque tous les titres de presse quotidienne régionale, ce qui lui assurait une diffusion à 3,7 millions d’exemplaires.
Une stratégie logique, pour Jamil Dakhlia, car « les lectorats de la PQR et de la presse magazine de télévision présentent de nombreux points communs ». La mise à l’arrêt de ce mastodonte aurait pu présager d’un grand chambardement dans la presse de télévision. Mais, quelques mois plus tard, les titres de PQR s’alliaient à nouveau pour donner naissance à son remplaçant, le magazine Diverto. Et en un an, ce nouveau venu a logiquement pris la place de leader au classement avec une diffusion hebdomadaire de plus de 3 millions d’exemplaires distribués chaque semaine en 2023.
Concentrations des médias
TV Magazine de son côté, a survécu. Il est désormais distribué uniquement par Le Figaro et Le Parisien. Ce qui lui assure tout de même une diffusion à plus de 500 000 exemplaires chaque semaine.
La presse magazine de télévision n’échappe pas non plus à la concentration des médias et les problématiques qui en découlent. Seuls trois grands groupes possèdent la quasi-totalité des titres. L’éditeur CMI France, propriété de Daniel Kretinsky, a acquis le groupe de presse magazine de Lagardère en 2019. Dans le panel figurait le plus important du secteur : Télé 7 Jours.
En 2019, Reworld Media rachète la filiale française de l’éditeur italien Mandadori qui compte des titres comme Télé Star, Télé Magazine et Télé Poche. Les pratiques déontologiquement discutables et le management erratique du groupe français sont connus. Ils ont été notamment documentés dans une longue enquête d’Arrêt sur Images, en 2019. Le rachat ne se pas fait sans peine. Au sein des différents titres de Mondadori, 60 % des journalistes quittent leur rédaction.
« Nous ne mettons pas forcément en avant les programmes des animateurs vedettes des chaînes du groupe Bolloré car nous savons qu’ils sont clivants. Cela ne marcherait pas auprès de nos lecteurs »
Jean-François Brosset
Le rachat le plus commenté reste tout de même celui du groupe Prisma Média par Vivendi, propriété du milliardaire ultraconservateur Vincent Bolloré, en 2021. Un groupe qui compte des titres comme Télé-Loisirs, Télé 2 Semaines, TV Grandes Chaînes ou encore Télé Z.
Suite à ce changement d’actionnaire, pas moins de 160 journalistes ont démissionné, craignant pour leur liberté éditoriale. « Par exemple, on va mettre plus de Canal+ dans les magazines télé de Prisma Media. On va demander aux journalistes de parler plus de Canal+, de ses émissions », anticipe à l’époque Emmanuel Vire, secrétaire général du syndicat SNJ-CGT et journaliste à Géo, autre titre du groupe.
Jean-François Brosset, qui en plus de la direction de la rédaction de Télé Z, officie comme rédacteur en chef technique dans les autres magazines télé de Prisma Media, assure qu’« en réalité, malgré les craintes que nous avons eues au départ, il y a très peu d’influence sur les magazines télé du groupe. Nous ne mettons pas forcément en avant les programmes des animateurs vedettes des chaînes du groupe Bolloré car nous savons qu’ils sont clivants. Cela ne marcherait pas auprès de nos lecteurs ».
Malgré ces rachats mouvementés et marqués par de nombreux départs, les magazines télé sont parvenus à se maintenir à flots.
Les spectateurs se détourne de la diffusion en direct
Mais d’autres maux les guettent et, cette fois-ci, ils pourraient avoir plus de mal à se tirer d’affaires.
En effet, depuis plusieurs années, les audiences de la télévision sont fluctuantes. Certaines années peuvent connaître des pics grâce à des évènements sportifs, comme la Coupe du monde de football, les JO, ou des actualités marquantes, comme les attentats ou la pandémie de Covid-19. Mais la tendance est plutôt à la baisse, surtout depuis 2020. En dix ans, le temps passé par les Français devant leur téléviseur a diminué de près de quarante minutes, selon la société de mesure d’audience Médiamétrie.
La faute à ce qu’on l’on appelle « la délinéarisation ». Face à la multiplication des contenus et des supports (streaming, replay, vidéo à la demande), les spectateurs se détournent de la diffusion en direct proposée par la télévision linéaire.
En 2023, les Français ont regardé des vidéos pendant 4 heures et 37 minutes en moyenne chaque jour.Ce temps était consacré à 67 % à la télévision traditionnelle, soit 3 heures et 6 minutes. Le reste va aux plateformes, aux services de streaming et de replay qui continuent, année après année, à gagner du terrain sur le « poste de salon ». Toujours selon Médiamétrie, la vidéo à la demande a été consommée par 6,5 millions de personnes en moyenne chaque jour en 2023.
Les audiences de la télévision étaient largement remontées en 2020 à la faveur de la pandémie de Covid-19. Cependant, elles ont connu une chute sans précédent les années suivantes en raison de la montée en puissance de nouveaux supports.
Sources Médiamétrie. Réalisation : Dorian Gallais/EPJT
Cette dynamique, les magazines l’ont bien comprise et la plupart tente de s’adapter.
Diverto, par exemple, propose dans ses pages une large sélection de programmes disponibles en streaming et en replay, adossée à la grille télé de la semaine. L’hebdomadaire n’hésite pas non plus à consacrer sa une à des séries Netflix comme « Anthracite » la semaine précédent sa sortie sur la plateforme le 10 avril.
« Diverto est un magazine qui va au-delà de la télévision. C’est le meilleur de la télé, le meilleur des plateformes, de la musique et du cinéma. C’est un grand magazine de cultures populaires », résume son directeur, Thierry Masclot, au micro de France Info le 9 avril 2024.
En plus de cette volonté d’élargir leur couverture éditoriale aux nouveaux usages, la plupart des titres entendent miser sur le numérique en développant leurs contenus sur le web.
Miser sur l’expertise télé
Mais leurs efforts de diversification pourraient être vains. Le lectorat de la presse magazine reste âgé et peine à se renouveler. Il suffit de feuilleter les pages de publicité pour le comprendre. Semelles pour « éliminer les douleurs articulaires » dans Télé Poche, complémentaire santé pour senior dans TV Grandes Chaînes et même pompes funèbres dans Télé-Loisirs et Télé 7 Jours.
Selon les derniers chiffres de l’ACPM, au premier semestre 2024, en moyenne 70 % des lecteurs des dix principaux magazines télé ont plus de 50 ans. « Ceux qui restent accrochés à la presse télé traditionnelle, ce sont les anciens lecteurs qui ont du mal à se reporter sur le net pour avoir accès à l’information », observe Jamil Dakhlia.
Les magazines de télévision ne sont pas les seuls touchés par la baisse des ventes. Depuis plusieurs années, le marché de la presse papier connaît un fort repli. Sources ACPM. Réalisation : Dorian Gallais/EPJT
Pourtant, la presse de programmes peut revendiquer certains succès sur le numérique. Télé-Loisirs est de loin le premier site du secteur avec plus de 133 millions de visites en avril 2024. Il est même le cinquième site grand public le plus visité en France.
D’autres titres ont abandonné l’idée d’aller chercher de nouveaux lecteurs grâce au numérique. Télé Z a même fermé son site internet en 2021, lors de son rachat par Vivendi. En cause, un trafic très faible. A contrario, Prisma privilégie sa marque amirale, Télé-Loisirs, qui affiche d’excellents chiffres sur le digital. « Aller chercher des lecteurs plus jeunes, ça serait aller chercher un lectorat qui n’existe pas. L’idée c’est plutôt de consolider notre base de lecteurs », justifie Jean-François Brosset.
En effet, pour les titres qui en proposent, les abonnements numériques peinent à décoller. Un constat inquiétant d’autant que les abonnements papier et les ventes au numéro baissent depuis plusieurs années. « Il y a vraiment un virage qui s’est opéré dans la consommation de la télé qui fait que la presse de programmes n’a plus tellement de raison d’être d’autant que les autres titres de presse ne se privent pas de parler de télé, estime Jamil Dakhlia. Là où elle peut tirer son épingle du jeu, c’est en se recentrant sur les phénomènes nouveaux en y apportant sa valeur ajoutée : l’expertise télé. Le risque c’est de perdre les anciens et ne pas forcément gagner de nouveaux. Mais c’est un pari. » De quoi se demander si l’on n’assiste pas au début de la fin de ces magazines à la longévité exceptionnelle.
Jérémy Parayre, rédacteur en chef de Télé 7 Jours ne veut pas céder au fatalisme : « Je suis à Télé 7 Jours depuis quatorze ans et depuis que je suis arrivé j’entends “dans cinq ans c’est fini” mais, au bout du compte, nous sommes toujours là. »