Capture d’écran
Le Têtu de l’été 2015 a été le dernier acte d’une longue aventure de la presse LGBT. Retour sur l’épopée du magazine homo le plus connu des hétéros.
Par Nicolas Baranowski
Le premier numéro d’un magazine emblématique.
C’était sans doute le magazine LGBT le plus connu. En vingt ans d’existence, il aura su accompagner les avancées sociétales et cristalliser les critiques à l’encontre de tout un segment de la presse. Une histoire qui débute en juillet 1995. Les deux journalistes et cofondateurs de la branche parisienne de l’association Act-Up, Didier Lestrade et Pascal Loubet, décident de créer un nouveau magazine pour la Gay Pride. Le Gai Pied a disparu en 1992. Il n’y a plus de magazine homosexuel de référence. Têtu, « le magazine des gays et des lesbiennes » selon son slogan, veut prendre le relais. Le premier numéro, titré « Sortez », se veut un véritable manifeste à la veille d’un défilé dans une France ou le Pacs n’existe pas encore.
Cependant l’histoire n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. Au bout de trois numéros, le magazine s’arrête. « La ligne éditoriale n’intéressait personne. Il y avait trop de masculin pour le lectorat féminin et inversement », se souvient Xavier Héraud, aujourd’hui rédacteur en chef de Yagg. « Ils ont repris quelques mois plus tard avec une formule un peu plus masculine. » Le quatrième numéro sort en juin 1996. C’est le début d’une odyssée de vingt ans qui s’est stoppée net il y a un peu moins d’un an. Le 23 juillet 2015, Têtu est placé en liquidation judiciaire. Une disparition annoncée.
Le mensuel faisait en effet souvent état de ses difficultés financières. Chaque année, il perdait des millions d’euros. Un déficit vertigineux dû à une absence de modèle économique précis. Comme le rappelle Sylvain Zimermmann, à l’époque rédacteur en chef adjoint du magazine, « notre modèle historique était celui du mécénat ». En effet, lors de sa fondation, le magazine n’a pas réellement eu à se soucier du budget. Il a reçu immédiatement le soutien de l’homme d’affaire Pierre Bergé et de sa fondation Yves Saint-Laurent. Propriétaire et mécène du magazine, il a épongé régulièrement les dettes monumentales.
Racheté pour 1 euro
Jusqu’à n’en plus pouvoir. Dès 2011, la presse économique indique que Pierre Bergé souhaite se séparer du titre qui vient de perdre 2 millions d’euros, avant de se rétracter pour investir dans une nouvelle formule. Mais en octobre 2012, La Correspondance de la presse indique qu’il cherche à nouveau un acheteur. Selon le directeur de la rédaction de l’époque, Hugues Charbonneau, qui répondait à Yagg, « il est conscient qu’il a 82 ans et qu’il est actionnaire unique, donc il souhaite trouver un repreneur ».
On peut cependant penser que les finances du titre ont joué leur rôle. Même si la distribution du magazine continue d’augmenter, les comptes sont toujours dans le rouge. Avec 1,5 million d’euros de pertes. Pierre Bergé finit par vendre le titre le 17 janvier 2013 à Jean Jacques Augier, un proche de François Hollande et trésorier de sa campagne présidentielle. Son prix : 1 euro symbolique, pour un magazine historique dont les comptes ont été renflouées par son (désormais ancien) mécène pour pouvoir survivre encore deux ans.
Ce soutien de Pierre Bergé aura permis à Têtu d’obtenir un succès inattendu. Dès ses premiers numéros, il devient le premier magazine LGBT à attirer les annonceurs généralistes, provoquant une petite révolution. L’ouverture des droits homosexuels avec le Pacs lui permet aussi d’acquérir une notoriété incomparable. Les vedettes viennent faire leur coming out dans ses colonnes. Depuis les élections de 2002, les principaux candidats à l’élection présidentielle lui accordent une interview. Homos comme hétéros, tout le monde finit par connaître le magazine.
Le dernier numéro papier. Depuis, Têtu a réapparu sur le Web.
Une célébrité trop importante pour qu’il disparaisse facilement. Le 29 décembre 2015 au soir, le site est relancé. La startup iDyls a racheté la marque. C’est elle qui avait développé l’application de rencontre So Têtu.
Dans un communiqué, les nouveaux patrons disent vouloir en faire « un média collaboratif » associé à « une plateforme de services gays et gay-friendly ». Une annonce qui attire déjà des critiques. Les attentes sont grandes, le poids sur les épaules de la nouvelle équipe risque d’être difficile à gérer.