Certains anciens soldats font des diaporamas de leurs années dans l’armée, ensuite visionnés par leurs familles. Photo : Mélina Rivère/EPJT
Les Première et Seconde guerres mondiales ont laissé derrière elles de nombreuses archives, mais ces générations de combattants disparaissent. C’est au tour des anciens d’Algérie de vouloir conserver leurs paroles et leurs souvenirs. Parce qu’eux sont toujours en vie. Des initiatives sont mises en place pour faire parler le passé.
Par Victor FIEVRE et Mélina RIVIERE
En partenariat avec le site d’archives Europeana, des milliers de lettres datant de la Première Guerre mondiale ont été numérisées. Elles sont les vestiges des conflits passés. Une initiative similaire, nommée La Grande Collecte, a été mise en place à plusieurs reprises ces dernières années pour permettre à quiconque d’envoyer lettres, photos. Nombreuses sont les personnes qui conservent des lettres de leurs parents ou grands-parents sans penser que cela pourrait être intéressant de les partager. Pourtant, ces documents sont autant de traces des conflits passés et leur numérisation garantit une vie aux témoignages des anciens combattants et la diffusion de leur parole. Ce sont des marqueurs importants de notre patrimoine historique.
« On essaye également de faire témoigner les vivants le plus possible », poursuit Anne Degrieck. Son organisme met en place des cérémonies commémoratives ou des interventions dans les classes pour sensibiliser les enfants. « Des concours scolaires sont organisés sur la Grande Guerre, comme Les Petits Artistes de la mémoire qui s’adresse au CM1-CM2. Ceux-ci doivent choisir un ancien combattant de 14-18 et essayer de raconter son parcours, en utilisant les lettres ou les carnets de poilus trouvés aux archives départementales. » Ces dernières rassemblent de nombreuses missives envoyées depuis le front aux familles.
Depuis quelques années, en plus d’aborder les deux guerres mondiales, l’ONAC-VG s’intéresse également à la guerre d’Algérie. Ce conflit est plus facilement abordable aujourd’hui. D’abord en raison de l’âge de ses participants mais pas uniquement. Tramor Quemeneur, spécialiste du sujet, remarque « une progression dans la mémoire de cette guerre depuis les années deux mille, plus encore depuis le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie en 2012 ».
Des anciens ont décidé de laisser une trace de leur expérience. Edouard Vieillefon est de ceux-là. Il a combattu pendant cette guerre d’indépendance durant sept ans. Il a écrit un livre sur son parcours avec la volonté de laisser « un récit authentique ». Il ne supportait plus d’entendre des choses qui lui paraissaient fausses.
Aujourd’hui, ces anciens combattants sont âgés. « Chaque année nous sommes de moins en moins », explique Pierre Mercier, membre d’une association regroupant son bataillon. Comme de nombreux autres, son témoignage a été enregistré dans le cadre d’une campagne de témoignage organisée par le service historique du ministère de la Défense.
Longtemps la guerre d’Algérie a été peu abordée par ses acteurs. A son retour, Gilles Champin a connu l’indifférence : « Nous avons été exposés à des atrocités mais on ne nous posait pas de questions. » Il est membre de l’association des Ancien appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG) qui reverse les pensions militaires à des associations algériennes, dans un souci « de réparation ». Il raconte désormais son histoire dans les écoles. Un film de témoignages réalisé par l’association est également diffusé lors de conférences suivies d’échanges avec le public.
« Si on ne récoltait pas les témoignages maintenant, beaucoup de paroles s’éteindraient à jamais », explique Alban Teurlai, co-réalisateur en 2012 du documentaire Les Troufions. Celui-ci donne la parole à des appelés du contingent en Algérie. Les gens qui ont témoigné devant sa caméra, tous âgés de 70 à 80 ans, n’avaient quasiment jamais parlé de ce qu’ils avaient vécu, ce qui apporte au film un caractère touchant et intimiste.
Gilles Champin estime également que parler « libère la conscience », mais permet aussi de ne pas oublier. La démarche de mémoire est donc personnelle, mais également collective. De nombreuses personnes revenues du conflit en ont conservés un véritable traumatisme. Il semblerait que pour certains, il soit plus facile de parler à des inconnus qu’à leurs familles qui ignorent parfois totalement ce qui s’est passé entre 1952 et 1964. Presque tous les anciens combattants rencontrés évoquent un dialogue plus facile avec les petits-enfants qu’avec les enfants.
« La guerre d’Algérie est très peu étudiée à l’école », explique aussi Tramor Quemeneur. Il estime que les élèves passent environ une demi-heure sur le sujet au collège, un peu plus au lycée et encore, « tout dépend de la volonté des professeurs ».
Les cours sur le conflit amènent inévitablement les élèves à se questionner sur le passé de leurs grands-parents. Ces derniers peuvent ainsi raconter ce qui, pour certains, les hantent depuis plus de soixante ans. Ils apportent alors du vécu à l’histoire, ce qui la rend plus intelligible.
Jean-Louis Cerceau, ancien d’Algérie l’assure : « Nous ne sommes pas là pour enseigner la guerre d’Algérie, simplement pour répondre aux questions et transmettre notre vécu. » –