Dis-moi ce que tu manges…

« Il est possible de bien manger, et à un prix correct, lorsque l’on cuisine nos plats. » Photo : L. Colmant

… je te dirai qui tu es. Tout le monde sait que la malbouffe a des conséquences sur la santé. Mais c’est quoi la malbouffe ? Si on en croit l’Anses, la définition varierait selon la classe sociale.

Par Perrine BASSET et Lorène BIENVENU

Trop de sel et pas assez de fibres, tel est la première conclusion que l’ont retire à la lecture de l’enquête Inca 3 sur les habitudes alimentaire, réalisée en 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). Malgré les campagnes d’information et de prévention, les politiques volontaristes menées par certaines collectivités locales et la diversité des offres de consommation, le constat est sans appel : les déséquilibres alimentaires s’aggravent. Et ils s’aggravent d’autant plus que les disparités sociales augmentent.

L’étude des 6 000 Français du panel entre 2014 et 2015 montre que chaque classe sociale possède ses propres habitudes alimentaires. Par ricochet, les conséquences diffèrent aussi. Ainsi, dans les milieux modestes, le budget disponible favorise une alimentation trop riche en graisse et en sucre : « D’où les risques accrus de diabète, d’obésité ou d’hypertension. Cette consommation excessive entraîne également une baisse du moral et un système immunitaire plus faible », explique Daphné Serrano, nutritionniste du centre NaturHouse.

De même, la composition des repas ne serait pas assez variée. Cette monotonie sollicite les mêmes outils digestifs, qui finissent par s’user. Vanessa Gilbert, diététicienne à Tours, relativise : avoir une routine alimentaire n’est pas forcément synonyme de danger : « En Asie, on consomme du riz tous les jours, sans qu’il n’y ait de conséquences dramatiques. »

L’étude précédente, Inca 2, réalisée en 2006-2007, montrait déjà que la part de personnes concernées par l’[simple_tooltip content=’une personne en situation d’insécurité alimentaire ne peut pas répondre à ses besoins nutritionnels’]insécurité alimentaire[/simple_tooltip], parmi les ménages à faible revenu, était trois fois plus importante que chez les personnes aisées.  . Elles n’ont donc pas accès à une qualité et à une quantité suffisantes d’aliments. Or, les dernières études montrent que cette insécurité alimentaires tend à s’accroître. Dans Inca 2, elle ne concernait que 0,9 % des ménages adultes. Le pourcentage est passé à 3,2 % des ménages adultes dans Inca 3.

Les classes défavorisées ne sont pourtant pas les seules touchées par l’insécurité alimentaire car l’argent disponible n’explique pas tout.

En ce qui concerne les classes supérieures, les conséquences de leurs habitudes alimentaires sont moindres, mais elles existent. Leurs consommations ne sont en effet pas toujours les plus saines. Elles se nourrissent plus fréquemment de produits crus et elles dépassent généralement les dates de péremption. C’est une bonne nouvelle pour la lutte contre le gaspillage, mais cela reste un risque non-négligeable pour la santé.

Le rythme des repas est souvent perturbé, notamment chez les cadres et les professions intermédiaires. Leur travail les contraint à rater le déjeuner. Cela détériore leurs conditions physique et mentale, provoquant fatigue ou manque de concentration. Sur le long terme, les conséquences sont amplifiées : prise de poids, troubles digestifs voire problèmes cardiaques.

La prise de compléments alimentaires perturbe aussi leur santé. Sans le suivi d’un médecin, ils sont souvent inadaptés. « Comme ils sont composés essentiellement de plantes, on a tendance à penser qu’ils ne sont pas nocifs pour la santé. À tort ! » explique Vanessa Gilbert.

« Il est facile de modifier nos habitudes alimentaires, avec un peu de volonté. Il est possible de bien manger, et à un prix correct, lorsque l’on cuisine nos plats », insiste Vanessa Gilbert. Or toute classe sociale confondue, on note un accroissement de la consommation de plats tout préparés.

Le conseil de la diététicienne : acheter chez les producteurs locaux ou aller au marché. Des organismes, comme l’Association tourangelle pour une alimentation biologique locale équitable (Atable), mettent en place des guides afin de répertorier tous les producteurs locaux et les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) du secteur. Elles proposent un système de panier de légumes bio et local.

Reste à convaincre les plus modestes « Nous avons créé une Amap dans un quartier populaire d’Angers, mais nous n’avons pas réussi à conquérir le public », reconnaît Natacha Monier, membre de l’association ATable. Le problème du bio, c’est qu’il ne touche pas toute la population. Si la plupart des habitants de ces quartiers consomment des plats industriels, une partie prend aussi du plaisir à cuisiner. Parfois, la cuisine est même au centre des traditions, comme pour la communauté maghrébine.

Pourquoi les Amap n’ont-elles pas réussi à conquérir cette clientèle ? Pour Vanessa Gilbert, il s’agit d’un problème de mixité sociale. Les associations n’ont pas forcément les bonnes méthodes : « La clé est le partage. On peut organiser des ateliers cuisine par exemple. Ainsi, les Amap feraient découvrir de nouveaux légumes aux catégories populaires. Celles-ci pourraient en échange leur apprendre d’autres recettes. »

C’est aussi ce que pense Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de l’alimentation à l’Université de Tours : « Il faut développer l’éducation alimentaire dès la restauration scolaire, mais aussi sur les lieux de travail. » Les cantines de Chambray-lès-Tours ont mis cette démarche d’apprentissage en place, en cuisinant des produits bio et locaux dès janvier dernier. L’objectif est de sensibiliser les élèves à une alimentation plus saine. Émilie Leduc, directrice de la communication de la commune, pointe l’importance de ces activités pédagogiques : « En leur donnant la parole, leur rapport à l’alimentation change. Après, ils auront un échange différent au sein de leurs familles sur la question de l’alimentation. » Ne reste qu’à convaincre les parents.

Quoi qu’il en soit, l’été et ses fruits et légumes sont là. Pendant les vacances, on a plus de temps pour faire les courses. Pourquoi ne pas en profiter pour aller au marché et y repérer les producteurs locaux. Leurs produits sont cueillis à point et sont souvent moins chers que ceux vendus en grande surface. Et puis, on a plus de temps pour cuisiner. C’est la meilleure période pour prendre de bonnes habitudes alimentaires et lutter contre la malbouffe.