Les radios chrétiennes cherchent leur voie
Légende
Une étude du CSA commandée par la Fédération française des radios chrétiennes en février 2015 a montré qu’un tiers des chrétiens qui fréquentent leur église au moins une fois par mois ne connaissent pas les radios chrétiennes. Un comble pour des antennes qui se disent chrétiennes avant tout. Symptôme d’une ligne éditoriale qui oscille entre la satisfaction de son cœur de cible et la séduction d’un public plus large.
Par Iris Chartreau
Sur ces radios, la religion est omniprésente. Mais selon un sondage CSA de février 2015, commandé par la Fédération française des radios chrétiennes (FFRC), 31 % des chrétiens qui pratiquent au moins une fois par mois ne les connaissent pas. Une anomalie ? Pas pour Sophie Deschamps, journaliste à RCF Loiret depuis une vingtaine d’années : « Cela ne me surprend pas parce que ce n’est pas pour eux que nous travaillons. » Pourtant, RCF, avec ses 60 locales, est le plus grand réseau de radios chrétiennes françaises. Les émissions religieuses y représentent 30 % du temps d’antenne. Mais le réseau accorde aussi 30 % de temps à la musique, 25 % aux émissions culturelles et 15 % à l’information.
Durant les matinales des radios chrétiennes, chaque demi-heure ou chaque heure est ponctuée de flashs et de journaux d’information locale, nationale et internationale. Qu’il s’agisse de RCF, de Radio Notre Dame ou de Radio Présence, pour ne prendre que les plus importantes, si elles se définissent avant tout comme chrétiennes, la dimension généraliste y est souvent revendiquée.
À l’occasion des trente ans de Radio Présence, en mai 2012, son directeur, Laurent Dominici, a réaffirmé « une ligne éditoriale faisant une large place à tout ce qui fait la vie des hommes ». L’ensemble des thématiques – politique, économie, culture et société – doivent y être abordées à travers un prisme chrétien. Cette ligne éditoriale s’applique dans tous les programmes, y compris l’information. L’exemple à suivre, c’ est le journal de Radio Vatican, rendez-vous incontournable des radios du réseau Communauté francophone de radios chrétiennes (Cofrac) et de celui de RCF. Toutes diffusent au moins deux des trois journaux internationaux quotidiens de la rédaction française de Radio Vatican.
« Quand j’écoute Aphatie le matin sur RTL, j’ai envie de lui dire de se taire »
Stéphane Da Laage
Manuella Affejee est journaliste à la radio vaticane depuis quatre ans. Elle revendique cette ouverture à tous les sujets. Elle juge même que c’est la force éditoriale de sa radio : « Nous sommes les premiers à parler de sujets dont personne ne parle. Le problème de l’immigration en Méditerranée par exemple. » Le journal bénéficie d’une armada d’interlocuteurs et de correspondants disséminés dans le monde entier. On en compte une soixantaine rien que pour la rédaction française. Car qui dit Radio Vatican, dit État du Saint-Siège et un réseau inégalé de missionnaires et de diplomates. « C’est mieux que RFI. Ils sont partout. À tout moment on peut avoir une analyse pointue sur la situation économique en Azerbaïdjan par exemple. C’est exceptionnel », s’enthousiasme Stéphane De Laage, directeur de RCF Loiret.
Cette volonté d’analyse qui est au centre des lignes éditoriales chrétiennes. séduit les auditeurs comme Marylène Mouak, catholique pratiquante et auditrice quotidienne de RCF Loiret : « Ils essaient de trouver le pourquoi sans pour autant utiliser des bouc-émissaires. Nous aussi nous devons avoir un comportement plus humain, plus compatissant. On devrait avoir des programmes comme ça, qui font réfléchir, sur toutes les stations. »
Des radios qui donnent le temps d’analyser et de bien faire son travail. C’est une opinion que partagent bien des journalistes salariés. Léo Potier travaille à Radio Notre Dame depuis le début de l’année. Passé par RCF comme bénévole puis comme journaliste, c’est un familier des radios chrétiennes. Il résume ainsi l’information sur ces antennes : dignité, véracité, patience. « Je me suis toujours fait plaisir. On prend le temps. C’est une caractéristique que l’on ne retrouve pas ailleurs. Tu ne peux pas interroger en trente secondes une femme qui s’est fait violer. Ça fait partie de la dignité de l’interlocuteur. »
Gérard Chandès, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Limoges, analyse dans Stations de radio confessionnelles, la stratégie de lenteur des stations chrétiennes. À l’opposé des logiques actuelles des grandes radios généralistes, toujours plus rythmées par des coupures, des brèves et des jingles sonores qui visent à capter l’auditoire, elles font le choix des séquences longues, des interviews et des monologues peu segmentés. « Quand j’écoute Aphatie le matin sur RTL, j’ai envie de lui dire de se taire. Je veux entendre ce que dit l’invité, s’agace Stéphane De Laage. RCF est une radio qui applique les préceptes chrétiens : bienveillance, écoute et main tendue. »
« On est un peu des bisounours ici. On n’est pas dans la polémique. Sans doute les gens nous écoutent-ils pour ça »
Blandine Jannin
Car cette façon de tenir l’antenne est intrinsèquement liée à leur identité chrétienne. Il suffit pour s’en convaincre de lire leurs slogans : « la joie se partage » pour RCF ; « un message positif chaque jour dans le nord Franche-Comté » pour radio Omega ; « la vie prend un sens » pour Radio Notre Dame ; ou encore « la radio qui rapproche les hommes » pour radio Grand Ciel. Dans sa charte RCF veut « donner envie de comprendre et d’aimer le monde, partager la joie de vivre et de croire ». Écouter la radio doit donc donner envie de croire en Dieu. L’information doit donner espoir. Difficile à concevoir lorsqu’il s’agit d’actualité. Les radios chrétiennes valorisent ouvertement les informations positives. « Quand il y a une bonne nouvelle à mettre en avant, on est content. On se met à la place de l’auditeur. C’est toujours mieux pour commencer la journée. À l’inverse, on fait très peu de faits divers et on ne le fait que quand il y a quelque chose à dire de plus que le fait brut », explique Sophie Deschamps. C’est cette ligne éditoriale qui l’a convaincue par entrer à RCF.
Stéphane De Laage ajoute qu’il n’y a pas « le personnel nécessaire et de toute façon, il y en a d’autres qui font ça très bien. C’est facile et ça ne sert pas l’intérêt général. On n’est pas des béni-oui-oui pour autant. L’info est ce qu’elle est. On essaie simplement d’avoir un prisme intelligent ». Est-ce qu’avoir une vision de l’information positive biaise l’information ? La journaliste Blandine Jannin, pourtant formée en alternance à RCF, tempère les propos de son directeur : « On est un peu des bisounours ici. On n’est pas dans la polémique. Sans doute les gens nous écoutent-ils pour ça. » « Ça », c’est la vision positive et chrétienne du monde qui vise à « rapprocher les hommes ».
Les journalistes accordent donc une large place aux associations et aux initiatives locales. L’Église y tient évidemment une place exemplaire. Les journalistes de RCF Loiret interviewent l’évêque chaque semaine. « On passe en revue l’actualité nationale, locale, internationale et l’actualité de l’Église », confirme Sophie Deschamps. Dans les journaux, un sujet catholique est prévu sur les quinze reportages de la semaine. « Ce n’est pas énorme » pour Blandine Jannin. Mais cela suffit à démontrer l’importance de l’Église dans la vie locale.
L’ingérence de l’Eglise
Même constat à Radio Notre Dame. « La démarche militante telle qu’elle est conçue dans cette radio consiste à montrer que la religion est inscrite partout. Ils dépensent beaucoup d’énergie à essayer de le démontrer », analyse Léo Potier. Pour lui, le traitement religieux d’un fait n’est pas systématiquement nécessaire. « Sur les nouvelles technologies par exemple, ils ne sont pas crédibles du tout. » C’est après une période de chômage qu’il a obtenu un CDD à Radio Notre Dame. Une opportunité qui ne se refuse pas, même pour un non-croyant. Léo Potier savait où il mettait les pieds quand il a accepté ce poste : « Si je choisis d’aller dans un média, soit je suis en accord avec, soit j’avale mon chapeau le temps de faire autre chose. Respecter le magistère de l’Église c’est un prérequis. Je connais la limite entre l’information et la communication. Malheureusement, on m’en demande. »
Même s’il préfère parler d’ajustement éditorial, il lui est arrivé de s’autocensurer dans son émission « Rencontre », une quotidienne de douze minutes, lorsqu’il a proposé d’inviter un professeur de médecine qui régénère les cœurs à partir de cellules souches. Le sujet dérangeait. Le directeur de la radio lui a demandé d’appeler le président, Michel Aupetit, docteur en médecine, pour lui demander son avis. Le hic c’est que Michel Aupetit, plus couramment appelé Monseigneur, est aussi l’évêque de Nanterre. Léo Potier n’a pas appelé : « J’ai dit non. Je n’allais pas lui demander de valider mon sujet. »
« Le conseil d’administration commence par la prière. Invoquer l’Esprit saint c’est bien, mais si on n’a pas les sous, ça ne sert à rien »
Bernard Bouret, bénévole à RCF Loiret
Ce n’est pas un cas exceptionnel. Les radios chrétiennes sont directement ou indirectement financées par l’Église. Il n’est ainsi pas rare de voir des évêques à la présidence ou des prêtres et des diacres dans les émissions. Un tiers du budget de RCF Loiret provient du fonds de soutien à
l’expression radiophonique, un autre tiers de dons et le dernier tiers est versé directement par le diocèse. Cela justifie la présence du chargé de communication de l’évêque au conseil d’administration et ses rendez-vous réguliers avec le directeur.
Une ingérence facilitée par la proximité des stations locales avec l’évêché, fréquemment hébergés dans les mêmes locaux. « Le conseil d’administration commence par la prière. Invoquer l’Esprit saint c’est bien, mais si on n’a pas les sous ça ne sert à rien », s’énerve Bernard Bouret, bénévole à RCF Loiret depuis dix ans. Son investissement dans la radio – il anime deux émissions phares de l’antenne, « Jazz avec Babou » et « Paroles de maire » – l’a porté au conseil d’administration. Il constate avec dépit un renforcement de l’orientation ecclésiale de la radio, malgré une baisse de plusieurs dizaines de milliers d’euros de l’investissement du diocèse cette année : « RCF se dit généraliste mais elle a pris un virage très ecclésial avec un choix éditorial fort : porter la voix de l’évangile. Pour sauver la mise on a des émissions littéraires et musicales. »
Dans ces conditions, il paraît difficile de traiter librement des sujets qui fâchent l’Église. L’avortement, le Sida et l’homosexualité sont des sujets à éviter. Le poids de l’Église se ressent plus ou moins consciemment chez les journalistes. Mais le plus souvent ce sont les donateurs qui sont les gardiens de l’orthodoxie. Juliette Lécureuil, stagiaire quelques semaines au sein de la locale de RCF Touraine, a été frappée par le poids des auditeurs : « Certains appellent deux à trois fois par jour et exigent telle ou telle chose. » Ce que confirme Blandine Jannin, la journaliste de la locale orléanaise : « Les donateurs pensent que verser de l’argent leur donne des droits. Ils se plaignent parce qu’une musique est blasphématoire par exemple. On essaye d’avancer mais il y a toujours des gens rétrogrades. »
Bernard Bouret rabâche le même discours depuis des années au conseil d’administration, quitte à se mettre à dos les catholiques les plus conservateurs : « Le fondement chrétien c’est le partage, l’ouverture au monde. Bâtissons une radio qui soit véritablement porteuse de ces valeurs, mais pour tout le monde. » Cela ne passe pas par des émissions consacrées à la religion. « S’ils veulent écouter la messe, les psaumes et la prière, je veux bien. Mais les gens qui tombent sur la fréquence à ce moment là, mettent cinq secondes pour tourner le bouton. » Quand la locale a supprimé la messe retransmise depuis la chapelle en bas des studios, le téléphone a sonné. Le directeur a tenu. Lui aussi espère une radio davantage tournée vers les « chercheurs de sens ». Il aimerait aller beaucoup plus loin. « Je sortirais l’enseignement de l’évangile et le notre père de la matinale pour faire une vraie matinale d’information de 7 à 9 heures. »
Plus facile à dire qu’à faire. Le directeur concède avoir renoncé, pour le moment, au changement tant la pression des donateurs est forte. En attendant un soutien déclaré, Bernard Bouret continue à brandir La Croix comme modèle d’une information chrétienne de qualité. Un quotidien généraliste chrétien qui a su réunir les chrétiens et séduire de nouveaux adeptes.