Les radios chrétiennes cherchent leur voie

Iris Chartreau

Les radios chrétiennes cherchent leur voie

Les radios chrétiennes cherchent leur voie

Iris Chartreau
6 octobre 2015

Une étude du CSA commandée par la Fédération française des radios chrétiennes  en février 2015 a montré qu’un tiers des chrétiens qui fréquentent leur église au moins une fois par mois ne connaissent pas les radios chrétiennes. Un comble pour des antennes qui se disent chrétiennes avant tout. Symptôme d’une ligne éditoriale qui oscille entre la satisfaction de son cœur de cible et la séduction d’un public plus large.

« Aujourd’hui, 14 mai, nous fêtons saint Mathias. Saint Luc rapporte comment se fit son élection au collège apostolique… » Il est 6 h 03 sur Radio Présence et la matinale commence. À l’heure où les chroniques politiques et économiques se succèdent sur les antennes généralistes, les radios chrétiennes, comme RCF (Radio chrétienne francophone), Radio Notre Dame et Radio Présence, diffusent une chronique sur le saint du jour. Suivent la prière du matin, l’évangile du jour, l’actualité de l’Église et d’autres chroniques religieuses destinées à bien commencer la journée.

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Sur ces radios, la religion est omniprésente. Mais selon un sondage CSA de février 2015, commandé par la Fédération française des radios chrétiennes (FFRC), 31 % des chrétiens qui pratiquent au moins une fois par mois ne les connaissent pas. Une anomalie ? Pas pour Sophie Deschamps, journaliste à RCF Loiret depuis une vingtaine d’années : « Cela ne me surprend pas parce que ce n’est pas pour eux que nous travaillons. » Pourtant, RCF, avec ses 60 locales, est le plus grand réseau de radios chrétiennes françaises. Les émissions religieuses y représentent 30 % du temps d’antenne. Mais le réseau accorde aussi 30 % de temps à la musique, 25 % aux émissions culturelles et 15 % à l’information.

Durant les matinales des radios chrétiennes, chaque demi-heure ou chaque heure est ponctuée de flashs et de journaux d’information locale, nationale et internationale. Qu’il s’agisse de RCF, de Radio Notre Dame ou de Radio Présence, pour ne prendre que les plus importantes, si elles se définissent avant tout comme chrétiennes, la dimension généraliste y est souvent revendiquée.

À l’occasion des trente ans de Radio Présence, en mai 2012, son directeur, Laurent Dominici, a réaffirmé « une ligne éditoriale faisant une large place à tout ce qui fait la vie des hommes ». L’ensemble des thématiques – politique, économie, culture et société – doivent y être abordées à travers un prisme chrétien. Cette ligne éditoriale s’applique dans tous les programmes, y compris l’information. L’exemple à suivre, c’ est le journal de Radio Vatican, rendez-vous incontournable des radios du réseau Communauté francophone de radios chrétiennes (Cofrac) et de celui de RCF. Toutes diffusent au moins deux des trois journaux internationaux quotidiens de la rédaction française de Radio Vatican.

Quand j’écoute Aphatie le matin sur RTL, j’ai envie de lui dire de se taire

Stéphane Da Laage

Manuella Affejee est journaliste à la radio vaticane depuis quatre ans. Elle revendique cette ouverture à tous les sujets. Elle juge même que c’est la force éditoriale de sa radio : « Nous sommes les premiers à parler de sujets dont personne ne parle. Le problème de l’immigration en Méditerranée par exemple. » Le journal bénéficie d’une armada d’interlocuteurs et de correspondants disséminés dans le monde entier. On en compte une soixantaine rien que pour la rédaction française. Car qui dit Radio Vatican, dit État du Saint-Siège et un réseau inégalé de missionnaires et de diplomates. « C’est mieux que RFI. Ils sont partout. À tout moment on peut avoir une analyse pointue sur la situation économique en Azerbaïdjan par exemple. C’est exceptionnel », s’enthousiasme Stéphane De Laage, directeur de RCF Loiret.

Cette volonté d’analyse qui est au centre des lignes éditoriales chrétiennes. séduit les auditeurs comme Marylène Mouak, catholique pratiquante et auditrice quotidienne de RCF Loiret : « Ils essaient de trouver le pourquoi sans pour autant utiliser des bouc-émissaires. Nous aussi nous devons avoir un comportement plus humain, plus compatissant. On devrait avoir des programmes comme ça, qui font réfléchir, sur toutes les stations. »

Des radios qui donnent le temps d’analyser et de bien faire son travail. C’est une opinion que partagent bien des journalistes salariés. Léo Potier travaille à Radio Notre Dame depuis le début de l’année. Passé par RCF comme bénévole puis comme journaliste, c’est un familier des radios chrétiennes. Il résume ainsi l’information sur ces antennes : dignité, véracité, patience. « Je me suis toujours fait plaisir. On prend le temps. C’est une caractéristique que l’on ne retrouve pas ailleurs. Tu ne peux pas interroger en trente secondes une femme qui s’est fait violer. Ça fait partie de la dignité de l’interlocuteur. »

Gérard Chandès, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Limoges, analyse dans Stations de radio confessionnelles, la stratégie de lenteur des stations chrétiennes. À l’opposé des logiques actuelles des grandes radios généralistes, toujours plus rythmées par des coupures, des brèves et des jingles sonores qui visent à capter l’auditoire, elles font le choix des séquences longues, des interviews et des monologues peu segmentés. « Quand j’écoute Aphatie le matin sur RTL, j’ai envie de lui dire de se taire. Je veux entendre ce que dit l’invité, s’agace Stéphane De Laage. RCF est une radio qui applique les préceptes chrétiens : bienveillance, écoute et main tendue. »

Écouter la radio doit donner envie de croire en Dieu. L’information doit donner espoir

Car cette façon de tenir l’antenne est intrinsèquement liée à leur identité chrétienne. Il suffit pour s’en convaincre de lire leurs slogans : « la joie se partage » pour RCF ; « un message positif chaque jour dans le nord Franche-Comté » pour radio Omega ; « la vie prend un sens » pour Radio Notre Dame ; ou encore « la radio qui rapproche les hommes » pour radio Grand Ciel. Dans sa charte RCF veut « donner envie de comprendre et d’aimer le monde, partager la joie de vivre et de croire ». Écouter la radio doit donc donner envie de croire en Dieu. L’information doit donner espoir. Difficile à concevoir lorsqu’il s’agit d’actualité. Les radios chrétiennes valorisent ouvertement les informations positives. « Quand il y a une bonne nouvelle à mettre en avant, on est content. On se met à la place de l’auditeur. C’est toujours mieux pour commencer la journée. À l’inverse, on fait très peu de faits divers et on ne le fait que quand il y a quelque chose à dire de plus que le fait brut », explique Sophie Deschamps. C’est cette ligne éditoriale qui l’a convaincue par entrer à RCF.

Stéphane De Laage ajoute qu’il n’y a pas « le personnel nécessaire et de toute façon, il y en a d’autres qui font ça très bien. C’est facile et ça ne sert pas l’intérêt général. On n’est pas des béni-oui-oui pour autant. L’info est ce qu’elle est. On essaie simplement d’avoir un prisme intelligent ». Est-ce qu’avoir une vision de l’information positive biaise l’information ? La journaliste Blandine Jannin, pourtant formée en alternance à RCF, tempère les propos de son directeur : « On est un peu des bisounours ici. On n’est pas dans la polémique. Sans doute les gens nous écoutent-ils pour ça. » « Ça », c’est la vision positive et chrétienne du monde qui vise à « rapprocher les hommes ».

Les journalistes accordent donc une large place aux associations et aux initiatives locales. L’Église y tient évidemment une place exemplaire. Les journalistes de RCF Loiret interviewent l’évêque chaque semaine. « On passe en revue l’actualité nationale, locale, internationale et l’actualité de l’Église », confirme Sophie Deschamps. Dans les journaux, un sujet catholique est prévu sur les quinze reportages de la semaine. « Ce n’est pas énorme » pour Blandine Jannin. Mais cela suffit à démontrer l’importance de l’Église dans la vie locale.

L’ingérence de l’Eglise

Même constat à Radio Notre Dame. « La démarche militante telle qu’elle est conçue dans cette radio consiste à montrer que la religion est inscrite partout. Ils dépensent beaucoup d’énergie à essayer de le démontrer », analyse Léo Potier. Pour lui, le traitement religieux d’un fait n’est pas systématiquement nécessaire. « Sur les nouvelles technologies par exemple, ils ne sont pas crédibles du tout. » C’est après une période de chômage qu’il a obtenu un CDD à Radio Notre Dame. Une opportunité qui ne se refuse pas, même pour un non-croyant. Léo Potier savait où il mettait les pieds quand il a accepté ce poste : « Si je choisis d’aller dans un média, soit je suis en accord avec, soit j’avale mon chapeau le temps de faire autre chose. Respecter le magistère de l’Église c’est un prérequis. Je connais la limite entre l’information et la communication. Malheureusement, on m’en demande. »

Même s’il préfère parler d’ajustement éditorial, il lui est arrivé de s’autocensurer dans son émission « Rencontre », une quotidienne de douze minutes, lorsqu’il a proposé d’inviter un professeur de médecine qui régénère les cœurs à partir de cellules souches. Le sujet dérangeait. Le directeur de la radio lui a demandé d’appeler le président, Michel Aupetit, docteur en médecine, pour lui demander son avis. Le hic c’est que Michel Aupetit, plus couramment appelé Monseigneur, est aussi l’évêque de Nanterre. Léo Potier n’a pas appelé : « J’ai dit non. Je n’allais pas lui demander de valider mon sujet. »

Le conseil d’administration commence par la prière. Invoquer l’Esprit saint c’est bien, mais si on n’a pas les sous, ça ne sert à rien

Bernard Bouret, bénévole à RCF Loiret

Ce n’est pas un cas exceptionnel. Les radios chrétiennes sont directement ou indirectement financées par l’Église. Il n’est ainsi pas rare de voir des évêques à la présidence ou des prêtres et des diacres dans les émissions. Un tiers du budget de RCF Loiret provient du fonds de soutien à
l’expression radiophonique, un autre tiers de dons et le dernier tiers est versé directement par le diocèse. Cela justifie la présence du chargé de communication de l’évêque au conseil d’administration et ses rendez-vous réguliers avec le directeur.

Une ingérence facilitée par la proximité des stations locales avec l’évêché, fréquemment hébergés dans les mêmes locaux. « Le conseil d’administration commence par la prière. Invoquer l’Esprit saint c’est bien, mais si on n’a pas les sous ça ne sert à rien », s’énerve Bernard Bouret, bénévole à RCF Loiret depuis dix ans. Son investissement dans la radio – il anime deux émissions phares de l’antenne, « Jazz avec Babou » et « Paroles de maire » – l’a porté au conseil d’administration. Il constate avec dépit un renforcement de l’orientation ecclésiale de la radio, malgré une baisse de plusieurs dizaines de milliers d’euros de l’investissement du diocèse cette année : « RCF se dit généraliste mais elle a pris un virage très ecclésial avec un choix éditorial fort : porter la voix de l’évangile. Pour sauver la mise on a des émissions littéraires et musicales. »

Dans les locaux de RCF Loiret, la petite équipe s’active pour préparer le journal. Bernard Bouret,
lui, interview le trompettiste Ronald Baker dans son émission « Jazz avec Babou ». Il fête cette année ses dix ans de bénévolat dans cette radio. Photos DR

Dans ces conditions, il paraît difficile de traiter librement des sujets qui fâchent l’Église. L’avortement, le Sida et l’homosexualité sont des sujets à éviter. Le poids de l’Église se ressent plus ou moins consciemment chez les journalistes. Mais le plus souvent ce sont les donateurs qui sont les gardiens de l’orthodoxie. Juliette Lécureuil, stagiaire quelques semaines au sein de la locale de RCF Touraine, a été frappée par le poids des auditeurs : « Certains appellent deux à trois fois par jour et exigent telle ou telle chose. » Ce que confirme Blandine Jannin, la journaliste de la locale orléanaise : « Les donateurs pensent que verser de l’argent leur donne des droits. Ils se plaignent parce qu’une musique est blasphématoire par exemple. On essaye d’avancer mais il y a toujours des gens rétrogrades. »

Bernard Bouret rabâche le même discours depuis des années au conseil d’administration, quitte à se mettre à dos les catholiques les plus conservateurs : « Le fondement chrétien c’est le partage, l’ouverture au monde. Bâtissons une radio qui soit véritablement porteuse de ces valeurs, mais pour tout le monde. » Cela ne passe pas par des émissions consacrées à la religion. « S’ils veulent écouter la messe, les psaumes et la prière, je veux bien. Mais les gens qui tombent sur la fréquence à ce moment là, mettent cinq secondes pour tourner le bouton. » Quand la locale a supprimé la messe retransmise depuis la chapelle en bas des studios, le téléphone a sonné. Le directeur a tenu. Lui aussi espère une radio davantage tournée vers les « chercheurs de sens ». Il aimerait aller beaucoup plus loin. « Je sortirais l’enseignement de l’évangile et le notre père de la matinale pour faire une vraie matinale d’information de 7 à 9 heures. »

Plus facile à dire qu’à faire. Le directeur concède avoir renoncé, pour le moment, au changement tant la pression des donateurs est forte. En attendant un soutien déclaré, Bernard Bouret continue à brandir La Croix comme modèle d’une information chrétienne de qualité. Un quotidien généraliste chrétien qui a su réunir les chrétiens et séduire de nouveaux adeptes.

Le coup de com’ de La manif pour tous

url« Nous avons été très engagés sur la loi Taubira. Nous avons prêté notre antenne aux manifestants. La radio était pleine tous les matins », explique le rédacteur en chef de Radio Notre Dame, Louis Daufresne, qui se vante d’avoir lancé médiatiquement Frigide Barjot. Comme au cours de cette émission du 6 janvier 2013, disponible sur internet et dédiée à la manifestation de la semaine suivante contre le projet de loi légalisant l’adoption et le mariage homosexuel. Le journaliste Alexandre Meyer commence son émission en annonçant les trois lieux de rendez-vous pour les manifestants. « Combien seront-ils, pourquoi et comment les rejoindre ? La réponse dans La voix est libre. » Libre peut-être, orientée sûrement. Le premier invité est Lionel Lumbroso « juif, athée, de gauche », tel que s’empresse de le présenter le journaliste, porte parole du collectif de la manif pour tous. Le deuxième invité n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, un contre-manifestant favorable à la loi, mais Aldéric Dumont, membre de ce même collectif, chargé de la logistique. Pendant cinquante minutes, les invités, aidés par Alexandre Meyer et les appels d’auditeurs, passent en revue les initiatives du collectif et les arguments contre la loi. Louis Daufresne justifie ce choix éditorial : « Quand se présente ce genre d’événement c’est très bon pour nous. On doit démontrer notre utilité auprès des donateurs. Ils n’auraient pas compris qu’on ne prenne pas position. » Le rédacteur en chef qui revendique par ailleurs « une capacité d’indépendance », qui affirme ne pas hésiter à critiquer son propre camp ou qu’il « appartient à une éthique du questionnement » oublie vite ses considérations déontologiques.

« Les radios chrétiennes sont plus culturelles que véritablement religieuses »

Photo Laurence de Terline

Etienne Damome est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication
à l’université de Bordeaux-Montaigne. Membre du Groupe de recherches et d’études sur la radio (Grer), il est l’auteur de Radios et religions en Afrique subsaharienne. Catholique d’origine africaine, il analyse le positionnement des radios chrétiennes françaises.

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La Fédération française des radios chrétiennes compte 82 radios membres. Celles-ci sont amenées à être concurrentes. Qu’est-ce qui les différencient ?
Elles sont organisées en réseaux. Le réseau Cofrac et celui de RCF. Le premier s’articule surtout autour de Radio Notre Dame. Mais il s’élargit à des radios étrangères, vers ce que j’appelle la communauté monde. Au nom d’un partage de la même philosophie, il forme un réseau d’échange de programme et d’expertise. Sur 82 radios membres de cette communauté, on en trouve une dizaine en Afrique et au Liban. RCF veut davantage rester un réseau local qui s’implique au niveau de la proximité, avec des décrochages de l’antenne nationale. Ce n’est pas la même stratégie. De ce fait, ces deux réseaux sont plus partenaires que concurrentes.

Quelle différence faites-vous entre RCF et Radio Notre Dame ?

Je n’en fais pas. RCF, pour moi, est une radio pastorale. Elle n’a pas pour objectif d’évangéliser, c’est-à-dire d’aider au recrutement des fidèles. Il n’y a pas dans ces programmes de prêches destinés à des personnes qui ne sont pas chrétiennes. Elle a pour mission de gérer la communauté, d’entretenir la foi, de la faire vivre. Le réseau Cofrac c’est à peu près la même chose. La dimension internationale n’en fait pas une radio évangéliste. Ce sont souvent des radios à cheval entre un certain amateurisme et une volonté de professionnalisation.

Est-ce que c’est une caractéristique qui provient uniquement de leur modèle économique associatif ou est-ce aussi une conséquence de leur identité chrétienne ?

Les radios chrétiennes partagent les mêmes caractéristiques. Ce sont partout des radios associatives même si elles sont promues par des institutions ecclésiales. C’est pour cette raison qu’elles font appel au bénévolat de laïques mais également au sein du clergé. C’est au nom de ce bénévolat que s’est développé l’amateurisme. Selon les cas, le nombre de journalistes est limité à une ou deux personnes à qui l’on confie la tâche d’exercer des fonctions spécifiquement journalistiques. Notamment lorsque ces radios ambitionnent de proposer un journal d’actualités. Malgré tout, les dizaines de bénévoles qui interviennent ne sont pas assez formés parce qu’on exploitera chez eux d’autres qualités que celles du journaliste professionnel. En même temps, s’il n’y avait pas toute cette masse de travail bénévole, ces stations cesseraient de fonctionner.

En Afrique, les radios font le tour du diocèse et font cotiser les chrétiens. Donc tout le monde sait que la radio de l’église existe. On n’hésite pas à passer faire un coucou ou à donner un peu de son temps pour l’entretien des bâtiments

Comment expliquer que 31 % des catholiques, ceux qui pratiquent au moins une fois par mois, ne connaissent pas l’existence des radios chrétiennes ?

Cela s’explique par le fait que les radios chrétiennes sont plus culturelles que véritablement religieuses. Les auditeurs ne perçoivent pas une vraie différence en passant d’une
radio à une autre. Elles sont imprégnées par la laïcité française et diluent leur message. Les chrétiens ne pensent pas spontanément qu’il puisse exister un média catholique pouvant les informer. Et puis, les radios religieuses n’ont pas beaucoup de liens avec les paroisses, avec la communauté religieuse en tant que telle. On entend peu parler de RCF Bordeaux dans les paroisses bordelaises. Et pourtant, ces radios ont une fonction essentielle d’approfondissement de la foi. Le problème c’est qu’elles se préoccupent plus de leur audience que de leur auditoire. C’est-à-dire du nombre de personnes qui les écoutent plutôt que du public désigné.
Si ceux qui sont censés les écouter ne sont même pas au courant de leur existence, comment se justifient-elles ? En Afrique, les radios font le tour du diocèse lors des célébrations dominicales et font cotiser les chrétiens pour les soutenir. Donc tout le monde sait que la radio de l’église existe. On n’hésite pas à passer faire un coucou à la maison de la radio ou à donner un peu de son temps pour l’entretien des bâtiments. En France, elles sont trop coupées de leur cœur de cible.

La cohérence suppose que le journaliste d’un média chrétien partage au minimum les valeurs de l’institution pour laquelle il travaille

Faut-il être catholique pour travailler dans une radio chrétienne ?

Comme ce sont des médias comme les autres, on pourrait s’attendre à ce que les journalistes puissent y travailler comme ailleurs. Mais la logique de la communication religieuse veut qu’il faille être chrétien au minimum, sinon être schizophrène. Je vous donne un exemple. Lors de la campagne pour le référendum de la nouvelle constitution de 2010, au Kenya, l’église catholique était contre cette nouvelle constitution et les journalistes pour. A l’antenne, ils relayaient l’appel des évêques à voter contre, alors même qu’ils défendaient le contraire en privé. Cet exemple n’est pas d’ordre spirituel, mais il montre combien le journaliste d’un média religieux est un canal. L’émetteur est ailleurs, c’est Dieu ou l’institution qui dirige le média au sein duquel il exerce. Il doit donc être fidèle au message reçu. Pour être authentique, et le journaliste se doit de l’être, je pense qu’il faut être cohérent et cette cohérence suppose que le journaliste d’un média chrétien partage au minimum les valeurs de l’institution pour laquelle il travaille. Cette exigence est normale dans les radios pastorales censées accompagner les fidèles dans leur foi et leur pratique. Et plus encore dans les radios missionnaires qui affichent la volonté de recruter de nouveaux fidèles.

Radio Notre Dame, la différence

La radio parisienne chrétienne dispose d’une notoriété et de moyens supérieurs aux autres. Mais avec l’arrivée du numérique, Radio Notre Dame redoute la concurrence. La direction souhaite donc développer sa marque. Un objectif annoncé par le directeur au cours d’une réunion réunissant bénévoles et salariés.

« Descendez, il y a de la place en bas  », lance le directeur. Les journalistes arrivent au compte-goutte embouteillant l’escalier qui mène à la salle de réunion. Le calendrier affiche mardi 5 mai 2015, jour d’une réunion exceptionnelle de tout le personnel à Radio Notre Dame. Un atrium d’une vingtaine de mètres carrés accueille une douzaine de chaises. Un luxe pour une radio associative installée dans le 14e arrondissement parisien. Des locaux refaits à neuf en 2012, financés par un appel aux dons qui avait recueilli 220 000 euros. Les chaises où s’assoient les journalistes ont probablement bénéficié de la bénédiction effectuée par le cardinal André Vingt-Trois à l’ouverture de la radio. Sur un écran s’affiche un power point. Une trentaine de personnes se sont installées face à lui. Mais les 33 salariés de la radio ne sont pas tous là.

Les premières places sont occupées par les bénévoles. Principalement des femmes, septuagénaires au brushing blond ou brun impeccable, collier de perles au cou, bagues en or aux doigts. Une dizaine de journalistes à la tenue passe-partout sont assis derrière ou se tiennent debout sur les passerelles qui surplombent la salle. Bruno Courtois, directeur de la radio, en impose par sa prestance. Le quinquagénaire aux cheveux poivre et sel incarne à merveille le dandy parisien. Tout y est : la mèche en forme de vague, le teint hâlé, le costume parfaitement taillé, le premier bouton de chemise ouvert pour laisser apparaître une poitrine velue. « La caricature du XVIe arrondissement » résume son rédacteur en chef, Louis Daufresne.

Créer une marque référence

Le directeur commence un exposé qui doit redéfinir les objectifs de la radio pour la prochaine grille de rentrée. Il débute par un constat : la baisse de la pratique religieuse et par l’absence de culture religieuse. Une donnée qui fragilise l’économie de la radio quand on sait que son budget de 3,5 millions d’euros est essentiellement financé par des dons. Mais plus encore que la déchristianisation, c’est la concurrence des autres radios que redoute le plus la direction. « Aujourd’hui, avec l’arrivée du numérique, la logique de territoire disparaît. La radio va s’étendre.  » Effectivement, 15 % des auditeurs écoutent déjà Radio Notre Dame sur Internet. Le directeur regarde chacune des personnes présentes dans la salle et fait quelques pas. « Cinquante-huit pour cent des Parisiens connaissent Radio Notre Dame. Aucune autre radio chrétienne ne bénéficie de cette renommée. Mais il faut aller encore plus loin. »

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Le modèle de Radio Notre Dame, c'est Radio Vatican, qui reçoit ici Benoît XVI alors pape en exercice.

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En moyenne, 40 % des Français connaissent une radio chrétienne. L’ancrage parisien de Radio Notre Dame est donc incontestable. Le directeur a capté son territoire qui attend maintenant l’annonce de la nouveauté qui va redéfinir l’orientation de la radio. « L’objectif est de développer une marque synonyme de contenu éditorial comme Radio Vatican  », révèle le directeur. Après avoir passé en revue les options écartées, il en arrive à celle choisie : créer un label qui produise des programmes prêts à être diffusés. Radio Notre Dame met déjà à disposition ses programmes des autres radios de son réseau, la Communauté francophone de radios chrétiennes (Cofrac). Par exemple Radio Présence, basé à Toulouse, retransmet « Le débat du soir ». Mais les émissions sont encore trop peu réutilisées.

L’enjeu est donc de produire des programmes compatibles avec ceux des autres radios chrétiennes. « Il est impératif de sentir qu’il y a une culture de groupe, ecclésiale et chrétienne », poursuit le directeur qui suit des yeux les flèches dessinées sur le power point. « Il nous faut être une marque porteuse de sens donc plus ambitieuse, plus accessible, plus identitaire et plus identifiable. »

Une rédaction rajeunie. Alexandre Meyer (photo 1, 2e en partant de la droite) présente deux émissions, « La Voix est libre » et « Le débat du soir ». Leo Potier (photo 2) a, lui, été engagé en CDD en janvier 2015. Photos : Laurence de Terline

Séduire par la différence

Un jeune homme d’une trentaine d’année à la barbe épaisse, assis sur les marches de l’escalier, interroge le directeur : « Comment être à la fois plus identitaire et plus compréhensible ? Cela me paraît contradictoire. » Chuchotements dans la salle. Bruno Courtois reprend la parole : « Ce n’est pas plus identitaire, c’est avoir une tonalité plus identifiable en fait. L’auditeur qui écoute la matinale de Louis Daufresne doit savoir qu’il est sur Radio Notre Dame, peu importe où il se trouve.  » Il se lance alors dans de longues explications pour préciser cet objectif. En bref, Radio Notre Dame ne cherche pas à séduire les personnes qui ne sont pas croyantes mais celles qui sont à la recherche d’un contenu différent de ce qui se fait ailleurs. Quelqu’un intervient du haut de la passerelle. Cheveux dégarnis, lunettes et foulard autour du cou, il s’agit de Christophe Mory, animateur d’une émission sur l’actualité théâtrale. « Je pense que ce que Bruno a voulu dire c’est d’aller davantage vers l’autre en étant accueillant et forcément agréable, chaleureux et souriant. » Le directeur sourit et remercie le journaliste.

Une autre voix s’élève du fond de la salle. Philippe Delaroche, visage rond et cheveux mi-courts, tient une émission littéraire deux fois par semaine. « Des amis non-croyants m’ont parlé de la radio en me disant avoir été surpris par le ton. Pourquoi ? Parce qu’ils s’attendaient à entendre des gens acariâtres, tristes, moroses », raconte t-il. Les bénévoles et les journalistes ont conscience de véhiculer une image ennuyeuse. Mais, pour le directeur, ce n’est pas qu’un cliché. « Dès la rentrée il y aura des formations pour travailler les voix, pour être encore plus chaleureux. Nous devons fuir l’entre-soi. » D’après ses derniers sondages, la radio a déjà réussi le pari de rajeunir son public. Mais encore 33 % des auditeurs ont plus de 65 ans. Audience en miroir des bénévoles qui se lèvent péniblement de leur chaise pour aller saluer le directeur.

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