Vasectomie

Une contraception confidentielle

Dessin : Léa Le Marec

Vingt ans que la vasectomie est désormais légale en France, mais sans avoir jamais rencontré le succès. Les Français manquent d’informations sur cette intervention qui leur permettrait pourtant de réellement s’investir dans la contraception. Testez vos connaissances et découvrez notre enquête sur le sujet.

Par Azélys Marin, Manuela Thonnel, Romain Leloutre
Illustration : Léa Le Marec

t si les hommes s’investissaient davantage dans la contraception ? C’est en tout cas le choix qu’a fait Christophe. À l’approche de la quarantaine, sans enfant, il opte pour une stérilisation définitive, la vasectomie. Pour lui, le déclic est venu grâce à sa femme, Delphine, qui a souffert de multiples complications à cause de contraceptifs féminins.

D’après le Baromètre de la santé en 2016, plus de sept femmes sur dix ont recours à la pilule. Pour autant, celle-ci est de plus en plus dure à avaler. Accidents vasculaires cérébraux ou encore risques de cancers sont venus s’ajouter à la charge mentale et financière déjà importante qu’elles supportent. Il existe pourtant des solutions pour mieux répartir les responsabilités contraceptives.

Certains hommes ont donc franchi le cap et on fait le choix de la vasectomie. Ils sont une infime minorité, seulement 0,8 % des Français, mais ils existent. Christophe compte parmi eux. Stérilisé en 2019, il est aussi administrateur d’un groupe Facebook sur la contraception masculine.

Christophe, 40 ans et sans enfant, s’est fait vasectomiser en 2019.

La contraception masculine n’est jamais apparue comme une évidence. Comme dans beaucoup de couples, la responsabilité a d’abord pesé sur les épaules de Delphine qui souhaitait se faire ligaturer les trompes. Mais lorsqu’elle a abordé le sujet avec sa gynécologue, cette option a été balayée d’un revers de main : « On lui a d’abord ri au nez, raconte Christophe. On lui a dit : vous êtes trop jeune, vous n’avez pas d’enfant donc ce ne sera pas possible. »

Christophe se met alors à chercher des solutions. Il glane des informations, regarde des vidéos sur Youtube, puis propose à sa femme de franchir le cap de la vasectomie. Une proposition qui surprend Delphine : « Faire ce choix, en tant qu’homme, cela m’a étonnée bien que ce soit très courageux de sa part. » Une foule d’interrogations traverse alors son esprit. Des inquiétudes aussi.

La vasectomie est en réalité une opération simple et rapide. Elle consiste à sectionner les canaux déférents qui acheminent les spermatozoïdes. Peu invasive, elle ne dure qu’une vingtaine de minutes. Contrairement aux idées reçues, ce n’est ni une castration ni une ablation des testicules. Ces dernières n’ont rien à craindre, elles restent bien en place.

L’opération n’a par ailleurs aucun impact sur l’activité hormonale et sexuelle. Une reconstruction est même possible. Les chances de réussite ne sont pas garanties mais elles tendent à s’améliorer considérablement.

« Les aléas de la vie étant ce qu’ils sont, 10 % des patients vasectomisés demandent une réimperméabilisation chirurgicale dans les années qui suivent. Il vaut donc mieux être sûr de soi », prévient le Dr Louis Sibert, chirurgien urologue au CHU de Rouen. Ce n’est pas un choix à prendre à la légère.

Pour Christophe ça ne fait aucun doute, il veut se débarrasser, au moins temporairement, de ses spermatozoïdes. Reste à savoir où est-ce qu’il pourra se faire opérer, car si l’intervention est simple, son accès l’est beaucoup moins.

Il prend un premier rendez-vous chez un urologue à Niort. Le médecin lui confirme qu’il pratique bien la vasectomie mais son discours fait froid dans le dos : « Il m’a expliqué que l’opération était toujours considérée comme une mutilation car il était question de rendre un organe fonctionnel, non fonctionnel. »

L’urologue ne respecte ni la décision de Christophe ni le délai de réflexion de quatre mois, seule obligation légale pour cette intervention. Il exige en plus un dépôt de sperme dans un [simple_tooltip content=’Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humain’]Cecos[/simple_tooltip], une lettre d’approbation de sa compagne et une seconde attestant de la juste compréhension des enjeux de l’opération. Ne manque plus que la signature des parents !

Christophe n’en revient toujours pas : « Le médecin était sordide. Il m’a parlé d’un père de famille qui s’était fait stériliser et qui l’avait regretté après avoir perdu sa famille dans un accident de voiture. Puis toutes ces exigences… Le seul truc rendu obligatoire par la loi, il ne le fait pas. En revanche, ce qu’il me réclame, c’est clairement illégal. C’était sûr, ça ne pouvait pas se faire avec lui. »

Christophe part en direction d’un second rendez-vous. Cette fois-ci au CHU de Poitiers, dans une structure publique. Mais là encore, l’urologue a ses exigences. En l’occurrence, c’est l’anesthésie générale qu’il impose. Le refus de Christophe est catégorique.

Il fait donc une dernière tentative à La Rochelle, dans une clinique privée où il espère que payer le prix fort lui permettra de bénéficier de la prise en charge médicale adéquate. Le médecin qu’il rencontre est effectivement très professionnel, voire méticuleux. Le choix de Christophe s’arrêtera sur cette clinique. Il est en confiance. À Poitiers, « le médecin ne m’a même pas ausculté. Le rendez-vous m’a semblé bâclé. À La Rochelle, il y a eu une première visite pour regarder s’il n’y avait pas de problème physique ni de contre-indication. Et l’anesthésie locale était possible. »

Pour une démarche légalement accessible à tous les hommes majeurs, trouver un professionnel de santé conciliant est, en réalité, un véritable chemin de croix.

La France n’est pas un cas isolé. En Europe, la vasectomie divise. En Italie, seulement 0,1 % des hommes ont eu recours à la vasectomie. La pratique est tellement marginale qu’une partie de la population pense encore qu’elle est illégale. Dans ce pays, berceau de la culture latine, la vasectomie reste perçue comme une atteinte à la virilité. Mais ce n’est pas le cas partout en Europe.

De l’autre côté de la Manche, ce sont 21 % des hommes qui se sont fait stériliser. Cette technique est tellement intégrée au système de soins qu’elle est appréhendée comme un moyen de contraception à part entière et ce depuis les années soixante. « Les médecins généralistes ont été encouragés financièrement à effectuer cet acte technique, plus simple et moins onéreux que la ligature des trompes », écrit Cécile Ventola, autrice d’une thèse sur le sujet.

Elle souligne cependant le net déclin, ces dernières années, de la pratique. Ce serait dû à la pressurisation du système de remboursement. Un phénomène qui a conduit certaines cliniques à ne plus proposer cette intervention par peur de ne pas être remboursées. Résultat ? Un nombre d’opérations en chute libre, moins 64 % en dix ans.

Le plat pays détient quant à lui le deuxième plus haut taux de vasectomie en Europe. Fort de ses 8,4 % d’hommes belges stérilisés, la vasectomie se dédiabolise même dans les médias. Matthieu Peltier, chroniqueur pour la RTBF, expose ouvertement son choix sur les ondes : « Pourquoi la contraception serait un truc de femme ? Parce que c’est elle qui se tape la grossesse ? Bah, en plus, si elle doit s’enfiler des pilules aux hormones ou enfiler je ne sais quel attirail entre ses jambes, ça commence à faire beaucoup. »

Une sensibilisation à la cause qu’il fait passer avec humour. « Dans la file d’attente, on faisait les malins. Mais quand on voyait les gars sortir, on regardait quand même comment il marchait. […] Je finirai par un message à mes collègues masculins : tous au cutter. » Un état d’esprit qui n’a pas encore conquis l’Hexagone. Les Français seraient-ils réticents au changement ?

Le faible taux de vasectomies en France est la conséquence d’une « tradition nataliste qui a marqué le pays durant des décennies », éclaircit Cécile Ventola dans sa thèse. Cinquante ans de contraception légale en France : diffusion, médicalisation, féminisation. Historiquement, c’est surtout une condamnation de la stérilisation qui a freiné le développement de la contraception.

« On peut se poser la question de la réelle motivation des pouvoirs publics pour développer la vasectomie »

Dr Éric Huyghe

Censurée par la la loi du 31 juillet 1920, la stérilisation à visée contraceptive est pendant longtemps associée à une « violence entraînant une mutilation ou une infirmité permanente ». Il faudra attendre près de quatre-vingts ans et la loi du 4 juillet 2001 pour voir la tendance s’inverser. La stérilisation devient alors légale, elle peut être pratiquée sur une personne majeure exprimant une volonté libre, motivée et délibérée.

Malgré ces avancées majeures, le carcan législatif se fait toujours quelque peu sentir. En effet, la vasectomie ne peut être pratiquée qu’après un délai de réflexion de quatre mois. Une échéance qui laisse perplexe : « Avec ce délai, la loi n’est pas très incitative. On peut se poser la question de la réelle motivation des pouvoirs publics pour développer la vasectomie », s’interroge le Dr Éric Huyghe. À cela s’ajoute une clause de conscience qui autorise le médecin à refuser la réalisation d’un acte médical contraire à sa morale personnelle.

En attendant le détricotage normatif, les hommes peuvent toujours se tourner vers d’autres contraceptifs. Le panel des méthodes s’est peu à peu élargi bien qu’il laisse encore à désirer au niveau de l’efficacité. Il est donc urgent de démocratiser le recours à la vasectomie car elle est, à ce jour, la méthode de contraception masculine la plus efficace. Un avis que certains professionnels de santé partagent.

Pour le Dr Eric Huyghe, urologue et responsable du Comité d’andrologie et de médecine sexuelle 2020, « l’avenir est du côté de la vasectomie. Un jour, il sera du côté de la contraception masculine non définitive ».

Un avenir radieux qui tarde justement à irradier. Notamment car la vasectomie se heurte à un problème d’information médicale et de conseils des médecins généralistes. Ces derniers sont souvent le premier maillon de la chaîne d’information pour les patients. Or la formation continue, en matière de contraception, fait parfois défaut.

Selon l’enquête Fecond de l’Inserm et de l’Ined, publiée en 2010, un médecin a deux à cinq fois plus de chance de prescrire une contraception que lui, ou sa partenaire, a déjà expérimentée. Et la majorité de ceux qui recommande la pilule n’ont effectivement suivi aucune formation sur la contraception depuis au moins trois ans. Ils ne connaissent pas non plus les préconisations de la HAS, à l’inverse de ceux qui proposent des alternatives à la pilule.

La Dre Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat des gynécologues et obstétriciens, estime que sa profession n’a pas grand-chose à se reprocher. Selon elle, le manque d’information est dû à l’absence de lieux dédiés pour informer les hommes sur la contraception. Elle ajoute que les femmes n’ont pas forcément envie non plus de faire reposer la charge contraceptive sur un homme, par manque de confiance, mais aussi car elles sont amenées à avoir plusieurs partenaires.

Un double constat qui mérite d’être nuancé. D’abord car les espaces mixtes dédiés à l’information sur la contraception existent et les hommes ne les désertent pas. Pascale Mardon-Belloir, animatrice de prévention au Planning familial de Tours, en témoigne : « Selon notre rapport d’activité, nous rencontrons entre 12 000 et 14 000 personnes par an, autant d’hommes que de femmes. »

Sur son bureau, une grosse valise qui contient du matériel éducatif : un stérilet, la pilule, des préservatifs… Et, dans le fond, deux schémas, ceux d’une ligature des trompes et d’une vasectomie : « La bonne contraception, c’est celle qu’on choisit. Si on ne donne que certaines informations, les personnes ne peuvent pas faire de choix réfléchi », explique-t-elle.

Cette mallette ne quitte pas Pascale Mardon-Belloir ni ses collègues lors de leurs interventions dans les collèges et lycées : « On parle forcément de la vasectomie, mais nous n’avons pas beaucoup de temps. Nous sommes obligées de laisser une plus grande place au préservatif. »

Pascale Mardon-Belloir (à droite) et son stagiaire Yohann Hughes, au Planning familial de Tours. Photo : Manuela Thonnel/EPJT
Le préservatif est indéniablement plus adapté à de jeunes hommes. Mais il est encore, là aussi, très souvent pris en charge par les femmes. Parallèlement, renseigner sur la vasectomie, même à un jeune âge, pourrait contribuer à la construction d’un imaginaire plus égalitaire autour de la contraception. Une idée que semble soutenir l’Éducation nationale en préconisant la tenue de trois cours d’éducation sexuelle par an. Mais, si on en croit un rapport du Haut conseil de l’égalité publié en 2016, un quart des écoles déclarent n’avoir mis aucune action d’éducation à la sexualité en place, faute de moyens.

Lorsque l’information arrive jusqu’au grand public, ce n’est pas encore gagné. Il est encore en proie à de nombreux a priori. Il n’est pas rare d’entendre des railleries lorsque l’on parle vasectomie. Christophe raconte, sourire en coin : « Mes amis hommes m’ont quand même demandé : Mais pourquoi tu veux faire ça, tu ne vas plus bander…” »

Filiation, pouvoir, force, depuis l’Antiquité la société patriarcale a placé les symboles de l’idéal masculin dans les organes génitaux. « Une attention toute particulière est accordée aux testicules, lesquelles, dérivant du mot testis [témoin en latin, NDLR], attestent la virilité de leur porteur », écrit la philosophe Olivia Gazalé dans Le Mythe de la virilité.

« Les hommes tiennent à conserver leur fertilité qu’ils associent, souvent à tort, à des problèmes de virilité et de libido », observe quant à lui le Dr Louis Sibert. Pourtant, la capacité à procréer n’est pas l’alpha et l’oméga des rapports sexuels : « Ce sont deux fonctions complémentaires, mais différentes. » Questionner la masculinité semble donc être un préalable nécessaire pour dépasser les clichés sur la vasectomie.

Motivé par la déconstruction des préjugés, Christophe s’est activement engagé dans un groupe Facebook sur la stérilisation volontaire : « J’ai pu constater, en étant modérateur du groupe, une évolution notable. Au début, nous acceptions environ deux à trois personnes par mois. Aujourd’hui, c’est plutôt quatre ou cinq par semaine. Il y a de plus en plus de personnes qui veulent se renseigner sur la vasectomie. »

Mathieu Perrin, 38 ans, est technico-commercial dans le Gard. Père de famille, il a choisi de recourir à la vasectomie après deux ans de réflexion.  Ayant lui-même mûrement examiné cette contraception masculine, il s’étonne de la méconnaissance et du manque d’intérêt des autres hommes.
Même si le nombre de vasectomies pratiquées en France est faible, il n’empêche que la pratique séduit de plus en plus. Il est passé de 1 180 hommes vasectomisés en 2010 à 9 240 en 2018. Une tendance qui devrait s’accentuer grâce à l’ouverture d’espaces d’échanges informels, qui contribuent à faire avancer les mentalités.

Christophe ne désespère pas, bien au contraire. Pour lui, la balle est du côté des professionnels de santé qui doivent rendre plus systématique l’éducation des jeunes hommes à la sexualité. Tout comme le passage obligatoire pour les jeunes femmes chez un ou une gynécologue.

Le suivi régulier permettrait ainsi de détecter plus rapidement les anomalies bénignes mais aussi les cancers des testicules et de la prostate. Plus simplement aussi, d’initier un dialogue autour de la sexualité et de la contraception. Et pourquoi pas, dans un futur proche, permettre la prescription d’une contraception masculine non définitive à de jeunes hommes souhaitant enfin l’assumer.

Azélys Marin 

28 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Intéressée par les questions politiques, juridiques et la visualisation de données.
Se destine à l’investigation en presse écrite.

Manuela Thonnel

@ManuelaThonnel
23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par la littérature et le patrimoine.
A affiné ses compétences chez L’Yonne Républicaine,
Ouest-France
et Maudits Français.
Aimerait se spécialiser dans l’écriture magazine et
les thématiques de société.

Romain Leloutre

@leloutre_romain
22 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passionné par la culture web, les sciences et le sport.
A raconté des moments de vie chez Ouest-France.
Photojournaliste en devenir, s’intéressant aux problèmes environnementaux.