Une voix pour la culture peule

Fayol a passé sa jeunesse entre son village natal et Nouakchott, la capitale de la Mauritanie . C’est là qu’elle a poursuivi ses études. « Je retournais au village pendant les vacances scolaires. Cest là que je me reconnectais avec mes racines. » Photo : Camille Amara-Bettati/EPJT

Fayol Amoudouba, 25 ans tout juste, s’affirme comme l’une des voix montantes de la scène culturelle mauritanienne. Son engagement dans la promotion et la transmission de la richesse de la culture peule impressionnent. Notamment sur les réseaux sociaux.

Par Camille Amara-Bettati

Cette spécialiste de la finance et de la banque se passionne en fait pour la transmission de sa culture. Pour Fayol Amoudaba, tout a commencé durant la pandémie de Covid-19. Les écoles, les universités étaient fermées en Mauritanie. Un ami de sa famille, qui travaille à la télévision privée Watania, lui propose un poste. « Je n’avais jamais envisagé de travailler dans l’audiovisuel et en l’occurrence le journalisme. Mais j’ai accepté. »

Cette expérience lui donne l’envie profonde de s’exprimer et de partager les informations qu’elle récolte sur les personnes qu’elle interview. Elle se perfectionne au fil des projets : voix off pour des journaux télévisés, émissions sur Internet et animations pour des chaînes privées.

L’une de ses premières réussites personnelles est son émission en ligne « Hedo mi yima » (Écoute-moi chanter), en collaboration avec le label Lampro Studio. Elle reçoit des artistes, des chanteurs, des rappeurs… Que ses invités soient Wolof, Maure ou Peul, ce qui l’intéresse, c’est leur parcours et comment il partage leur culture à travers leur musique.

Fayol fait une entrée remarquée sur TikTok, une plateforme qu’elle découvre par hasard en 2019. Au départ, elle y publie de courtes vidéos de musique peule pour s’amuser, avant de réaliser l’impact qu’elle pouvait avoir. « Quand j’ai atteint les 10 000 abonnés et que des personnes ont commencé à me reconnaître dans la rue, je me suis dit qu’il fallait offrir du contenu qui compte, qui a du sens. »

Fayol dans une rue de Nouakchott avec un abonné. Photo : Camille Amara-Bettati/EPJT

Plutôt que de suivre les tendances populaires, Fayol décide de proposer un contenu qui lui ressemble. Ses premières vidéos étaient centrées sur les musiques traditionnelles peules qui ravivaient des souvenirs chez ses abonnés. « Les gens me disaient : “Ça fait longtemps que je n’avais pas entendu cette musique. Merci de nous la partager sur les réseaux sociaux.” »

Une mission héritée de son éducation

Lire des livres en langue peule a été un véritable succès. Le peulhar est une langue rarement mise en avant sur les contenus consommés en Mauritanie et surtout par les jeunes. « Les gens étaient surpris de voir quelqu’un lire en peulhar. Ici, on a l’habitude de voir des lectures en français ou en arabe. Mais jamais dans nos langues locales. »

Promouvoir la culture peule est, pour elle, une mission personnelle qu’elle a héritée de son éducation. Sa mère donnait des cours de langue peule. Son père a fondé un musée de la race bovine à Goural.

Tous deux lui ont transmis cette fierté culturelle. « Être peul, c’est être digne, aimer son prochain, sa langue, et sa culture. »

Aujourd’hui, avec plus de 593 000 abonnés sur TikTok, Fayol ne se contente pas de divertir. Elle utilise sa plateforme pour sensibiliser, informer et inspirer. « TikTok peut être une plateforme dangereuse si on ne fait pas attention. Je veux que mon contenu ait un impact positif, qu’il soit utile et éducatif. »

Elle aborde des thèmes variés dans ses vidéos : sensibilisation à la préservation des traditions, importance du vote ou encore mise en avant de jeunes talents. Mais son objectif reste clair : valoriser la culture peule tout en promouvant la cohésion sociale en Mauritanie.

« Je veux montrer que notre pays, avec ses multiples ethnies, est une richesse. Il faut apprendre des autres tout en valorisant ce qui nous rend uniques. » Elle qui est née dans le village de Goural, situé dans la région du Brakna au sud-ouest du pays, rêve de porter la culture peule au-delà des frontières de la Mauritanie. C’est pourquoi, elle ne souhaite pas uniquement parler de l’actualité de la capitale. « Il faut aller dans des endroits où les Peuls sont méconnus pour partager ce que nous avons. »

Fayol et son tengad. Photo : Camille Amara-Bettati/EPJT

Fayol est également devenue la directrice du musée de la race bovine de Goural. Cette institution familiale organise chaque année le Festival des traditions et économies pastorales. Ce festival est l’occasion pour la communauté de célébrer son héritage au travers des tenues traditionnelles, des plats et grâce à des débats et des rencontres. « Des Maures, des Wolofs, des Sénégalais et des Maliens y participent, et ça me rend fière. »

De nouveaux concepts

Malgré le succès de ses publication en la Mauritanie, mais aussi au Sénégal et au Mali, Fayol reste consciente des défis à relever. Elle s’est volontairement retirée des réseaux pendant plusieurs mois pour se recentrer et réfléchir à de nouveaux concepts. « Je veux innover, proposer des idées plus éducatives et ludiques. »

Ses projets d’émissions en ligne pour faire découvrir la Mauritanie, notamment les villages et leurs sages, font de Fayol Amoudouba une ambassadrice de la culture peul et de son apparat. « On l’identifie facilement grâce à deux choses : les traits de son visage qui dévoilent bien qu’elle est peul et son tengad », indique un abonné qui a souhaité la remercier lors de notre rencontre.

Le tengad est un chapeau traditionnel porté en Mauritanie. ll est généralement fabriqué en paille tressé ou en matériaux légers, adaptés au climat chaud du désert. De une forme simple et pratique, il est conçu pour protéger du soleil intense de la région saharienne. Pour Fayol, c’est un signe de reconnaissance sur les réseaux sociaux.

« Je veux raconter des histoires, découvrir et faire découvrir ce qui se passe hors des grandes villes, pour que notre patrimoine ne soit jamais oublié. » Fayol Amoudouba incarne une jeunesse mauritanienne fière de ses origines et déterminée à bâtir des ponts entre les générations et les cultures. À travers son engagement, elle prouve qu’avec un téléphone et de la passion, il est possible d’écrire de nouvelles histoires.