La rue des Tanneurs à Tours, en décembre 2023. Photo : Zacharie Gaborit/EPJT
Tours fait partie des villes françaises où l’usage de la voiture est encore largement dominant. Alors que l’État impose la mise en place d’une zone à faibles émissions pour 2025, la métropole tourangelle multiplie les tentatives de réduction du trafic et du stationnement. Objectif : réduire la masse de véhicules en circulation, sans bannir complètement l’automobile.
Par Zacharie Gaborit et Fanny Uski-Billieux
Mais à l’ère de la transition écologique, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la pollution atmosphérique. À l’échelle mondiale, un tiers de ces GES est produit par les transports. Selon Santé publique France, 40 000 décès par an sont imputables à la pollution de l’air, dont 1 900 rien qu’en Centre-Val-de-Loire.
« Une mesure technocratique pensée par des technocrates »
L’État a une solution. Depuis la loi Climat et Résilience de 2021, toute métropole de plus de 150 000 habitants est en passe de devenir une « zone à faibles émissions mobilité » (ZFE-m). Autrement dit, la circulation des véhicules les plus polluants est interdite. En échange, l’État propose de majorer les primes à la conversion, pour acheter un véhicule électrique. Dans l’agglomération tourangelle, cela concernerait Tours (136 000 habitants) et une commune voisine, dont le choix n’a pas encore été déterminé par la métropole.
Cette initiative gouvernementale vise à réduire la pollution de l’air due aux voitures thermiques des particuliers. Pourtant, elle est controversée dans les régions et Tours ne fait pas exception : les élus de la métropole, de droite comme de gauche, dénoncent une mesure déconnectée et surplombante. « C’est une mesure technocratique pensée par des technocrates qui ne se posent pas la question de la mise en œuvre », lâche Christophe Boulanger, adjoint de la ville de Tours en charge du Plan de circulation, du stationnement et par ailleurs président du Syndicat des mobilités de Touraine (SMT).
Durant l’été 2023, face au mécontentement dans de nombreuses zones concernées, le gouvernement a dû revoir ses exigences à la baisse pour les métropoles qui ont des niveaux de pollution moins alarmants. Tours fait partie de ces zones rebaptisées « territoires de vigilance ». L’interdiction des véhicules non-classés Crit’air (c’est-à-dire les autos d’avant 1997) ne sera pas exigée avant 2025. D’après la métropole, cela devrait concerner un peu plus d’1 % du parc automobile des habitants du territoire.
Document du ministère de la Transition écologique
Dans tous les cas, la métropole de Tours est claire sur le sujet. « Je suis contre la ZFE », assène Christophe Boulanger. En effet, Tours est traversé par l’A10, axe le plus polluant du territoire, que l’opposition et la majorité métropolitaine veulent intégrer dans le dispositif. Seul souci, « l’A10 appartient à l’État, donc c’est lui qui décide, et l’État dit non », rumine Martin Cohen, adjoint municipal à la Transition écologique.
La qualité de l’air de la métropole ne devrait donc pas s’améliorer autant qu’elle le pourrait, alors même que c’est le but premier d’une ZFE. Par ailleurs, cette dernière pourrait être une véritable bombe sociale. D’après une enquête Kantar TNS de 2018, les ménages en zone rurale sont les plus motorisés et ceux qui roulent le plus.
Sans compter que les ménages les plus modestes roulent davantage avec des voitures d’occasion, sanctionnées par le système Crit’air qui prend en compte l’ancienneté des moteurs.
Armelle Gallot-Lavallée, chargée des aménagements transitoires et des mobilités de proximité, va même plus loin : « La ZFE évite de se poser la question de fond : “Avons-nous tous besoin d’une voiture ?” » Concrètement, l’outil ZFE encourage le renouvellement du parc automobile des particuliers plutôt que la baisse du trafic. Une aubaine pour l’industrie mais qui risque d’accentuer les inégalités sociales sans régler le problème de la dépendance à la voiture.
« Pour être un outil intelligent, il faut que la ZFE soit vraiment au service de la transition des mobilités », analyse Marie Huygue, docteure en urbanisme. Le Syndicat des mobilités de Touraine a déjà lancé localement le service d’autopartage Citiz, l’application de covoiturage Klaxit. Elle a aussi déployé 7 parkings-relais. En théorie, l’agglomération semble avoir saisi la nécessité de la transition, mais dans les faits, ces initiatives tardent à produire leurs effets.
Sabine Carette, chargée de mission à l’observatoire des mobilités au SMT, a une explication : « Aujourd’hui, nous circulons et nous stationnons toujours assez facilement sur le territoire. Le temps de parcours reste plus attractif en voiture individuelle qu’en déposant sa voiture dans un parking-relais par exemple.»
Flux routiers 2022 de Tours et de son aire d’attraction
Fonctionnement : Chaque segment rouge, violet, mauve, bleu clair ou bleu foncé montre, par un clic, la fréquentation moyenne d’un axe routier étudié dans la métropole. Infographie : Zacharie Gaborit, Gaëtan Gaborit/EPJT
En parallèle de ces initiatives, la métropole a décidé de lancer un « plan d’apaisement » qui consiste notamment à réduire le trafic de transit, c’est-à-dire les véhicules qui traversent une zone sans s’y arrêter. Dans le quartier Febvotte-Marat par exemple, au sud du centre-ville, cela représente 30 % des passages.
Réduire le nombre de véhicules roulants peut se faire plus généralement en contraignant la circulation, par les zones 30, les sens uniques ou par les interdictions, comme celle qui touche déjà le pont Wilson ou la rue Nationale.
Un dispositif « rue apaisée »
Ces interdictions de circulation peuvent aussi être temporaires : par exemple, le quart des déplacements est lié à « l’accompagnement », essentiellement celui des enfants à l’école primaire ou aux activités extra-scolaires. La ville de Tours expérimente depuis 2021 le dispositif de « rue apaisée » : la circulation automobile est alors interdite aux abords de certains établissements scolaires aux heures d’entrée et de sortie. « Cela joue sur deux tableaux, explique Sabine Carette, de la SMT. Cela empêche la dépose en voiture, donc il devient plus intéressant d’utiliser un autre mode comme la marche à pied. En plus, cela sécurise les déplacements. »
À côté du trafic de transit, les véhicules qui tournent à la recherche d’une place sont aussi appelés à se raréfier. « Cette année, la localisation de places de parking libres sera affichée à l’entrée de la ville. Nous avons déjà baissé les tarifs des parkings et augmenté les tarifs des places de stationnement en surface », détaille Emmanuel Denis, maire de Tours et vice-président de la métropole en charge des Transports et des mobilités douces. Objectif : réduire le trafic parasite et, accessoirement, réduire l’emprise de la voiture sur le territoire.
Rond-point du pont Napoléon à Tours, en décembre 2023. Photo : Zacharie Gaborit/EPJT
De fait, « le stationnement est l’un des leviers les plus forts de changement modal, constate Sabine Carette du SMT. On peut avoir des routes qui circulent très bien, si on n’a pas d’endroit où se garer à l’arrivée, on ne prendra pas sa voiture. »
Au niveau national, les collectivités ont jusqu’à 2027 pour supprimer le stationnement motorisé dans les 5 mètres en amont des passages piétons. Contrairement à la ZFE, à Tours, la majorité écologiste va plus loin : « Nous repensons l’espace public pour toutes les voiries : cela coûte plus cher de réfléchir ainsi, parce que nous sommes obligés de faire des traversées piétonnes élargies, de mettre des fosses pour des arbres. Donc nous rénovons un petit peu moins de voiries qu’avant… Mais les riverains sont très contents », explique Martin Cohen.
Enfin, réduire la place de la voiture en ville, c’est aussi reconsidérer la place d’autres modes de transport. Dans des espaces urbains, denses par définition, développer un mode de transport signifie forcément empiéter sur d’autres usages. La réduction de l’espace dévolu à la voiture individuelle est ainsi l’occasion de favoriser la marche, les transports en commun ou la pratique du vélo.