L’ordinateur a une durée de vie limitée : quatre ans en moyenne. Une fois jeté, cet objet du quotidien démarre un véritable périple du recyclage, au sein d’une filière regroupant un grand nombre d’étapes et d’acteurs.
Par Coline Davy, Victor Dubois-Carriat et Solène Gardré.
Illustrations : Axel Thomas/Académie Brassart-Delcourt
Aujourd’hui, près de huit Français sur dix possèdent un ordinateur. Ces objets du quotidien sont vendus dans des quantité colossales : 835 millions ont été mis sur le marché en France en 2017, selon les derniers chiffres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Les ménages sont les plus gros consommateurs.
Mais une fois leur vie terminée, les ordinateurs n’ont pas le droit au repos. Ils commencent un long voyage sur le chemin du recyclage.
Première étape : jeter l’ordinateur. Un geste pas évident. Beaucoup ne savent pas quoi en faire lorsqu’il ne fonctionne plus. Du coup, ils restent souvent au fond des placards. Dans les déchèteries, ils se retrouvent parfois au mauvais endroit. Ou avec des objets qui n’ont rien à voir. Aujourd’hui, dans le grand box qui accueille les petits déchets électroniques, Alex a trouvé un aspirateur au milieu des ordinateurs. « Il faut qu’on repasse derrière les gens avant que les camions de collecte passent. Sinon on se fait engueuler ! »
Ces box de déchets d’équipements électriques et électronique (D3E) sont ensuite récupérés par une entreprise de collecte. À la déchèterie de la Milletière, les camions passent cinq fois par semaine ramasser les ordinateurs. « Ici, ça fait une dizaine d’année qu’on a organisé le tri de ces machines », explique Alex.
La filière de traitement des D3E a été mise en place en 2006, par une directive de l’Union européenne. Depuis, les déchèteries municipales sont habilitées à les recevoir. Au total, la collecte est considérable : 750 667 tonnes d’équipements ont été ramassés en 2017. Un chiffre en constante augmentation.
« C’est toujours la même question qui revient : où est-ce que je peux me débarrasser de mon ordinateur ? »
Margot Schmitt
C’est une jeune filière, alors le réflexe de tri n’est pas encore évident. Au Sepant, une association de défense de l’environnement en Touraine, on en est bien conscient. « Cette réglementation récente fait qu’il y a encore trop peu de prévention, explique Margot Schmitt, sa chargée de mission développement durable. C’est toujours la même question qui revient : où est-ce que je peux me débarrasser de mon ordinateur ? »
Face à cette méconnaissance, quelques initiatives sont mises en place. À Tours, la métropole a créé une équipe chargée d’aider les usagers à trier leurs déchets : les « ambassadeurs du tri », six personnes qui sensibilisent les particuliers sur la question. Et, depuis 2015, le camion TriMobile fait le tour des marchés une à deux fois par mois pour récupérer des petits matériaux électroniques.
Ces initiatives restent peu nombreuses et peu ambitieuses. « Même si l’objectif de collecte de 45 % a été rempli en 2017, cela reste bien trop peu. Surtout au vu du nombre d’acteurs impliqués qui pourraient se mobiliser », note Margot Schmitt.
Car le tri des ordinateurs fait appel à beaucoup d’entreprises. Pour toutes les coordonner, des entreprises à but non lucratif agréées par l’État ont fait leur apparition : les éco-organismes. En France, il en existe deux.
Sources : Ademe (2017) et Ecosystem
Ecosystem est l’une d’elles. « Nous organisons la collecte et le recyclage sur toute la France, dans un maillage qui fait interagir de nombreux partenaires », explique Mélissa Bire, sa chargée de communication. L’eco-organisme est basé à Paris mais a des antennes un peu partout en France.
Les producteurs d’ordinateurs sont les premiers acteurs auxquels Ecosystem a affaire. Car celui qui fabrique un objet doit se rendre compte que les déchets générés ont un impact. Le principe du pollueur/payeur, énoncé par l’article L 110-1 du code de l’Environnement, s’applique donc aux D3E.
Les vendeurs d’appareils électriques ont aussi une responsabilité, celle de récupérer les déchets. Mais cela ne concerne que les enseignes avec une certaine surface de vente. À Tours, c’est le cas du magasin Darty. À côté des rayons où s’exposent des machines neuves et rutilantes, des bacs en carton estampillés Ecosystem sont disposés pour récupérer des petits débris électroniques.
Pour les plus gros objets, comme les ordinateurs, il faut les donner aux caissières. Ces éléments filent ensuite à l’arrière du magasin, au service après-vente. Ici, une partie des ordinateurs est reconditionnée. L’autre part vers le recyclage.
Mais de petites entreprises récupèrent aussi ces déchets électroniques, par conscience écologique. C’est le cas de Microgate, à Tours, qui vend et répare du matériel électronique.
Dans ce petit magasin installé en centre-ville, une seule salle accueille les clients, pour beaucoup des habitués. L’arrière-boutique est plus sombre et encombrée. Devant leur établi, des informaticiens démontent et remontent divers appareils électroniques.
« Nous réparons toujours quand c’est possible », indique Julien Degremont, le chef d’équipe. Le magasin reconditionne un maximum d’appareils et dirige les composants irréparables vers le chemin du recyclage, même si la loi ne l’y oblige pas. « Nous avons des aides de l’État pour effectuer ces démantèlements », concède le chef d’équipe.
La durée de vie des unités centrales est d’environ huit ans, mais ce chiffre tombe à quatre pour les portables. « Ils sont plus performants et moins polluants. Mais ils sont aussi plus compacts, les composants sont donc difficilement remplaçables », explique Julien Degremont.
Les salariés démontent les machines puis regroupent les composants par famille afin d’effectuer un tri qui correspond aux normes de traitement. « Un prestataire vient récupérer ces matériaux quand le stock est complet », précise Arnaud Ramond, le gérant de l’entreprise.
Ces stocks de déchets électroniques, qu’ils proviennent de Microgate, de la déchetterie de la Milletière ou de Darty, se dirigent vers un même endroit : un centre de regroupement.
Voyage en tri inconnu
Sonia Rogey est responsable d’un de ces sites en Indre-et-Loire. « Je suis le départ de la filière de tri », explique-t-elle. C’est Ecosystem, grand coordinateur de la filière des déchets électroniques en France, qui fait appel à elle pour récupérer les stocks de déchets.
Vêtue d’un casque et d’une veste jaune fluo, elle nous accueille sur son site où travaille une équipe de 15 personnes. Dans un ballet incessant, des camions chargent et déchargent leurs cargaisons. Les déchets se retrouvent dans des grandes caisses, dans un immense hangar éclairé aux néons.
De nombreuses machines sont considérées comme des D3E et chacune a sa filière de valorisation. Pour les distinguer, un pré-tri s’effectue en déchetterie et dans les magasins. À leur arrivée au centre de regroupement, les appareils sont donc déjà séparés en quatre catégories : les froids, comme les frigos ; les hors-froid, comme les fours et machines à laver ; les écrans ; et les petits appareils ménagers (PAM), catégorie à laquelle appartiennent les ordinateurs.
Ces derniers sont enfouis entre des pianos électrique sans bémol et des cafetières noircies. Au centre de regroupement, ils sont à nouveau triés pour repartir dans une filière spécifique, dédiée aux ordinateurs.
Tous ces objets cassés sont soigneusement étiquetés en attendant d’être rechargés dans les camions. Car dans les centres de tri se joue un autre acte important : l’identification. « Nous pesons chaque objet et l’identifions », confirme Sonia Rogey.
Les éco-organismes reçoivent ces informations et peuvent ainsi calculer le nombre d’appareils qui repartent vers le recyclage, ainsi que la quantité de déchets électroniques jetés annuellement en France.
Un entrepôt d’un centre de regroupement de Derichebourg à Tours. Photo : Coline Davy/EPJT
Sur toute l’année, le rythme est plutôt régulier. « Nos camions partent en général trois fois par semaine, explique Mme Rogey. La plus haute saison, c’est en août quand les gens ont le temps de faire le tri et jettent leurs vieux appareils. À cette période, on fait partir un camion tous les jours. »
La filière de tri des ordinateurs repose sur un large maillage territorial coordonné par Ecosystem : les ordinateurs de Sonia Rogey parcourent 350 kilomètres vers une entreprise du Grand-Est pour être démantelés. Mais au niveau local, de plus petites entreprises prennent également part à ce désossage.
Pour comprendre la complexité de ce processus, il faut visiter une entreprise de collecte et de démantèlement de produits électriques. Direction Tri 37, un petit acteur de ce secteur, dont le site principal est situé au sud de Tours.
Cette PME tourangelle forme des personnes en réinsertion professionnelle à la gestion des déchets et au démantèlement d’ordinateurs. Son directeur, Éric Lachabrouilli, supervise une cinquantaine de salariés.
Dans trois hangars tôlés, les employés réceptionnent 30 tonnes de déchets par mois, tout genre confondu. Ils sont empilés dans des bacs jusqu’au plafond. Les ordinateurs, déchets complexes, sont triés à part.
Direction la salle de démantèlement où une petite équipe s’active à les désosser sur des établis. À Tri 37, cette étape se fait manuellement.
Les mains protégés par des gants, les employés démontent des ordinateurs fixes et en extraient une multitude de composants : cartes graphiques, câbles, châssis métalliques, cartes mère, lecteurs, disques durs et alimentations électriques… Ces matériaux sont ensuite regroupés par catégorie dans des bacs où ils attendent de partir pour être valorisés, chacun dans sa propre filière. « Le châssis en métal, par exemple, repart dans un réseau de ferraille », explique Éric Lachabrouilli.
L’ordinateur, un déchet largement valorisé
Tri 37 reste cependant un petit acteur dans le secteur du démantèlement des ordinateurs. En Touraine, Véolia et Paprec se partagent le marché. Dans ces entreprises, le processus se fait en partie à la main, mais aussi grâce à des technologies robotiques de pointe.
« Les écrans sont séparés de leur base et les batteries sont extraites manuellement si cela est possible, explique M. Grimaud, ingénieur chez MTB, une entreprise spécialisée dans le recyclage des métaux non ferreux. Puis le reste est déchiqueté. »
« Les constructeurs ne dévoilent pas tous les composants à cause du secret industriel »
Guilhem Grimaud
« La valorisation désigne à la fois le recyclage et l’incinération avec production d’énergie, explique M. Grimaud. Un déchet est considéré comme valorisé si 60 % de l’énergie produite par la combustion est récupérée. » Le processus de démantèlement de Paprec et de Veolia permet de valoriser un grand nombre des composants d’un ordinateur. Selon les chiffres d’Ecosystem, en France 95 % des matériaux de cette machine sont valorisés.
Nous avons contacté Véolia pour visiter une de leurs usines de traitement. Mais l’entreprise nous a indiqué que ces bâtiments n’étaient pas ouverts au public, protégés par le secret professionnel. Les technologies de pointe utilisées sont en effet jalousement gardées par des industriels. C’est ce qu’explique Guilhem Grimaud : « Le secteur du recyclage des D3E est très concurrentiel. Les constructeurs ne dévoileront jamais tous les composants à cause du secret industriel.</em »
Aujourd’hui, si 95 % des matériaux sont récupérés, 5 % présentent toujours beaucoup difficultés. C’est le cas des plastiques bromés et des plastiques noirs. Pour mieux comprendre le complexe processus de démantèlement dans les usines, partons voyager aux côtés de ces matériaux compliqués :
« Le tri parfait n’existe pas, même avec les technologies les plus abouties », avertit Guilhem Grimaud. Un des défis du tri et de la valorisation des D3E est que les usines de démantèlement doivent réussir à séparer les matériaux nocifs, comme le plastique bromé, de ceux qui ne le sont pas.
Il faut aussi limiter les matériaux qui ne sont pas valorisables et qui deviennent des « déchets ultimes », impossibles à réutiliser. Dans les ordinateurs, c’est le cas de la mousse ou du caoutchouc qui sont enterrés dans des centres d’enfouissement.
En plus de ces déchets non-valorisables, qui peuvent poser un problème sur le plan sanitaire, Guilhem Grimaud pointe un autre défi dans le recyclage des ordinateurs : la multitude des composants. « La filière est organisée de telle sorte que tous les ordinateurs sont traités en mélange, quel que soit leur marque. Et aucun fabricant ne peut donner la composition exacte de ses ordinateurs. »
De plus, les compositions des machines varient au fil du temps : « Un ordinateur qui a 10 ans n’est pas le même qu’un ordinateur qui a 6 mois, poursuit Guilhem Grimaud. En tant que recycleurs, nous sommes parfois dépassés. » À cela s’ajoute une miniaturisation croissante des objets électroniques qui compliquent de fait la séparation de leurs composants.
Enfin, au nom du secret industriel, le manque de communication entre les fabricants et les recycleurs est criant. Pour pallier cette lacune, les professionnels du recyclage démarchent de plus en plus les fabricants afin de mettre en place des processus de retro ingeniering.
Le principe est simple : concevoir des produits avec les recycleurs afin de faciliter leur traitement en fin de vie. Avec le principe du pollueur/payeur, les producteurs n’avaient qu’à payer. Grâce à ces méthodes, ils peuvent participer activement au recyclage et le faciliter. Mais il faut pour cela que tous les acteurs jouent le jeu.
Aujourd’hui, la filière des D3E en France fonctionne. Mais tout ce système est mis à mal si les produits ne peuvent pas être traités correctement en bout de chaîne. L’enjeu est de taille pour aboutir à une conception des ordinateurs plus transparente qui facilitera leur démantèlement et permettra de valoriser un encore plus grand nombre de composants. Un des défis actuels est donc le véritable dialogue entre fabricants et recycleurs.
La bande dessinée a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole publique de journalisme de Tours et l’Académie Brassart Delcourt.
Coline Davy
@Coline_Davy
21 ans.
Etudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par le sport.
Passée par Ouest France.
Souhaite poursuivre en presse écrite générale ou sportive.
Victor Dubois-Carriat
[email protected]
25 ans.
Etudiant en journalisme à l’EPJT.
Se passionne pour la critique médiatique, le journalisme local et la philosophie.
Est passé par le Magazine Négoce et Sud-Ouest.
Souhaite travailler en PQR et, à terme, créer un média.
Solène Gardré
@Gardre_Solene
24 ans.
Etudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par la vidéo et l’audio. Intéressée par la culture, les discriminations, l’alimentation.
Passée par France Bleu et Sud-Ouest.
Souhaite faire du journalisme multimédia qui rend l’actu accessible à tous.