Pour certains étudiants, trouver un stage peut parfois coûter cher. Photo : Élise Bellot/EPJT
L’insertion des jeunes sur le marché du travail est de plus en plus difficile. Ils se mobilisent alors pour gagner en expérience en cherchant la perle rare : un stage en entreprise. Une situation inextricable d’où a émergé un véritable marché.
Par Élise Bellot, Alexandre Camino et Marine Gachet
Aujourd’hui, le stage est déjà un graal avant même de songer au marché de l’emploi. » Ce constat amer, c’est Claire Bonnard, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, qui le dresse. En 2019, près de 1,6 million d’étudiants ont effectué un stage. Dans presque l’intégralité des formations, ces expériences professionnelles sont intégrées dans les cursus et sont requises pour la validation du diplôme. « Les étudiants ont de plus en plus besoin de faire un stage, ne serait-ce que pour accéder à un master », explique Claire Bonnard.
Mais pour quoi faire ? Le stage est censé familiariser l’étudiant avec le monde professionnel et lui permettre d’acquérir des compétences pour la suite de ses études ou une future carrière. En effet, les entreprises recherchent des profils toujours plus expérimentés.
Infographie : Alexandre Camino/EPJT. Dessin : Marine Gachet/EPJT
« C’est devenu la norme. Pour se démarquer, les jeunes doivent trouver de meilleurs stages », constate Vanessa Di Paola, économiste et maîtresse de conférences à l’université Aix-Marseille. Dans ce contexte, elle n’hésite pas à parler de course aux stages. Pour la remporter, certains sont prêts à casser leur tirelire. Plusieurs centaines voire milliers d’euros : voilà ce que des étudiants sont prêts à payer.
Face à cette demande toujours croissante, un marché se développe. Pour les stages à l’international, obligatoires dans certains cursus, ce sont les agences de placement qui se positionnent. Elles proposent aux étudiants de leur trouver une expérience en adéquation avec leurs compétences, en un temps limité.
En 2018, Mélanie*, 22 ans, suit une formation en école de commerce. Elle souhaite effectuer son stage en Espagne. Elle s’adresse donc à une agence, PIC Management, et dépense entre 400 et 500 euros. « Je n’avais pas suffisamment anticipé la recherche de mon stage à l’étranger. C’était une solution de facilité. » En dix jours, l’agence lui trouve ce qu’elle recherche au département touristique de SH Barcelona, une agence de location d’appartements. « Cela a été la meilleure expérience de ma vie, même si j’ai trouvé les tarifs de l’agence excessifs. »
D’autres utilisateurs sont moins chanceux. Alice Ntoumi se tourne elle aussi vers PIC Management mais pour trouver un stage au Mexique, dans un complexe hôtelier. Aucune embûche ni dans les démarches, ni lors des entretiens, ni à la signature du contrat. Mais, une fois sur place, son projet s’effondre. « Quand je suis arrivée à l’hôtel, on m’a dit qu’il n’y avait pas de stage. Mon tuteur était injoignable. » Lorsqu’elle veut être remboursée de ses 400 euros, l’agence refuse. « Je n’aurais soi-disant pas réussi à m’adapter au pays d’accueil. » Sollicité, PIC Management n’a pas répondu à nos questions.
Si la majorité des personnes que nous avons rencontrées sont satisfaites de leur expérience avec les agences de placement, certaines ont le sentiment d’avoir été trompées. Dessins : Marine Gachet/EPJT
En janvier 2020, Alexandra Ginier, étudiante en marketing dans une école de commerce, paye 1 690 euros pour les services de My Internship Abroad. Elle doit partir six mois en Australie. La pandémie de Covid-19 interrompt ce projet. Elle se tourne alors vers l’agence pour connaître ses options. Un an après, aucun appel, mail ni SMS n’a reçu de réponse. « J’ai réussi à m’arranger avec l’entreprise pour effectuer mon stage à distance, sans aucune aide de l’agence. »
Interrogée sur ces étudiants délaissés à cause de la pandémie, Nidia Benoit, directrice marketing du groupe Adiona, maison mère de My Internship Abroad, réfute les accusations. « C’est faux. Toutes les personnes qui devaient partir ont été recontactées par notre service comptabilité. Nous n’avons laissé personne en attente. » Alexandra Ginier affirme les avoir à nouveau sollicités depuis, en vain.
« Les plateformes gratuites sont rémunérées grâce aux publicités et au trafic du site »
Antoine Héritier, Clic’n clac
Avant de cofonder sa propre agence de placement Clic’n clac, Antoine Heritier a travaillé pour d’autres entreprises de ce type. Sa plateforme en ligne proposait à l’étudiant un abonnement standard de 19,99 euros mensuels plutôt que de payer un forfait afin d’accéder à un panel d’offres. Or celles-ci pouvaient être trouvées sur des sites gratuits.
Antoine Heritier affirme cependant que ses prix étaient justifiés : « Les plateformes gratuites sont rémunérées grâce aux publicités et au trafic du site. Il n’est pas rare d’y trouver des annonces obsolètes, ce qui engendre une perte de temps et une forme de frustration. »
Depuis notre rencontre, l’entreprise d’Antoine Heritier a cependant fait évoluer son offre et propose désormais un abonnement standard gratuit ainsi qu’un abonnement premium à 24,99 euros mensuels.
Sa société cherche à nouer des partenariats avec des universités ou des écoles comme l’Iscom, spécialisée dans la communication et qui possède plusieurs campus en France. Ses étudiants qui le souhaitent peuvent bénéficier de tarifs préférentiels sur Clic’n clac. Cécile Montigny, directrice Innovation Entreprises et Carrières à l’Iscom, applaudit à ce genre de partenariat. Elle reconnaît en effet que « les stages à l’étranger sont souvent difficiles à décrocher ».
De nombreuses agences de placement existent et proposent d’aider les étudiants dans leur recherche de stage pour des sommes pouvant dépasser 3 000 euros. Infographie : Alexandre Camino/EPJT
Mais les étudiants ne sont pas les seuls à chercher l’inaccessible stage. Les jeunes diplômés, qui ne trouvent pas de CDD ni de CDI car ils manquent d’expérience, sont aussi sur les rangs pour étoffer leurs CV. Pour eux, le parcours est encore plus compliqué. Ils n’ont pas d’établissement universitaire avec qui signer leur convention de stage, un document qui est obligatoire en France. La solution : payer pour en obtenir une.
Pour 440 euros, la plateforme Be Student Again (BSA) promet une inscription universitaire de six mois dans une formation au choix, une carte étudiante, ainsi qu’une convention de stage signée. Le candidat doit ensuite s’inscrire par lui-même aux autres semestres pour rejoindre l’université et y suivre les cours.
« Je venais d’être diplômée. La mission locale et Pôle emploi proposaient des conventions de quinze jours alors que je voulais six mois. Je ne voyais pas d’autres options », confie Elise Martin, 25 ans, ancienne cliente de BSA.
Nous avons pu consulter plusieurs de ces conventions : l’université East London, située en Afrique du Sud, en a signé la plupart. Quel intérêt pour un établissement étranger d’inscrire en son sein des étudiants français qui n’assistent pas aux cours ? Nous avons cherché plusieurs fois à contacter les responsables de cette université et de la plateforme Be Student Again. Ils n’ont jamais répondu à nos sollicitations.
Autre alternative, des établissements scolaires privés comme Fac For Pro et Paris Executive Business School délivrent des conventions, toujours à condition que l’étudiant suive une de leurs formations.
Des étudiants passés par Fac For Pro nous confient avoir obtenu facilement une convention sans suivre de cours. L’un d’eux nous indique qu’il a tout de même été vivement encouragé à y participer. « Cela ne m’intéressait pas d’avoir un diplôme non reconnu, confie Antoine*, 23 ans, ancien étudiant dans le domaine des affaires publiques. L’école peut vérifier si les vidéos ont été vues par l’étudiant, mais il n’y a pas d’examens. »
Caroline Barnaud, directrice de Fac For Pro, affirme le contraire. « Nous sommes souvent considérés comme une officine d’un point de vue extérieur. Or, si un étudiant ne suit pas les cours, il n’aura ni ses examens ni la certification. » Pour elle, c’est la possibilité pour les étudiants d’effectuer un stage dès le premier semestre qui les encouragerait à profiter de l’école dans l’unique but d’obtenir une convention de stage. « On ne peut pas empêcher les dérives, mais les étudiants qui ne s’inscrivent que pour la convention de stage sont minoritaires. »
Sur les 150 à 200 étudiants inscrits à Fac For Pro, seulement la moitié obtient son diplôme ou sa certification selon Mme Barnaud. Mais pour elle, les étudiants uniquement intéressés par une convention et qui ne suivent pas les cours n’en seraient pas la cause. « Nous accueillons des étudiants étrangers qui doivent s’adapter à un nouveau système pédagogique, explique la directrice. Cela fait baisser les statistiques. »
Le client n’apprend le nom de l’université dans laquelle il s’inscrit qu’après avoir payé les services de Be Student Again. Réalisation Élise Bellot/EPJT
Dans les textes, un étudiant doit suivre au moins 50 heures de cours à l’année pour être autorisé à effectuer un stage conventionné d’une durée maximale de six mois. Les faits, eux, sont bien différents.
Pauline a également pu faire son stage grâce à une convention signée par Fac For Pro alors qu’elle ne suivait pas la formation. Elle affirme que ses tutrices en entreprise étaient au courant. « Elles ont dit en plaisantant : “J’espère que l’inspection sera cool avec nous.” Mes collègues savaient très bien que j’avais dû me débrouiller pour avoir une convention. »
Nous avons fait le choix de ne pas contacter les différentes entreprises concernées pour ne pas porter préjudice aux jeunes qui n’avaient parfois pas terminé leur stage.
Ces règles sont présentes dans la loi N° 2014-788 du 10 juillet 2014 sur le développement, l’encadrement des stages et l’amélioration du statut des stagiaires. Infographie : Élise Bellot/EPJT
Un phénomène connu à l’université Bordeaux-Montaigne. « Nous l’avons constaté, il y a quelques années, quand nous avons proposé les diplômes de prépa Capes ou prépa Agrég. Des étudiants s’inscrivaient en septembre et nous disaient vouloir partir six mois en stage dans un autre domaine », se souvient Sarah Michel, à la tête de la direction orientation stages insertion professionnelle (Dosip) à l’université Bordeaux-Montaigne. Des jeunes diplômés s’inscrivaient également en formation à distance en anglais dans le but d’obtenir une convention.
Si cette pratique est rare, l’université Bordeaux-Montaigne reste vigilante. « Nous n’acceptons plus de longs stages non obligatoires sans avoir d’abord échangé avec l’enseignant et obtenu son accord. Cela rend la démarche compliquée pour un étudiant qui se serait inscrit par pure formalité », explique Sarah Michel.
Certains étudiants s’inscrivent à l’université dans le seul but d’obtenir une convention de stage et ne suivent pas leur formation. Dessin : Marine Gachet/EPJT
Un employeur peut accueillir un stagiaire pour une durée allant jusqu’à six mois. Si le stage dure plus de deux mois, l’entreprise doit gratifier le stagiaire d’un minimum de 3,9 euros par heure et n’a pas de charge à payer. Pour un salarié, quel que soit son contrat, l’entreprise doit verser 10,25 euros brut de l’heure et payer des charges.
Rien qu’en 2019, les stagiaires représentaient 6 % des travailleurs en France, soit un peu plus d’un sur vingt, d’après les chiffres de l’Insee. S’ils sont, eux, prêts à payer pour travailler, bien des entreprises qui les accueillent sont avant tout intéressées par les économies générées.
La frontière entre un stage de longue durée et un emploi précaire est ténue. Certains parlent d’emploi déguisé quand des entreprises renouvellent plusieurs fois un stage au lieu d’embaucher. « Ces successions de stages qui contreviennent totalement à la loi, c’est de la main d’œuvre à bas prix. Un stagiaire n’est pas quelqu’un qui doit remplacer un salarié », dénonce Sarah Michel.
Pour Didier Bille, spécialiste en ressources humaines et auteur de DRH, machine à broyer , il y a une vraie différence entre un stage et un emploi : « Le stage est un moment d’apprentissage alors qu’un CDD n’a pas cette vocation. »
Moins de 10 % des stages débouchent effectivement sur un emploi
Chaynesse Khirouni précise cependant qu’un arsenal juridique existe pour faire cesser les abus. En théorie, deux options s’offrent aux étudiants. Pour n’importe quel litige, un stagiaire peut se plaindre à l’inspection du travail. Celle-ci peut alors effectuer des contrôles pour rappeler les obligations de chacun au sein de l’entreprise.
En cas d’abus grave, comme du travail dissimulé, le stagiaire peut saisir le tribunal des prud’hommes. Un tel recours risque cependant de le mettre dans une position délicate, car mener un stage à terme est souvent impératif pour valider une formation et un diplôme.
On le voit, étudiants et jeunes diplômés se démènent pour étoffer leur CV. Mais ces efforts ne sont pas toujours récompensés. En effet, moins de 10 % des stages débouchent effectivement sur un emploi si on en croit une étude du collectif Génération précaire publiée en 2016.
Plusieurs études attestent de la faible concrétisation des opportunités offertes par les stages, notamment l’enquête Génération 2004 menée par le Centre d’études et recherches sur les qualifications en 2009. L’institution a interrogé 32 000 jeunes cinq ans après la fin de leurs études. À peine 17 % des sondés affirmaient avoir obtenu leur premier emploi au sein de l’entreprise où ils évoluaient en stage. Le stage, un graal ?
Elise Bellot
@BellotElise
22 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée de photo et de musique électronique.
S’intéresse aux sujets de société, au féminisme et à l’environnement.
Passée par France 3 Aquitaine, La Nouvelle République et Spicee.
Se destine à la télévision ou au photoreportage. Plutôt intéressée par l’enquête et le long format.
Alexandre Camino
@Alex_Camino_
23 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Cultive une vraie passion pour l’histoire et l’insolite.
Passé par Sud-Ouest, Courrier Français, RMC Sport, Écrans du Monde, France 3.
Intéressé par les sujets de société, les problématiques démocratiques et environnementales. Cherche à les traiter par le prisme de l’info locale. Se destine au journalisme écrit, print ou numérique.
Marine Gachet
@marine_isnath
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT, alternante en multimédia à L’Est Républicain.
Passionnée par les sujets de société, particulièrement par les sujets liés aux droits des femmes et aux discriminations.
A affiné ses compétences à La Nouvelle République.
Aimerait raconter les histoires de notre société à travers l’écriture multimédia.