Rendez-vous à l’hôtel pour un don de sperme sauvage. Illustration : Célio Fioretti/EPJT
La procréation médicalement assistée est ouverte aux couples lesbiens et aux femmes célibataires depuis aout 2021. Pourtant, malgré les dangers, celles-ci continuent de se tourner vers des donneurs de sperme sur des réseaux parallèles.
Agathe Kupfer, Charlotte Morand et Sélim Oumeddour
Illustrations réalisées par Célio Fioretti/EPJT
ercredi 24 novembre 2021, sur donneurnaturel.com, un site qui met en relation des femmes avec un homme afin de concevoir un enfant de « manière naturelle, simple et rapide ».
— Bonjour, ma conjointe et moi cherchons à avoir un enfant.
— Bonjour.
— C’est la première fois que je m’inscris sur ce site. J’ai du mal à comprendre comment ça se passe, pouvez‐vous m’éclairer ?
— C’est très simple : quelques échanges via le site ou par SMS, puis on se voit une fois ou deux lorsque vous êtes au cœur de votre ovulation et bim le tour est joué.
Joël, 63 ans, est donneur de sperme sauvage. Trop âgé, il ne peut pas donner dans les Cecos. Officiellement, ceux-ci sont les seuls à pouvoir conserver et manipuler des
gamètes à des fins médicales. C’est donc en ligne qu’il propose son sperme aux femmes qui souhaitent avoir un enfant. Nous sommes entrés en contact avec lui grâce à un faux profil créé sur le site. Notre but ? Comprendre cette pratique bien implantée sur Internet.
L’insémination artisanale est souvent réalisée à l’aide d’une pipette de doliprane. Photo : Charles Bury/EPJT
Depuis plusieurs années, des femmes, le plus souvent célibataires ou en couple lesbien, y ont recours. Jusqu’en 2021, elles ne pouvaient recourir à la PMA en France qui était alors réservée aux couples hétérosexuels. Le 2 août 2021, la promulgation de la révision de la loi bioéthique change la donne : la PMA s’ouvre à toutes les femmes. Pourtant, la pratique perdure.
Sur donneurnaturel.com, elles étaient, en mai, 2022 environ 5 000 à poster des annonces pour près de 3 000 donneurs. Des groupes Facebook créés avec le même objectif regroupent en général entre 2 000 et 5 000 membres.
Les femmes y postent des annonces. Elles s’y présentent. Elles se déclarent en couple ou célibataires et disent si elles ont déjà un enfant. Elles précisent aussi leur âge, la distance qu’elles sont prêtes à parcourir pour rencontrer un donneur et leurs préférences pour la nature du don. Celui-ci peut s’effectuer de trois manières.
Il y a la méthode dite naturelle, qui implique un rapport sexuel complet. Il y a également la méthode semi-naturelle qui consiste à procéder à la pénétration uniquement au moment de l’éjaculation. Ces pratiques sont souvent écartées par les couples lesbiens qui se refusent à avoir un rapport sexuel avec un homme.
Elles ne sont pas prohibées, contrairement à l’insémination artisanale. Celle-ci consiste à récupérer du sperme sans aucun rapport sexuel. Le sperme est mis dans un pot et, à l’aide d’une seringue ou d’une pipette pour donner du doliprane aux bébés, auto-inséminé. Ce procédé est puni par la loi.
Dans l’idée, la révision de la loi bioéthique représente une avancée pour l’égalité des droits. Mais dans la pratique, des lacunes existent. Délais trop longs, manque de renseignements ou sentiment de discrimination, plusieurs raisons découragent les femmes interrogées à entamer les démarches pour une PMA.
Le gouvernement semble avoir mal anticipé les difficultés de mise en place de la loi. Il a notamment sous-estimé le nombre de demandes à venir. Jean-Louis Touraine, rapporteur du texte, le rappelle : « Leur nombre a été sous-évalué, le gouvernement tablait sur 1 000 demandes supplémentaires. »
Dans un communiqué publié le 22 novembre 2021, l’Agence de biomédecine, affiliée au ministère de la Santé, recensait déjà 2 753 demandes de consultation entre le 2 août et le 15 octobre de la même année, soit plus du double. Si on en croit les chiffres transmis aux Cecos par l’Agence de biomédecine, 1 171 demandes ont été faites par des couples de femmes et 1 316 par des femmes seules.
Et cela ne va pas en s’arrangeant. Au Cecos de Tours, en mars 2022, on recense 122 demandes de femmes seules et 113 de couples de femmes. La directrice, Cynthia Frapsauce, indique que pour les femmes qui ont fait une demande en juin 2022 le délai d’attente était de sept mois minimum pour un premier rendez-vous. En décembre 2021, il n’excédait pas trois mois. Dans certains Cecos, les délais peuvent atteindre deux ans.
Une des raisons de ce retard est le manque de personnel. À Tours, on compte trois médecins à temps plein, un à 80 % et deux à 50 %. Un effectif que Cynthia Frapsauce juge « bien trop insuffisant pour faire face aux demandes ». L’enveloppe de 8 millions d’euros débloquée pour l’ensemble des 30 Cecos de France est jugée insuffisante, d’autant qu’elle est majoritairement dédiée à l’achat de matériel.
Pour avoir un enfant, le temps est compté. Les femmes ne peuvent bénéficier des procédures du Cecos après 45 ans. Passé cet âge, leurs ovocytes ont de plus en plus de risques de devenir anormaux, ce qui complique la conception d’un enfant. Les délais deviennent alors un obstacle insurmontable.
De nombreuses femmes plaçaient beaucoup d’attentes dans la loi. Finalement l’espoir s’est transformé en désillusion. Dès lors, elles se tournent à nouveau vers le don de sperme sauvage.
C’est notamment le cas d’Amanda et de Déborah*, en couple depuis treize ans. Elles cherchent à concevoir un enfant depuis quatre ans et ont exploré toutes les possibilités pour y parvenir : PMA à l’étranger, recours à un ami, don de sperme sauvage. Mais l’aboutissement de leur projet, entravé par des échecs, des faux plans et des faux espoirs reste encore incertain.
Elles ont contacté un centre de PMA mais « en Cecos, on vous fait comprendre qu’il ne faut pas être pressé et que vous n’êtes pas la priorité. On nous a dit qu’il y avait beaucoup de couples avant nous. J’ai 35 ans, ma compagne en a bientôt 38. Je n’ai pas envie d’avoir un enfant à 45 ans. Si ça marche avec un donneur rencontré en ligne avant que le parcours PMA ne commence, tant mieux ».
Les donneurs interrogés en sont conscients: c’est la détresse de ces femmes qui les incite à donner leur sperme hors des Cecos. « Pour moi, toute femme qui souhaite avoir un enfant devrait pouvoir en avoir un », explique celui qui se fait appeler « Superpapa » sur la Toile. L’homme de 62 ans est administrateur de 14 groupes Facebook et dit être donneur régulier depuis 2007.
Mais les intentions de certains peuvent être moins louables. Simples bonimenteurs, guidés par des intérêts financiers ou animés par des envies sexuelles, ces hommes ne seraient donneurs que de faux espoirs selon certaines receveuses.
Le principal problème du don de sperme sauvage reste le manque d’encadrement. Le recours à cette pratique met en danger les femmes et leurs enfants. Certains donneurs sont malveillants et leur principale motivation est d’avoir un rapport sexuel. Certains sont malhonnêtes et mentent sur leurs analyses de sperme et de santé aux receveuses.
Depuis la promulgation de la loi bioéthique, la filiation de la mère qui ne porte pas l’enfant ne s’établit plus devant les tribunaux. Comme pour les couples hétérosexuels, elle se fait par simple déclaration à la maternité ou à la mairie. Céline Cester est présidente de l’association Les enfants d’arc-en-ciel qui accompagne les personnes LGBT dans leur projet parental et dans leurs démarches juridiques. Si elle se félicite de ces avancées, elle craint néanmoins que les tribunaux ne demandent plus de précisions aux femmes qui choisissent le don de sperme sauvage sur l’origine de l’insémination lors de la demande d’adoption.
« Depuis quelques mois les tribunaux sont plus regardants. Mais il suffit pour les mères de dire qu’elles sont passées par une PMA à l’étranger pour que leur dossier soit validé », nuance Jérôme-Damien Cerf, avocat au barreau de Tours, spécialisé en droit des mineurs et en droit de la famille.
Attention aux risques sanitaires
Mais les problèmes ne se résument pas aux questions juridiques. Dans le cas de don de sperme sauvage, il n’y a pas de tests préalables, pas de cliniciens, de biologistes ni de psychologues. Bien souvent, les receveuses ne demandent au donneur qu’un test concernant les maladies sexuellement transmissibles. Des problèmes sanitaires peuvent alors se poser lors de la grossesse et pendant la vie de l’enfant. En Cecos, au contraire, les différents tests permettent d’anticiper au maximum les risques pathologiques.
Ces établissements limitent aussi l’âge des donneurs à 45 ans. Cette mesure n’est pas respectée pour les dons de sperme sauvage, c’est le cas de Superpapa. Mais aussi d’un donneur sur cinq sur le site donneurnaturel.com.
Or, une équipe de chercheurs de l’université Rutgers, dans le New Jersey, a pu observer que le sperme des hommes de 45 ans et plus augmente les risques de complication pour la mère et l’enfant. Ils sont clairement identifiés dans la revue scientifique Maturitas, le journal officiel de la Société européenne de la ménopause et de l’andropause. On y retrouve l’hypertension pendant la grossesse pour les femmes, des complications à la naissance ou des cas de cancer chez l’enfant.
Avoir recours à l’insémination artisanale, c’est aussi s’exposer à des problèmes juridiques. Ce délit est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Mais, dans les faits, il est presque impossible à prouver et la loi semble impuissante. « Il faudrait apporter la preuve de l’absence de relation sexuelle avec le géniteur, quelque chose que l’on n’est pas autorisés à réclamer », explique Jérôme Damiens-Cerf.
Le risque juridique le plus important est celui du potentiel retour du donneur dans la vie de la mère et de l’enfant. Joan, 34 ans, a mis quatre mois pour trouver une personne sérieuse pour concevoir son fils. Après la naissance, le géniteur a tenté de s’imposer dans leur vie.
Dans de telles situations, tout dépend de l’âge de l’enfant. S’il a moins de 18 mois, le donneur sera reconnu comme le père et partagera l’autorité parentale sans contestation possible de la mère. En revanche, s’il a plus de 18 mois, le nom du géniteur sera inscrit sur l’acte de naissance en tant que tel mais il ne partagera pas automatiquement l’autorité parentale.
Dans le cas de Joan, un accord de principe censé établir une non-coparentalité avait été passé avec le donneur. Mais celui-ci s’est rendu en mairie l’été
dernier sans la prévenir pour reconnaître l’enfant, alors âgé de 6 ans. « Il m’a dit vouloir le voir de temps en temps. J’ai tenu à lui rappeler qu’un père a aussi les devoirs, notamment financiers (son fils suit un traitement contre l’épilepsie), auxquels il devrait consentir s’il allait au bout des démarches. »
En effet, l’enfant ayant plus de 18 mois, la seule manière d’accéder à l’autorité parentale pour lui était d’en faire la demande auprès d’un juge et de passer au tribunal. Et cette autorité n’est pas juste un droit de visite. Elle implique des devoirs, comme la contribution aux soins de l’enfant.
Toutes ces embûches ne suffisent pas à détourner nombre de femmes du recours au don de sperme sauvage :
« Si c’était à refaire, je prendrais quand même le risque, commente Joan. C’est à double tranchant mais les délais et la procédure en Cecos sont trop longs. »
La PMA reste un parcours de combattantes. Pire, d’autres problèmes se sont ajoutés. La loi met fin à l’anonymat du don. Cette décision entraîne inévitablement la destruction des anciens stocks. Depuis un an, les Cecos sont en attente d’une date précise pour cette destruction, ce à quoi le gouvernement ne semble pas pressé de répondre.
Les flous qui entourent la loi, les délais importants et la méconnaissance des risques assurent donc de beaux jours au don de sperme sauvage.
(*) Au vu des risques juridiques encourus par ces femmes, nous avons choisi de ne pas mentionner leur nom de famille.
Agathe Kupfer
@agathekpf
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Étudiante en journalisme à l’EPJT.
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Passée par La Dépêche du Midi, Ouest-France et Pokaa en presse écrite.
Alternante à Brief.me et directrice de la rédaction de Maze.fr.
Se destine à la correspondance à l’étranger et aux longs formats.
Charlotte Morand
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Alternante au service enquête et reportage de la rédaction nationale de France 2.
Sélim Oumeddour
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24 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Intéressé par l’actualité sportive associée à d’autres thématiques comme la géopolitique ou l’environnement.
Passé par ViàLMtv Sarthe en télévision et par Ouest-France et La Nouvelle République du Centre-Ouest en presse écrite.
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