Spectres de l’autisme
Ils sont plus de 30 000 en Corée du Sud mais restent totalement invisibles. Les autistes sont des fantômes dans la société coréenne. Une série événement a récemment braqué les projecteurs sur eux.
Par Célio Fioretti (à Séoul)
La Corée du Sud est de plus en plus reconnue internationalement pour ses productions audiovisuelles. En 2022, la série la plus visionnée du catalogue Netflix mondial était sud-coréenne, Extraordinary Attorney Woo. La comédie judiciaire de 16 épisodes, qui suit les aventures d’une jeune avocate autiste, a donné un coup de projecteur sur ce trouble mental souvent oublié au pays du matin frais.
La série Extraordinary Attorney Woo raconte les aventures d’une jeune avocate autiste, Woo Yong-woo, interprétée par Park Eun-bin.
La représentation de l’autisme est rare dans les grandes productions sud-coréennes, le seul autre exemple en date est la série Good Doctor en 2013 (dont la version américaine est diffusée en France). Le personnage principal est lui aussi autiste. Ce n’est pas le seul point commun des deux séries. Elles font également une représentation similaire d’un trouble pourtant très variable. Dans les deux productions, la personne autiste est représentée comme un génie. « Ce n’est évidemment pas le cas le plus courant », rectifie Son Daeun, directrice du centre Autism Partnership à Séoul. Celui-ci accompagne des enfants atteint de ce trouble. Cette représentation biaisée de l’autisme est révélatrice d’un mal-être vis-à-vis des troubles mentaux en Corée du Sud. On ne les accepte que s’ils sont un atout.
D’après les statistiques du ministère de la Santé, en 2021, 33 000 sud-coréens seraient atteints d’un trouble autistique. Un chiffre qui semble assez faible sur une population de près de 50 millions d’habitants. « C’est très grandement sous-estimé, explique Son Daeun. L’autisme, comme les maladies mentales, est un tabou, une honte, encore plus qu’un handicap physique. »
Les établissements scolaires pouvant accueillir des enfants atteints de troubles mentaux sont encore rares en Corée du Sud. Un vrai casse-tête pour les parents. Photo : Pexels
Beaucoup de personnes concernées ne font pas de diagnostics et se contentent de vivre avec une particularité dont ils ne connaissent souvent même pas le nom, explique la directrice du centre. « Avec le travail de pédagogie et de médiatisation, de plus en plus de personnes se font diagnostiquer. Mais ils le gardent pour eux, ils n’en parlent pas à leur famille ou à leurs proches et passent sous les radars des statistiques », commente Son Daeun.
Ouvrir la discussion
Si la série Extraodinary Attorney Woo n’est pas représentative du spectre de l’autisme, elle a néanmoins permis d’ouvrir la discussion à ce sujet. « Cela reste une série de divertissement et je l’ai plutôt appréciée, nuance la directrice. Grâce à cette série, on a pu parler de l’autisme, apprendre et faire découvrir ce trouble à plus de monde. »
Il reste encore beaucoup de travail pour que l’autisme ne soit plus invisible dans la société sud-coréenne. Mais grâce aux séries et au travail de pédagogie des centres, le pays commence à lever le voile sur le trouble mental.