Soldat à vif

On l’a aperçu lors de la Cérémonie des Césars début mars, au côté de Robin Campillo. Élu président d’Act Up-Paris en septembre dernier, Rémy Hamai partage son temps entre son métier d’ingénieur et le militantisme. Et n’hésite pas à mettre sa vie de côté pour privilégier son combat.

 

Par Thomas DESROCHES

« En 2018, j’aimerais rencontrer quelqu’un. » Entouré de ses amis pour les fêtes de fin d’année, Rémy Hamai fait part de son souhait le plus cher. « Mais toi tu es marié à Act Up », rétorque l’un de ses proches. Les mots sont durs, pourtant, il sourit. Difficile de vivre comme un jeune homme de 23 ans lorsque tant de responsabilités pèsent sur vos épaules. De l’association Act Up-Paris, Rémy Hamai ne connaissait pas grand-chose. Des opérations phares seulement, comme le préservatif sur l’obélisque de la Concorde en 1993. Après trois ans d’activisme, les choses ont pourtant considérablement changé. S’il n’était qu’un simple militant à son arrivée, il est aujourd’hui devenu le président de l’association de lutte contre le sida.

Le silence règne dans les locaux du mouvement. Les affiches noires frappées du triangle rose, symbole emblématique, recouvrent les murs. « Colère = Action » ou « Silence = Mort », les slogans coups de poing ne manquent pas. Ils attirent l’œil et marquent l’esprit. Au bout du couloir, le calme laisse place à l’agitation. Une poignée de personnes sort d’une salle de réunion. Parmi elles, le jeune leader.

Silhouette élancée, veste à capuche grise, il n’hésite pas à répondre aux dernières sollicitations avant de s’installer dans un petit bureau. Malgré son sourire, la fatigue se lit sur son visage. D’une voix hésitante, il revient sur son élection à la tête d’Act Up : « Mon investissement était devenu si important que ce rôle s’est présenté comme une évidence. »

D’abord membre du groupe de gestion, il a rapidement su maîtriser les thématiques de l’association et les questions médicales. Un militant présent sur tous les fronts. Le jour de l’élection, personne ne souhaite succéder à Mikaël Zenouda, l’ancien président. Dans un désir de faire perdurer le mouvement, Rémy Hamai décide de se présenter. Un mandat qui intervient à un moment crucial.

 

« Le sida, ce n’est pas que du cinéma »

Trois ans après son redressement judiciaire, l’association connaît une véritable résurrection grâce au film 120 battements par minute. Grand vainqueur de la quarante-troisième cérémonie des César avec six récompenses, dont celle du meilleur film, le long-métrage de Robin Campillo permet à une jeune génération de s’engager dans la lutte.

Les réunions hebdomadaires ont vu leur effectif quadrupler. Le président se doit d’accueillir les nouveaux bénévoles et de les ramener à la réalité. L’urgence, telle qu’elle est montrée dans le film, a changé. Aujourd’hui on vit plus longtemps avec le sida. Mais l’activiste tient à faire savoir que beaucoup de pathologies finissent par se greffer au VIH et que les traitements ont de nombreux effets secondaires. Il rappelle que le sida, ce n’est pas que du cinéma.

Né dans les Hauts-de-Seine, dans la commune d’Antony, Rémy Hamai a toujours été un élève consciencieux et doué pour les matières scientifiques. Après une classe préparatoire, il rejoint une école d’ingénieurs en bâtiment et travaux publics. C’est au début de ses études supérieures que Rémy découvre son attirance pour les garçons. Après un rapport sexuel, il décide de se faire dépister et apprend que ses résultats sont positifs au VIH. Une annonce qui marquera le début d’une bataille sans merci contre le virus.

Le jeune homme décide alors de se tourner vers des associations lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Il s’intéresse à la lutte pour les droits des personnes homosexuelles et prend conscience du poids des discriminations qui s’abat sur la communauté. Actif au sein du groupe militant de son université, il rejoint par la suite CAELIF, une structure qui rassemble toutes les associations étudiantes LGBT d’Ile-de-France. Cybèle Vigneron, la présidente du collectif, se souvient d’un garçon engagé et attaché aux problèmes de prévention. « Il nous reprochait de ne pas assez nous attarder sur la question du VIH », se rappelle-t-elle.

Un an après l’annonce de sa séropositivité, il rejoint les rangs d’Act-Up Paris. Un pas qui aurait été impossible à franchir quelques mois auparavant. Pour le jeune homme, rejoindre une association de malades et se confronter à la réalité demande beaucoup de recul. Ouverte au public, la réunion hebdomadaire du jeudi soir lui a permis de s’investir dans la lutte contre le sida. Un engagement qu’il qualifie de « besoin », afin d’apprendre à vivre avec la maladie et d’accepter le mal qui partage dorénavant sa vie.

« Quand je suis arrivé à Act Up, j’étais en colère, déclare-t-il. Mais cette colère m’a donné l’énergie de me battre. » Très vite, Rémy Hamai est séduit par la virulence des mots qui reflètent le quotidien des bénévoles. Comme beaucoup d’autres, ce combat est devenu une seconde vie. Il jongle entre son métier, ingénieur dans un bureau d’études, et les innombrables heures passées dans les bureaux de l’association. L’activiste considère le mouvement comme un véritable accélérateur professionnel. Tout ce qu’il fait au travail, il l’a appris ici. Mais cet engagement total ne se fait pas sans contrainte. La frontière entre la vie privée et la vie associative est de plus en plus mince. Il l’admet sans réserve : l’association prend beaucoup de place.

Une vie entre parenthèses

Rencontré durant le mois de mai, Mikaïl s’est rapidement lié d’amitié avec le jeune homme. Il le décrit comme un garçon souriant, joyeux et attentif. Dès leur première rencontre, Rémy Hamai a annoncé sa séropositivité. Mais ils ne parlent pas du sida. En soirée, on tente d’oublier ActUp, même si le sujet finit souvent par réapparaître. « Ça serait difficile d’avoir une histoire avec lui, déclare Mikaïl. Je ne vois pas Rémy vivre une relation normale, vu ce qu’il fait. »

Quand on aborde le sujet de sa famille, le jeune homme se referme. Il expédie le sujet. Ses parents connaissent son engagement mais ne le comprennent pas. Les relations sont devenues compliquées et le dialogue est inexistant. Revenir à son rôle de président suffit pour que le jeune homme reprenne de l’assurance. Être le porte-parole d’une telle association est une responsabilité que peu de bénévoles peuvent endosser. Il faut avoir l’énergie, le temps mais aussi la possibilité de s’ « outer » (révéler publiquement son orientation sexuelle) médiatiquement. En tant qu’homosexuel mais aussi en tant que séropositif. Une tâche compliquée pour le militant qui est encore dans une phase d’acceptation.

Sida et migrants, même combat

Trésorier de l’association depuis trois ans, David estime que le jeune homme tient bien son rôle malgré quelques à-coups. Un tel investissement entraîne parfois des conflits au sein du groupe. Si Rémy Hamai admet qu’il doute beaucoup de lui-même, les nombreux combats laissent peu de place aux remises en question. Il n’oublie pas que la lutte contre le sida est aussi une lutte pour les minorités car sans droits, celles-ci sont laissées à la merci du VIH. Se battre pour les travailleurs du sexe, pour les prisonniers, pour les transsexuels, la liste est longue et le militant peine à reprendre son souffle.

Soldat à vif

Le président se préoccupe également du sort des migrants, qu’il considère victimes d’« une nouvelle épidémie ». Dans une grande précarité, ces personnes sont davantage exposées au sida. Il explique que « 38 % des contaminations annuelles en France sont portées par des migrants. Il faut changer les choses ». Des victoires, il y en a et elles lui donnent espoir. Depuis le 1er janvier 2018, l’interdiction des soins funéraires pour les personnes séropositives est enfin levée.

Pour trouver l’âme sœur et vivre comme « tout le monde », il devra s’affranchir de son engagement selon Mikaïl. Une chose est sûre : Rémy Hamai ne tournera pas le dos à Act Up. « Ici, j’ai appris à crier et à me débattre verbalement », insiste-t-il. Privilégier les mots, le débat. C’est comme cela qu’il compte venir à bout de la mission qui lui a été confiée. Ce virus, le jeune homme continuera à l’affronter, même si ce combat se fait au prix d’une vie ordinaire.

 

Photo ouverture : Xavier Héraud – Photos des manifestations : La meute

Thomas Desroches

@ThomDsrs
23 ans.
Après une licence d’anglais,
j’ai intégré l’Anne Spéciale Journalisme,
mention presse magazine.
Passé par La Nouvelle République et Grazia.
Passionné par la culture et les sujets sociétaux,
je me destine à la presse magazine