Les agriculteurs pensaient tout savoir et prendre soin de leurs sols. Ils sont de plus en plus à prendre conscience qu’il n’en est rien. Influencés par des lanceurs d’alerte ou accompagnés par l’Inra, certains apprennent mieux à les connaître et à tester de nouvelles pratiques agricoles. Quitte à remettre en cause des fondamentaux, comme le labour.
Par Pierre-Emmanuel Erard et Bénédicte Galtier
Rapidement, un premier ver de terre apparaît puis un second. L’agriculteur les regarde comme s’il s’agissait de pépites. D’un geste, il nous montre les nombreux turricules entre chaque pousse de blé d’hiver. Ces petites billes de terre sont les excréments des lombrics. « C’est la preuve que le sol est vivant, proclame-t-il. Notre agriculture, c’est de la permaculture avec un minimum de chimie. » S’il emploie des herbicides, comme le glyphosate, c’est à doses homologuées. Pour lui, ce n’est pas la chimie qui détruit la microbiologie des sols, mais le labour.
Il en est convaincu depuis 1990. Après deux sécheresses consécutives, avec quelques cultivateurs de Touraine, il décide de ne plus labourer. Une simple expérimentation qui achève de le convertir. La qualité du sol s’améliore et les récoltes augmentent.
Les critiques des voisins ne sont pas tendres, mais père et fils n’en ont cure. Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France. Anthony regrette que cet adage soit encore respecté à la lettre. Difficile en effet de tordre le cou à des habitudes millénaires.
En 1995, Jean-Claude Quillet fait une rencontre décisive, celle de l’ingénieur agronome Claude Bourguignon. L’agriculteur est conquis par sa démonstration et lui demande d’analyser ses parcelles. « Il a su nous bousculer et a confirmé ce que nous pressentions : le labour tue les sols », se souvient Jean-Claude.
Pour le couple, les sols seraient au bord de l’asphyxie. La biomasse (la matière organique d’origine végétale) et les micro-organismes du sol (les bactéries et les champignons) se réduisent tant que le sol devient quasiment inerte.
L’approche du couple séduit partout dans le monde. Il choisit de se spécialiser dans la viticulture où les producteurs sont prêts à débourser des sommes plus importantes pour des analyses du sol.
Le déclic Terminator
Dans l’appellation saumur-champigny, à Parnay, le château de Targé surplombe la vallée de la Loire. La famille Pisani-Ferry y cultive 19 hectares de cabernet franc et 2 de chenin blanc. Depuis plus de quinze ans, ces viticulteurs font confiance aux Bourguignon jusqu’à laisser 2 hectares de vigne au repos afin d’assurer l’assolement préconisé par le couple. « Monsanto avait lancé la technologie “Terminator” qui produit des graines stériles, se remémore Édouard Pisani-Ferry. J’aime beaucoup Schwarzenegger, mais appliquer un tel processus sur la nature, c’est scandaleux. »
La stratégie des lanceurs d’alerte est payante mais leur prestation a un coût : de 3 000 à 5 000 euros par an pour un passage à chaque saison. Plus de glyphosate chez les Pisani-Ferry ? Qu’à cela ne tienne, les vignes seront désormais enherbées et traitées au soufre et au cuivre, autorisés en viticulture biologique. Ils entretiennent leurs sols uniquement en surface entre les ceps de vigne, à l’aide de lames, de pattes d’oie ou de herses rotatives. Le travail est chronophage car il nécessite plus de passages qu’en conventionnel, mais il enrichit le sol. « Y a pas photo. Le raisin gagne en qualité et l’environnement est respecté », poursuit son fils Paul qui est en train de faire certifier son vin bio.
Dépassés les Bourguignon ?
Si la presse est séduite et assure une belle couverture médiatique au couple Bourguignon, ces coups de projecteurs ont le don d’agacer l’Inra. L’institut lui reconnaît volontiers son rôle de lanceur d’alerte mais le considère un peu has-been. « Il ne s’appuie pas sur la microbiologie moléculaire qui permet d’étudier désormais 80 à 90 % des micro-organismes du sol », précise Lionel Ranjard, directeur de recherches à l’Inra.
« Ils nous prennent pour des rigolos. Nous ne disposons pas de leurs moyens mais notre métier est d’aller rencontrer les agriculteurs, pas de nous enfermer dans notre laboratoire », répond Claude, sans chercher à polémiquer. Il semble que la hache de guerre soit enterrée. La nouvelle génération de chercheurs, dont fait partie Lionel Ranjard, a pris les commandes de l’institut et entend innover. Depuis 2002, des campagnes sont mises en place pour combiner les données de l’Inra sur la qualité des sols avec celles d’agriculteurs volontaires.
La vie sous vos pieds
Pierre-Emmanuel Erard
@pemerard
28 ans.
Étudiant en Année spéciale de journalisme.
Passionné par l’histoire et la politique.
Passé par Ouest-France Bayeux.
Se destine à la presse écrite.
Bénédicte Galtier
@bene_galtier
41 ans.
Étudiante en année spéciale de journalisme.
Passionnée par l’action publique locale, le management, l’innovation, les relations internationales hispanophones. A travaillé auparavant en tant que chargée de communication interne dans le public et le privé. Passe par le magazine Management et le service Monde de La Croix cet été 2018.
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