Manque de place, préoccupations environnementales ou encore essor de la crémation, les cimetières français font aujourd’hui face à de multiples défis. Si des solutions se dessinent, les évolutions sont lentes dans un secteur marqué par le conservatisme. La route vers le cimetière de demain promet d’être encore longue.
Par Tiffany Fillon, Emma Gouaille, Charles Lemercier et Alizée Touami
Souvent, il nous arrive de pique-niquer dans ce cimetière. » Amanda Clot, conservatrice des cimetières de la ville de Niort (Deux-Sèvres), rit devant la réaction de ses interlocuteurs. Mais si la confession est étonnante, le lieu l’est tout autant.
On entre par le petit portillon en bois et on découvre un parc où la lumière traverse les feuilles des arbres. Les oiseaux chantent. On suit le chemin dessiné dans le gazon et on découvre des fleurs puis des pierres calcaires à nos pieds. Contrairement aux apparences, nous ne sommes pas dans un sous-bois, ni dans un parc mais dans un cimetière.
Dans le cimetière naturel de Souché, à Niort, au premier coup d’œil, on ne voit pas les tombes mais les dizaines d’arbres et les quelques sculptures en fer forgé. Les défunts qui ont choisi d’y être inhumés reposent quelques mètres plus loin. Il faut s’approcher pour comprendre que ce ne sont pas seulement des parterres de fleurs. Les pierres en calcaire sont en fait des pupitres sur lesquels on peut lire les noms des défunts.
Geoffrey Roy vient régulièrement se recueillir sur les tombes de sa mère et de son frère. Fasciné par cette initiative unique en France, il en profite pour prendre des photos.
« Ce n’est pas un cimetière mais un véritable lieu de vie. J’aime beaucoup m’y rendre, c’est reposant. On dirait un parc », confie-t-il. Et si le deuil pouvait être apaisé grâce à des lieux de souvenir comme celui-ci ?
Partout en France, les cimetières se végétalisent progressivement. Certains services funéraires se conforment déjà à la loi Labbé qui interdira les produits phytosanitaires à partir de 2020. Depuis deux ans, les 22 fossoyeurs du cimetière de Louyat, à Limoges, sont devenus des jardiniers. La surface est immense : le cimetière s’étend sur 40 hectares et compte 60 000 sépultures. Les 20 kilomètres d’allées sont progressivement engazonnés.
Mais ce choix est parfois mal perçu par les visiteurs qui y voient du laissez-aller : « Pour certaines familles, cette végétalisation ne respecte pas les défunts, explique Florence Gourdon, conservatrice des cimetières de Limoges. Nous faisons un travail de pédagogie pour montrer que le cimetière n’est plus minéral mais qu’il s’embellit. »
Les concessions sont privées et l’entretien est à la charge des héritiers. Ce devoir est inscrit dans le Code civil. Toutefois, les équipes doivent parfois intervenir quand les racines s’emparent des tombes en déshérence. Avec la démarche « zéro phyto », l’arrachage est devenu manuel ou mécanique pour respecter la biodiversité et la santé des agents.
En France, l’herbe ne pousse pas dans tous les cimetières. Une réalité que souligne l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). Dans des études conduites entre 2006 et 2016 sur les espaces funéraires du Grand Paris, il montre que les cimetières, « encore très minéraux et dominés par les sols imperméables (bitume), […] pourraient être davantage plantés et perméables ».
L’une des urbanistes, qui a participé à ces études, Emmanuelle Roux, considère que ces lieux ne peuvent plus se détacher d’un engagement environnemental : « Ce sont des espaces de vie pour une faune et une flore à préserver. Nous réfléchissons aux clôtures pour que des animaux, comme les hérissons ou les rampants, puissent les franchir. Nous devons aussi trouver des moyens pour que l’eau de pluie rejoigne les nappes phréatiques. »
Emmanuelle Roux s’estime plutôt entendue par la ville de Paris. Elle explique : « Le cimetière de Montmartre avait besoin d’être plus protégé. En 2012, nous l’avons signalé à la mairie. » Situé au nord de Paris, dans le 18e arrondissement, le cimetière de Montmartre séduit les visiteurs pour ses mausolées majestueux et ses tombes anciennes.
Le « petit Père-Lachaise », comme il est surnommé, est surtout fréquenté pour ses tombes de personnalités illustres. C’est ici que reposent notamment la chanteuse Dalida, l’écrivain Émile Zola, le chanteur Michel Berger ou encore le réalisateur et scénariste, François Truffaut.
Ces sépultures sont abritées par 783 arbres de 38 espèces différentes : tilleuls, thuyas, érables, marronniers… Malgré la végétation luxuriante, impossible d’oublier que l’on est au cœur de Paris. En levant les yeux, on aperçoit un pont verdâtre de métal et de pierre. La longue rue Caulaincourt surplombe le cimetière.
Aujourd’hui, il est en passe de devenir, avec le Père-Lachaise, le deuxième cimetière parisien classé. Selon Emmanuelle Roux, ce titre aidera à préserver davantage la faune et flore. Même si le cimetière de Montmartre devient plus vert, cela ne résoudra pas son problème de place.
L’Apur s’inquiète du « risque de banalisation et d’asphyxie du site au détriment de la qualité de
ses paysages et de la valeur de son patrimoine ». Un problème majeur qui concerne aujourd’hui une grande partie des cimetières parisiens.
Paris, asphyxiée par ses morts
La chambre régionale de comptes d’Île-de-France a récemment tiré la sonnette d’alarme. Estimant, dans un rapport rendu public en octobre 2018, que les « cimetières intramuros sont saturés », elle reproche à la ville de Paris de ne pas avoir « arrêté les grandes orientations qui devraient gouverner la gestion de ses cimetières ». Une réalité inquiétante compte tenu du vieillissement de la population parisienne. Celui-ci a débuté en 2008 « avec l’augmentation de l’espérance de vie et l’arrivée des générations du baby boom à l’âge de 65 ans », d’après l’Apur. Et ce processus n’est pas prêt de s’arrêtersi on en croit l’Insee : en 2040, la population âgée de plus de 60 ans représentera 25 % de la population parisienne.
À ce rythme, 10 350 personnes seraient susceptibles de se faire enterrer à Paris, en 2040. Pour le moment, la ville peine à trouver des places. Pourtant, chaque année, environ 8 000 personnes sont inhumées dans les cimetières parisiens (chambre des comptes d’Île-de-France). Parmi elles, 70 % sont enterrées dans les cimetières situés en périphérie, en particulier à Pantin, à Bagneux et à Thiais.
Pour Michel Kawnik, le président de l’Association française d’information funéraire (Afif), un organisme indépendant qui aide les familles en cas de décès, ces chiffres illustrent la crise des cimetières parisiens : « À Paris intramuros, beaucoup de personnes meurent chaque année. Ce n’est pas étonnant : la ville compte 2,2 millions d’habitants, plusieurs grands hôpitaux et des maisons de retraite. Mais les quatorze cimetières situés à Paris ne suffisent pas. »
Illustration : Salomé Fillon.
En plus des Parisiens, les personnes qui décèdent dans la ville et celles qui ont déjà une sépulture de famille dans l’un de ses vingt cimetières peuvent demander à y être inhumés, peu importe leur ville de résidence.
Puisque la municipalité assure la gestion de six cimetières en banlieue (Bagneux, Ivry, La Chapelle, Pantin, Saint-Ouen et Thiais), c’est bien souvent là que les défunts sont inhumés, faute de places ailleurs. Une situation délicate à laquelle Michel Kawnik a eu souvent affaire : « Les familles sont déstabilisées et doublement endeuillées : elles doivent non seulement accepter la mort d’un être cher mais aussi aller à l’encontre de sa volonté. »
Les concessions perpétuelles dans le viseur
Le rapport de la cour régionale des comptes d’Île-de-France est formel : ce manque de place s’explique par le nombre élevé de concessions perpétuelles. En France, la plupart des familles achètent le droit de se faire enterrer sur un emplacement du cimetière. C’est ce qu’on appelle une concession.
Ce droit peut être valable pour une durée déterminée, de dix, trente ou cinquante ans. Dans ce cas, la concession est dite temporaire. Cela implique que les familles renouvellent la concession à chaque échéance, avec un délai de deux ans.
Pour éviter ces démarches administratives, de nombreuses familles achètent des concessions perpétuelles, valables pour l’éternité. Le problème, c’est qu’elles prennent de la place dans les cimetières pendant très longtemps et ce, au détriment des nouveaux défunts. Or, à Paris, selon l’étude de la cour régionale des comptes d’Île-de-France, 97 % des concessions des cimetières intramuros sont perpétuelles.
Sur 5 000 demandes d’acquisition de concessions, en 2017, seules 170 ont abouti. Si la ville de Paris a réussi à dégager quelques emplacements, c’est notamment grâce à la reprise des tombes. Comme partout en France, si la sépulture est à l’abandon, il est possible pour la ville de reprendre la concession pour la revendre.
« Une procédure longue et fastidieuse souvent violée par les collectivités, commente Philippe Dupuis, juriste spécialiste du droit funéraire. Globalement, il est compliqué de faire une reprise en moins de quatre ans et demi. Au bout de cette procédure, on exhume les restes. Soit ils sont incinérés, soit placés dans un ossuaire. Encore faut-il que le cimetière en dispose. »
Le cimetière de Montmartre (à gauche) et celui du Père-Lachaise (à droite), connus principalement pour les célébrités qui y sont inhumées, font partie des quatorze cimetières intramuros de Paris. Photos : Laure Colmant (g.) et Janeb13/Pixabay (dr.).
À Paris, ces reprises de tombe sont d’autant plus compliquées à mettre en place que les cimetières intramuros détiennent une forte « valeur patrimoniale » et paysagère, d’après la Cour des comptes. Sépultures classées à Montmartre et au Père-Lachaise, ancienneté des arbres… Les motifs d’interdiction de revente des concessions sont multiples dans ces cimetières historiques créés au XIXe siècle.
La ville de Paris a trouvé d’autres solutions pour libérer de la place dans ses cimetières : l’augmentation des concessions à durée limitée et des prix des concessions. En 2008, une concession perpétuelle de 2 mètres carrés dans l’un des quatorze cimetières parisiens coûtait 11 086 euros. En 2018, ce prix s’élevait à 15 837 euros. Soit une augmentation d’environ 40 %.
« L’égalité de traitement et l’arrêt de la ségrégation par l’argent »
Yves Contassot
De quoi dissuader les moins aisés. Ces derniers peuvent se tourner vers les cimetières parisiens de proche banlieue où les prix sont beaucoup moins élevés. A Pantin, il faut compter 222 euros pour une concession décennale et 4 000 euros pour une perpétuelle.
Un mode de gestion déjà dénoncé, en 2002, par Yves Contassot, alors adjoint au maire, chargé des espaces verts. Souhaitant mettre fin aux concessions perpétuelles, il avait justifié cette mesure au nom de « l’égalité de traitement » et « l’arrêt de la ségrégation par l’argent ». Ces concessions rapportant à la ville, cette vision n’a pas fait l’unanimité. Ainsi, pour Jérôme Dubus, conseiller de Paris La République en marche, l’arrêt des concessions perpétuelles « entraînerait une perte de revenus ».
Depuis la création d’un groupe de travail sur cette question en 2017, Pénélope Komitès, adjointe aux affaires funéraires, s’est dite « ouverte à l’idée » de mettre fin aux concessions perpétuelles. Cette année, le comité parisien d’éthique funéraire, un organisme de conseil indépendant de la ville de Paris, devrait donner son avis sur la question.
Ce n’est pas la première fois que la mairie sollicite le comité pour cette raison. Alors qu’elle envisageait de mettre fin à ces concessions en 2007, elle avait déjà demandé l’avis du comité, composé de représentants du secteur funéraire. Il s’était prononcé en faveur du maintien des concessions perpétuelles. Cette décision explique, en partie, pourquoi la ville a poursuivi cette politique alors que, d’années en années, les cimetières parisiens manquaient de plus en plus de places.
Les concessions perpétuelles ne posent pas seulement des problèmes à Paris mais partout en France. C’est le cas à Marseille et dans plusieurs autres villes de Provence. Certains cimetières de la cité phocéenne sont complets. Le nombre de concessions qui se libèrent n’est pas suffisant. Les familles sont alors mises sur une liste d’attente. Elles sont parfois contraintes d’enterrer leurs défunts ailleurs, à plusieurs kilomètres.
Certains cimetières souffrent également de problèmes de gestion. C’est le cas de celui de Mazargues. Le seul pour tous les habitants des quartiers sud de Marseille. La place est un défi quotidien. Une saturation due au ratio encore élevé de concessions perpétuelles accordées pendant des décennies.
De plus en plus de villes suppriment la perpétuité des concessions et n’accordent des emplacements que pour une durée limitée. Pour Amanda Clot, la conservatrice des cimetières de Niort, cela facilite la gestion des concessions. « Les gens continuent de mourir. Si on ne touche pas à ceux qui sont déjà enterrés, quid des nouveaux morts ? Si ce système continue, dans plusieurs décennies, il n’y aura plus de place pour les suivants. Il faut faire des rotations », argumente-t-elle.
Le conseil municipal de Niort a décidé de ne plus attribuer d’emplacements de très longue durée en juin 2006. La mairie donne rendez-vous aux familles tous les quinze, trente ou cinquante ans.
Au-delà de son arrière-grand-père ou de son arrière-grand-mère, on n’a plus aucun lien avec les ancêtres. On ne va pas sur leur tombe.
« Nous ne les rencontrons pas forcément. Cela peut se faire par téléphone. Pour nous, quinze ans, c’est une bonne durée. Nous gardons un lien avec la famille, nous sommes sûrs de toujours avoir un interlocuteur », explique Amanda Clot.
Les durées plus courtes aident à maintenir la transmission familiale, qui est la base du système des concessions. « Au-delà de son arrière-grand-père ou de son arrière-grand-mère, on n’a plus aucun lien avec les ancêtres . On ne va pas sur leur tombe », précise le sociologue Tanguy Châtel.
Mais ces courtes durées ne permettent pas toujours d’éviter les problèmes, comme l’explique Philippe Dupuis : « Dans de nombreux cimetières, le titre de concession a beau être expiré depuis des années, les exhumations n’ont pas lieu. » En cause, leur coût élevé et le manque de fossoyeurs dans les communes.
Le problème de surpopulation et du manque de place dans les cimetières pousse certaines personnes à choisir la crémation. En effet, comme le souligne le juriste Philippe Dupuis, « un corps incinéré prend moins de place ». En octobre 2018, l’institut de sondage Ipsos a publié une enquête pour les services funéraires de la ville de Paris. Intitulée « Les Français et les obsèques : perceptions et attentes », elle révèle que, pour la première fois depuis dix ans, les habitants de l’Hexagone sont majoritairement favorables à la crémation.
Alors qu’en 2008, 53 % des personnes interrogées disaient la préférer pour leurs propres obsèques, ce chiffre s’élève désormais à 63 %. Parmi ces personnes, 42 % se disent avant tout motivées par le souhait de ne pas laisser de traces après leur mort et de ne pas prendre de place.
Comment expliquer ce succès grandissant ? « D’abord, par le fait que les sociétés occidentales sont moins religieuses. C’est aussi plus facile de choisir la crémation. Il y a des crématoriums à peu près partout en France. Quand vous n’aviez un crématorium qu’à 200 kilomètres de chez vous, c’était bien plus difficile. Un effet de seuil a été franchi. Et l’offre permet à la demande de se développer davantage », détaille Tanguy Châtel.
C’est à la fin du XIXe siècle qu’elle s’est développée avec, notamment, la création du crématorium du Père-Lachaise, entre 1887 et 1888. « Il est resté quasiment le seul crématorium de France jusqu’en 1973. Pendant près de cent ans, la crémation existait sans être réellement pratiquée. Sauf par des libres penseurs, des athées convaincus, des laïcards forcenés », rappelle le sociologue.
« De coutume, on préfère se recueillir sur la tombe de nos proches pour recréer le lien familial, même après la mort »
Pierre Cayron, catholique non pratiquant
Il faudra attendre les années quatre-vingt-dix pour voir l’essor important de la crémation. Aujourd’hui, elle n’est plus seulement choisie par les non croyants. Mais si les bouddhistes et les hindous la plébiscitent, que les chrétiens l’approuvent, certaines communautés religieuses l’interdisent toujours. C’est le cas des juifs et des musulmans qui accordent une importance primordiale au corps et à l’enterrement des défunts.
Certains athés se montrent aussi réfractaires. C’est le cas d’Elisa Gallet, une étudiante de 21 ans. Son grand-père a été incinéré en novembre 2018 : « Avant sa mort, ma mère, ma sœur et moi voulions être incinérées. Mais nous avons trouvé la crémation violente et dure. C’est difficile de se rendre compte que le corps de la personne défunte disparaît en même temps qu’elle. »
Depuis, les trois femmes envisagent très sérieusement l’inhumation, même si elles ont encore quelques doutes sur ce choix. De son côté, Pierre Cayron, catholique non pratiquant, penche de manière plus certaine pour l’inhumation : « De coutume, on préfère se recueillir sur la tombe de nos proches pour recréer le lien familial, même après la mort. »
Les mentalités changent lentement. Selon les projections, on estime que d’ici 2030, la moitié des défunts seront incinérés. Pour Tanguy Châtel, la mort est un révélateur social : « Aujourd’hui, la question de la mort est traitée sous l’angle écologique, économique et technologique. À chaque fois qu’on observe une société, c’est intéressant de regarder comment elle voit et traite la mort. Cela nous renseigne sur son rapport à la vie et sur ses valeurs motrices. »
Un repos éternel écologique et durable
Chaque année, les professionnels du funéraire se réunissent au Bourget (Seine-Saint-Denis) ou à Lyon (Rhône), par alternance, pour partager des nouveautés comme l’urne biodégradable. L’innovation écologique répond à la demande des Français qui veulent être plus respectueux de l’environnement, même après leur décès. Ce que confirme le baromètre de l’institut de sondage Ipsos : 38 % des personnes qui se disent prêts à choisir la crémation jugent cette solution meilleure pour l’environnement. Si l’impact écologique de cette pratique reste discutable, cela témoigne d’une demande importante.
C’est pour répondre à cette nouvelle attente écologique que le cimetière naturel de Souché a vu le jour. Loin « des parkings de la mort » qu’il abhorrait, Dominique Bodin, conservateur à l’origine du projet, a conçu un lieu à l’opposé des cimetières traditionnels français. « Pour lui, la pollution que génèrent les funérailles traditionnelles, pour le sol, les agents est une hérésie environnementale. Il en a eu assez de voir ces granits de Chine ou d’ailleurs qui remplacent nos beaux monuments en pierres. Il s’est dit “On ne peut pas continuer comme cela” », se souvient Eve-Marie Ferrer, la paysagiste qui a imaginé le cimetière avec lui.
Eve-Marie Ferrer, paysagiste pour la ville de Niort (gauche), et Amanda Clot, conservatrice des cimetières niortais, travaillent ensemble au cimetière naturel. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Le cimetière naturel est installé juste à côté du cimetière traditionnel. Ils ne sont séparés que par un portail. Pourtant, tout les distingue. D’un côté, des tombes alignées parallèlement, recouvertes d’imposants monuments en granit et d’objets funéraires en tout genre. De l’autre, des tombes fleuries qui se fondent dans le paysage. Enfin presque. « L’idée de départ, c’était de ne pas les délimiter. Mais peu à peu, les familles ont souhaité dessiner leur espace, leur terrain. Alors on fournit des petites barres en bois à ceux qui en ressentent le besoin », explique Amanda Clot, la conservatrice des cimetières de Niort.
Ceux qui souhaitent reposer dans ce havre de paix doivent signer la charte du cimetière naturel qui définit toutes ces obligations. Une clause particulière est dédiée à la plantation de végétaux. Seules certaines plantes sont autorisées, les espèces envahissantes ou exotiques sont interdites. « Nous avons dû rappeler à l’ordre certaines familles qui avaient planté des oliviers ou des mimosas qui peuvent devenir très volumineux », sourit Eve-Marie Ferrer.
Les familles ne peuvent pas s’approprier l’espace indéfiniment puisqu’à Niort, les concessions perpétuelles ne sont plus accordées. Elles ont le choix entre une cavurne, une sépulture ou la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir. Tous ces emplacements sont accordés en concessions de quinze ou trente ans renouvelables.
Pour Corinne Durgand, gérante des établissements Bonneaud, à Niort, c’est aux professionnels de funéraire de s’adapter à l’évolution du marché. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Le cimetière naturel bouscule toutes les habitudes funéraires françaises. Plutôt que dans un caveau en granit pour accueillir le défunt, le cercueil est inhumé à même la terre. Avec l’interdiction des monuments et des caveaux, les marbriers niortais voient leur activité diminuer. Corinne Durgand, gérante des établissements Bonneaud confirme : « En cas d’inhumations dans le cimetière naturel, nous fournissons seulement les pupitres en calcaire. Le coût est moindre par rapport à une pierre tombale. De plus, les fleurs artificielles et les objets funéraires sont interdits. »
Le pupitre gravé et son installation coûtent de 200 à 290 euros alors qu’une pierre tombale revient en moyenne à 1 000 euros. Si le cimetière naturel devenait la nouvelle norme, son entreprise pourrait sérieusement en pâtir. Pour l’instant, la marbrière garde le sourire. « Le succès du cimetière naturel prend tout doucement. Notre entreprise n’en paye pas encore les conséquences, assure-t-elle. Toutes les communes commencent à faire des cimetières paysagers. C’est à nous de nous mettre à niveau et de trouver des nouvelles idées pour nous y adapter. »
Pour les pompes funèbres aussi, le cimetière naturel est synonyme de changements. Les cercueils vendus doivent être en bois non traité, issu d’une forêt française et les soins de conservation sont interdits. L’objectif ? Préserver les sols. Le formol, un produit toxique utilisé pour la conservation, a été reconnu comme un cancérogène certain par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais il continue d’être privilégié par les thanatopracteurs pour redonner une belle apparence au corps. Ou quand les obsèques ne peuvent avoir lieu rapidement.
Les soins de conservation représentent une part non négligeable de la somme totale demandée aux familles. Selon les devis, le prix peut atteindre plusieurs centaines d’euros. Le gérant des Pompes funèbres générales de Niort reste évasif. Il assure présenter le cimetière naturel lorsque les clients le lui demandent. « Quand une famille vient après un décès, ce n’est pas le moment de changer les mentalités. On ne prend pas position. De toute façon, aujourd’hui, de plus en plus de personnes préparent leurs obsèques avant leur décès, les gens se projettent plus », affirme le conseiller funéraire qui souhaite rester anonyme.
Pour les pompes funèbres Terrasson, à Niort, le cimetière naturel est un cimetière comme un autre. « Lors d’un décès, on présente systématiquement les onze cimetières en nous basant sur le livret fourni par la ville », affirme Laura Rouillé, conseillère funéraire. Pour elle, c’est une question de génération. « Les anciens sont encore très conservateurs : le corps est présenté dans le cercueil. Ils vont dans un cimetière traditionnel avec un monument, une gravure… Les jeunes sont plus ouverts. Il faut juste leur laisser le temps de grandir et de voir leurs parents mourir. »
D’après Laura Rouillé, conseillère funéraire à Niort, la nouvelle génération s’orientera vers le cimetière naturel. Photo : Alizée Touami/EPJT.
Quatre ans après son ouverture, le nombre d’inhumations et de crémations au cimetière naturel est dérisoire. Depuis 2014, il a accueilli 88 défunts. Alors que, juste en 2017, dans l’ensemble des cimetières niortais, 1 508 défunts ont été incinérés ou inhumés.
La conservatrice des cimetières raconte que, lorsque le crématorium de Niort a ouvert, en 1989, il n’y a eu que 200 crémations la première année. « C’est le crématorium qui vendait des urnes. Les entreprises de pompes funèbres n’étaient pas prêtes à le faire. Elles se sont montrées très réticentes, elles pensaient que c’était la fin de leur commerce. Pourtant, elles se sont adaptées. Elles feront de même pour les prochains cimetières naturels », assure Amanda Clot. Malgré les débuts timides, pour elle, pas de doute, le cimetière de demain sera naturel.
Des lieux moins sanctuarisés
D’après le sociologue Tanguy Châtel, il s’agit aujourd’hui de réintégrer les cimetières au cœur de la vie. Et cette volonté répond, pour une part du moins, à la demande de végétalisation que nous connaissons aujourd’hui : « Les villes ont continué à s’étendre. Elles se sont rapprochées des cimetières. Le minéral incarnait ce qu’il y avait de plus proche pour figurer l’éternité. » Et selon le chercheur, aujourd’hui, cette dernière n’intéresse plus grand monde. Au contraire, les Français voudraient des cimetières plus discrets, plus chaleureux, plus paysagers, des lieux de promenades.
Il poursuit : « Les gens viennent pique-niquer ou lire un livre dans les cimetières. Dans beaucoup de villes, des parcours fléchés indiquent les emplacements des tombes. C’était inconcevable quand j’étais jeune. » En somme, des lieux moins sanctuarisés, mieux intégrés. Que cimetière rime aussi avec culture.
Pour Emmanuelle Roux, urbaniste, pas question qu’ils deviennent des parcs pour autant : « Le cimetière de demain ne devrait pas être un endroit où des enfants courent partout mais un lieu respectueux de l’environnement où l’on pourrait se recueillir de manière apaisée. »
Qu’ils soient naturels ou traditionnels, les cimetières ne sont pas prêts de disparaître, comme le pense Martin Julier-Costes, anthropologue et sociologue : « Nous ne pouvons pas vivre constamment avec des morts autour de nous. Alors, pour assurer la séparation avec les vivants, nous avons créé des cimetières plus ou moins fermés. » Dans l’imaginaire collectif, ils tiennent la mort à distance. Ancré dans la mentalité occidentale, le cimetière a donc encore de beaux jours devant lui.
Tiffany Fillon
@Tiffany_Fillon
22 ans.
En licence pro spécialité presse écrite, avec un attrait pour la vidéo.
Rêverait de travailler pour la presse nationale ou en agence de presse, de préférence à l’étranger.
S’oriente vers des sujets de société liés aux migrations, minorités, discriminations, à la solidarité et à l’éducation.
Emma Gouaille
@emmagouaille
23 ans.
En licence professionnelle spécialité radio à l’EPJT.
Passée par Sud Ouest, France Bleu La Rochelle et Bel RTL.
Trilingue, souhaite travailler à la radio à l’étranger. A une préférence pour les formats longs.
Charles Lemercier
@Ch_Lemercier
20 ans.
En licence professionnelleà l’EPJT journaliste en alternance à France 3.
Passé par Ouest-France, TV Rennes et LCI.
Se dirige vers une rédaction en télévision, sans oublier la caméra pour autant.
Alizée Touami
@TouamiAlizee
20 ans.
En licence pro à l’EPJT, spécialité radio.
Passée par Ouest-France et RCF Touraine.
Multitâche passionnée par le son et les formats longs.
Aimerait se lancer dans la production de podcasts et développer ses compétences sur le web.