Sara Imloul, le temps long d’un instant

Photo : Emanuel Bovet

Lauréate du Prix Levallois 2019, elle a participé au Paris Photo Fair 2022. Sara Imloul occupe une place unique dans le monde de la photographie.

Par Tom Demars-Granja

Les sœurs tableaux ©Sara Imloul
La calotypie est un procédé long et fastidieux. Prendre une photo demande un temps de pose pouvant dépasser les quarante-cinq secondes. Les images doivent être tirées par contact, tandis que la taille du tirage correspond à celle du négatif. Enfin, il faut retravailler les détails du cliché au pinceau avec différents produits chimiques, telles des peintures miniatures. La calotypie demande donc de la patience et un travail minutieux. Pas de quoi effrayer Sara Imloul, elle qui a bâti sa carrière d’artiste sur ce processus. Après tout, elle aime prendre son temps : « Je suis lente, il faut l’admettre. »

Des ombres fantomatiques du Cirque noir (2008-2011) aux scénettes expressionnistes de Das Schloss (2014) en passant par la faune de Chez moi (2020), Sara Imloul a trouvé dans le format sériel  le moyen de laisser libre-cours à son imagination.

Conteuse d’histoires dans l’âme, elle élabore une scénographie unique pour chaque photo, qui s’inscrit elle-même dans une mythologie plus large. Chaque objet visible dans le cadre, l’angle choisi, la position du sujet, les rajouts en post-production… le moindre détail passe par « un comité de censure très sélectif », s’amuse-t-elle.

Passages, de l’Ombre aux Images – qui lui a valu le prix Levallois en 2019 – a ainsi demandé trois ans de travail. « Une série, c’est vraiment comme un parfum : j’ai une idée globale de ce que je veux dire et puis, je vais l’ajuster. S’il y a des fulgurances, tant mieux », résume-t-elle. Chez Sara Imloul, la photographie découle de l’histoire qu’elle a imaginée et non l’inverse. Sa pire hantise est de « juste faire de belles photos en noir et blanc ».

File indienne, série Exodes ©Sara Imloul
Une rigueur créative déjà visible lors de son enfance à Mulhouse. Alors qu’elle n’est qu’une petite fille, Sara Imloul écrit une histoire, dirige Elsa – une cousine qu’elle considère comme sa sœur – et soigne l’aspect visuel (décors, costumes, accessoires, etc.) dans les moindres détails pour sublimer l’ensemble. Réalisatrice avant l’heure, elle tourne sans en avoir conscience un véritable court-métrage de fortune.

« Ça me paraît dingue aujourd’hui, car je ne connaissais pas l’existence du montage, mais j’ai réalisé un film, se souvient-elle. Je prenais le caméscope de la famille, je filmais ma cousine – déjà en noir et blanc – et quand ça n’allait pas, je rembobinais pour qu’elle rejoue la scène. » Hélas, ce fameux projet n’a pas survécu bien longtemps : « Je crois qu’on a enregistré Dirty Dancing sur ce film », regrette-t-elle.

La confiance qu’elle porte envers son univers n’a depuis cessé de grandir. Lors de ses années d’études supérieures à l’Ecole de photographie de Toulouse (Epta), Sara Imloul fait la rencontre de Dimitri Beck, le rédacteur en chef de Polka Magazine. Ce dernier est venu présenter le photoreportage de guerre aux étudiants, mais aussi étudier leur portfolio. Sara Imloul ne voit alors « aucun point commun » entre son art et ce qu’il est venu présenter. Elle décide donc de passer son tour.

Cependant l’un de ses professeurs l’a inscrite sur la liste. « Je pense que c’était gentil, ironise-t-elle. Mais aussi parce que j’étais tellement arrêtée dans ma vision qu’il a voulu me confronter à un pro. »

Malgré ses réticences, l’étudiante de 22 ans présente son travail. À sa grande surprise, Dimitri Beck a un coup de coeur. « Je crois qu’il était surtout étonné de voir ma jeunesse et le procédé que j’utilisais. » Sa première série, Le Cirque noir, sera exposée, du 15 mars au 12 mai 2012, à la galerie Polka.

La Vague ©Sara Imloul
Depuis, Sara Imloul continue de suivre la voie qu’elle s’est tracée. Sûre de ce qu’elle veut, elle ne cherche pas à s’inscrire dans une quelconque tendance. « En réalité, je n’aime pas plus la photo que le cinéma ou la peinture. Je ne vais que rarement aux vernissages, j’achète peu de livres de photo », avoue-t-elle. Ses influences restent d’ailleurs les mêmes depuis le début de sa carrière. Un petit panthéon où sont rassemblés André Kertész, Sergueï Paradjanov, Sarah Moon, Christian Boltanski et Pina Bausch. « Je reviens toujours vers les mêmes et ça tourne, comme un petit manège, résume la photographe. Comme j’y cherche autre chose, j’y trouve autre chose. »

Sara Imloul se rapprocher ainsi de ses modèles, tout en allant toujours « à l’essence » même de son propre langage. Quitte à prendre son temps.

Tom Demars-Granja

@tomdemarsgranja
23 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Intéressé par le cinéma, la bande dessinée, la photographie et la littérature.
Passé par Beware! magazine, The Conversation, RFI, O2 Radio, L’Eclaireur et L’Est Éclair.
Se destine au journalisme culturel et aux photoreportages.

.