ROSELINE RICHARD, rescapée du Covid-19

“Quand on sort du coma, on n’a qu’une envie, c’est essayer de revivre”

Illustrations Léone Naigre

Durant le premier confinement, des milliers de personnes ont été admises en réanimation après avoir contracté le coronavirus. C’est l’histoire de Roseline Richard. Elle est restée dix jours dans le coma, seule avec elle-même.

Recueilli par Éléa N’Guyen Van-Ky

Pour Roseline, 52 ans, la vie reprend son cours. Pourtant, au printemps, lors de la première vague du coronavirus, elle est hospitalisée dans le service de réanimation de l’hôpital de Beauvais (Oise). Elle est plongée dans le coma. Pendant dix jours, elle s’accroche à la vie, pour ses filles et pour son mari, lui aussi hospitalisé. Sa traversée de la maladie, elle la voit comme une série d’étapes à franchir. La première, ressortir vivante. La deuxième, réapprendre à vivre. La troisième, reprendre le travail. La dernière, laisser la maladie s’en aller et tourner la page.

Quand j’ai su que j’avais attrapé le Coronavirus, j’ai eu peur. Peur de ne pas m’en sortir. C’était tellement médiatisé. On ne parlait que des morts. Je me suis dit que je n’allais pas m’en sortir et que je ferai partie de ceux qui ne reviennent pas. Et puis on m’a plongée dans le coma.

Quand on est dans le coma, on est totalement sédaté mais la conscience continue de travailler. Moi, j’ai rêvé, mais c’était presque des cauchemars à la fois. J’ai été en Chine, je suis passée par l’Afrique où j’ai rencontré des tribus. J’ai vu de la fumée noire, de la fumée rouge et une dame noire, assez âgée, qui m’a demandé de partir avec elle, de prendre la place de sa petite-fille décédée. A mon réveil, cela me semblait comme la réalité.

Et puis mes filles, j’y pensais tout le temps. Quand je voyais que mon corps n’arrivait plus à lutter contre le virus, je me battais pour elles.

Quand on est dans le coma, on n’entend rien, on ne sent rien. On nous retourne toutes les six heures pour nous aider à mieux respirer. Moi, je ne l’ai su qu’après. Parce que quand j’ai été réveillée, j’ai eu de la kiné respiratoire. Le premier jour, la kiné arrive et me dit : « Je suis votre kiné, c’est moi qui vous suivais quand vous étiez en réa. » Et moi, j’ai répondu : « Je ne vous ai jamais vue. » Alors elle m’a dit : « Vous ne pouviez pas parce que vous dormiez pendant que moi je travaillais. »

Quand on est dans le coma, on n’a aucune notion du temps. Quand on m’a réveillée, on m’a demandé la date du jour. Je n’ai pas su dire le jour. Par contre, j’ai dit qu’on était en 2020.

uand je suis sortie du coma, je me suis dit : « Ça y est ! J’ai gagné. » Psychologiquement, je n’étais pas bien parce que mon mari, Stéphane, y était encore [son mari est resté un mois dans le coma, NDLR]. Et puis je n’avais qu’une envie, c’était de sortir de là, de retourner voir mes filles, de les serrer dans mes bras. Quand les infirmiers ont essayé de me mettre debout, mes pieds et mes jambes se sont comme enfoncés dans le sol. Je ne pouvais plus supporter mon corps. J’ai dû réapprendre à marcher, à écrire, à manger, à faire marcher ma mémoire…

Après le coma, on vit confiné. J’ai repris mon travail à mi-temps, donc je travaille deux jours et demi par semaine. Mais sinon, je ne sors pas. Pas de restaurant, pas de cinéma, pas de piscine… Je fais mes courses au drive. Je ne vis plus en fait. La peur, elle est là. Je pense que je guérirai de tout cela quand on n’entendra plus parler du coronavirus.

Ce virus, il est dévastateur parce qu’on ne sait pas comment seront nos poumons quand on sera vieux. Et puis c’est une bombe à retardement. Quand je suis sortie de l’hôpital, j’allais bien. Je n’avais pas de problème de hanches. Mais deux mois plus tard, je ne pouvais plus marcher. Je n’ai plus ce dynamisme que j’avais avant. Je suis vite fatiguée. La seule chose positive, c’est que je perds des kilos. J’en ai perdu 12. Sauf qu’au niveau des muscles, je suis une loque. Porter un pack d’eau, c’est tout un monde.

Au début, je voyais un kiné tous les deux jours parce que tous les jours, c’était trop fatiguant. Quand on sort de l’hôpital, on n’a qu’une envie, c’est de dormir. Aujourd’hui, mes séances sont terminées donc je fais de l’autorééducation. Je me force à faire des choses pour faire fonctionner mes muscles. Nous [elle et sa famille, NDLR] avons été suivis par un psychologue de l’hôpital pendant un moment mais ce n’est pas suffisant. Le psychologue, il faudrait presque l’avoir à la maison.

On nous appelle les « rescapés de la Covid-19 ». Rescapé, c’est un terme qu’on utilise pour quelqu’un qui part à la guerre et qui en revient. C’est vraiment ça. Cette maladie, c’est un enfer, c’est un cauchemar. Je souffre d’une pathologie asthmatique et j’étais en surpoids donc, forcément, j’étais vulnérable. Mais je me suis battue contre ce virus. C’était, c’est toujours une lutte et il faut avoir un sacré mental pour s’en sortir.

Ce mental, je l’ai, je l’ai toujours eu, mais plus d’une fois, dans mon coma, j’ai voulu baisser les bras. J’avais l’image de mes filles qui revenait et je me disais : « Je ne peux pas. » Je ne pouvais pas les laisser.

Mes filles, elles ont souffert peut-être plus que moi. Elles aussi, ce sont des rescapées.

Éléa N’Guyen Van-Ky

@eleangvk
21 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par Guadeloupe la 1ère. Co-créatrice de Topic 
Passionnée par l’actualité internationale et les sujets de société.
Touche-à-tout, se destine au journalisme web ou au photojournalisme