Rallyes en circuit fermé

Dès le début du cours de rock, élèves et professeurs s’alignent sur la piste de danse pour entamer le célèbre madison. Élise Gilles/EPJT

Des rallyes mondains aux mariages arrangés, la bourgeoisie continue d’organiser son entre-soi. Dès le collège, les enfants participent à des activités destinées à leur faire rencontrer des jeunes du même cercle.

Par Elise Gilles et Théo Touchais

Cest un milieu très formaté. Ils font tout comme leurs parents, ils pensent comme eux et ne sont pas ouverts d’esprit. » Thomas a participé à des rallyes parisiens mais a quitté ce monde dès sa majorité. « Plus les gens sont riches, plus leur vision est étriquée. Cet entre-soi ne m’a jamais plu. »

Les rallyes, ce sont des réseaux cloisonnés qui font peu parler d’eux. Mais ils restent influents, grâce à une forte ancienneté et une tradition qui perdure. « Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les mariages arrangés ne convenaient plus à la jeunesse dorée », raconte Françoise, organisatrice des rallyes Châteaux. Pour permettre à leurs enfants de rencontrer un futur conjoint du même rang, les mères de familles nobles et bourgeoises ont décidé de remettre au goût du jour le principe des soirées rallyes, ces bals organisés par les aristocrates qui se déroulaient à la suite des courses automobiles du même nom. Ces réceptions sont ensuite devenues une réelle institution pour familles aisées.

Aujourd’hui, les rallyes restent des cercles privés dont les membres se méfient des intrus (journalistes en tête) et cultivent le mystère. Chaque rallye est organisé par une association ou une entreprise autour d’une thématique (châteaux, oiseaux, famille royale) et d’une tranche d’âge. Ils se déclinent ensuite en journées, soirées, activités aux frais des familles, et ce tout au long de l’année.

Un milieu de codes et d’argent

Pour entrer dans un rallye, il faut obligatoirement connaître quelqu’un qui fait déjà partie du réseau et se soumettre à quelques obligations. La plupart font signer une charte comportant des règles de bienséance : répondre aux invitations, se présenter aux parents qui reçoivent, remercier l’hôte en partant. Deux règles sont communes à tous : les hommes doivent inviter les femmes à danser et ces dernières sont obligées d’accepter. Il faut aussi s’habiller de manière distinguée.

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Règle majeure de tout rallye : une jeune fille se doit d’accepter l'invitation à danser de n'importe quel garçon.

Élise Gilles/EPJT

Il y a aussi des exigences économiques à respecter. L’inscription au rallye coûte une centaine d’euros en moyenne. Être un garçon ou une fille importe beaucoup lorsque l’on entre dans ce monde. Le budget dépensé est beaucoup plus important pour les femmes. Selon la tradition, ce sont elles qui doivent recevoir et donc organiser les soirées dansantes. Cela représente « une charge de 3 000 à 10 000 euros en général », indique Mme Lanquet, membre du rallye Cheverny.

Dès l’âge de 8 ans, les familles inscrivent leurs enfants aux rallyes pour ne pas se retrouver sur liste d’attente. Le cycle démarre à 12 ans en moyenne pour les filles contre une ou deux années de plus pour les garçons. Pendant deux ans, les collégiens enchaînent les sorties culturelles, sportives et les loisirs dans des groupes non mixtes. L’année suivante, ils se retrouvent pour des jeux de cartes, de casino et du billard.

Garçons et filles consacrent ensuite leur quatrième année à des cours de « rock » une fois par mois, au cours desquels ils apprennent aussi à danser la valse et le madison. C’est à ces occasions que les familles des garçons reçoivent. Ils finissent leur cycle de rallyes par des soirées dansantes, organisées deux fois par mois pendant tout leur lycée, voire pendant un an en études supérieures. Il existe même des soirées mondaines pour les trentenaires célibataires qui souhaitent trouver un conjoint du même milieu social.

Les rallyes sont fréquents et nombreux, surtout dans la capitale. Mais il en existe aussi beaucoup en province, aussi bien dans les grandes métropoles telles Lyon ou à Toulouse que dans les plus petites villes comme Tours. Si l’idée et les principes du rallye restent inchangés, les soirées parisiennes et les soirées en province diffèrent sur plusieurs points. « En province, c’est beaucoup plus familial », confirme Fanny Barraya, organisatrice du rallye Plantagenêt d’Angers. « Ici, ce sont les familles qui reçoivent qui cuisinent pour leurs invités. Il n’y a ni traiteurs ni serveurs. Ce sont des petits comités de maximum 80 personnes. »

 
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Si en Province, les plats sont plus familiaux, les rallyes parisiens ne manquent pas de raffinement. Des traiteurs réputés sont employés à chaque évènement pour nourrir avec bon goût les invités.

Élise Gilles/EPJT

La durée des rallyes est également plus courte qu’à Paris puisque certaines activités ne sont pas organisées hors de la capitale. « Notre rallye ne commence qu’à partir des cours de danse. Nous ne faisons pas de sorties culturelles ni de jeux », explique Caroline Guy-Mallet, cofondatrice du rallye Plantagenêt. Les rallyes de province sont d’ailleurs moins traditionnels puisque lors des soirées dansantes, les familles de garçon doivent aussi recevoir. Pour tous, en revanche, les échanges continuent de se faire de préférence par courrier postal.

Pour certains parents, intégrer un rallye est une expérience bénéfique pour les enfants : « Je pense que ces différentes activités les obligent à s’intéresser aux autres », témoigne Mme Jeannerod, fondatrice des rallyes Tourmaline. Ces rendez-vous seraient l’occasion d’apprendre les bonnes manières. « Pour moi, c’est essentiel de savoir répondre à une lettre, se présenter à quelqu’un », explique Caroline Guy-Mallet.

Mais pour d’autres, ce réseau est plutôt symbole d’enfermement. Comme Léa, étudiante angevine qui, après être allée à une soirée rallye par curiosité, en est repartie choquée. « Ils sont décalés par rapport à la réalité, que ce soit au niveau financier, social ou politique. Ils sont dans leur cocon. »

Pourtant, ceux qui participent à ce genre d’événement sont convaincus que les rallyes ne favorisent pas d’entre-soi. Christophe, père d’une jeune fille ayant récemment organisé une de ces soirée, l’affirme : « Aujourd’hui, on accepte les nouveaux riches. »