Psychiatrie

L’ambulatoire confiné

Pendant le confinement du printemps 2020, 10 % des patients en psychiatrie ont été momentanément perdus de vue. Photo : Clara Jaeger/EPJT

 Avec la crise sanitaire, plus de 2 millions de patients atteints de troubles mentaux se sont retrouvés confinés. Le secteur a dû s’adapter pour continuer à les accompagner. Une situation délétère qui a mis en lumière la place de la psychiatrie dans la société. Profitant des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, les 27 et 28 septembre, les experts ont rappelé le manque de moyens criant octroyé au secteur.

Par Théodore de Kerros, Camille Granjard et Clara Jaeger.
Illustrations : Mathilde Romand

« J’aurais aimé voir des gens, des infirmiers, des psychiatres… » Ciel a 33 ans. Elle fait partie des patients en psychiatrie qui auraient eu besoin d’être plus suivis pendant le premier confinement, du 17 mars au 10 mai 2020. Diagnostiquée bipolaire à l’âge de 22 ans, son état est désormais stable. Elle est même devenue pair-aidante – une patiente qui est en capacité d’épauler d’autres malades. 

Mais l’isolement dû à la crise sanitaire n’en a pas été moins compliqué à gérer pour elle : « J’aurais voulu entretenir un contact humain au sein des CMP , avoir un soutien émotionnel. »

En région parisienne, ce premier confinement a aussi été une réelle épreuve pour Yohann. Atteint de troubles dépressifs et agoraphobe, le trentenaire pousse les portes du SAVS Samsah de Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne) en 2019. Après cinq ans d’attente, il est enfin accompagné par ces services dans sa vie quotidienne. 

Mais Yohann ne peut pas rester seul très longtemps dans son petit appartement francilien. Pendant le confinement, son médecin lui fait donc une attestation dérogatoire pour qu’il puisse se réfugier chez ses parents en cas d’urgence. 

Yohann fait partie des 2,1 millions de personnes suivies en ambulatoire en 2020. Soit une personne sur 35 en France. Au cœur de cette stratégie de soin, une structure s’impose : le CMP, qui gère plus de la moitié des prises en charge. 

Mais au printemps 2020, la plupart des centres médico-psychologiques, des hôpitaux de jour et des autres services ambulatoires ferment leurs portes. Du jour au lendemain, tous les patients qui les fréquentent se retrouvent isolés chez eux. Pourtant, ces établissements sont essentiels dans le suivi psychiatrique. Plus que des lieux de soins, ils représentent des espaces de socialisation pour les patients. 

Infirmière en psychiatrie dans la région parisienne depuis 2014, Joyce Brunet a exercé en intra et en extrahospitalier. Elle était habituée à suivre de nombreux patients. Et puis le confinement a tout arrêté. Plus de visite, plus de contact direct, plus de discussion, toutes ces petites choses si importantes quand on ne va pas bien.

Pendant le premier confinement, la téléconsultation et les appels téléphoniques ont remplacé le suivi en présentiel des patients. Illustration : Mathilde Romand

« Pour plusieurs patients, c’était le seul lien social », soupire Joyce Brunet. Enfermés chez eux pendant des mois, certains ont perdu l’équilibre qu’ils avaient retrouvé. Quelques-uns ont parfois rechuté. 

Christelle a 26 ans. Elle est suivie depuis une dizaine d’années pour troubles dépressifs et suicidaires. Désormais stabilisée, la jeune femme a posé ses cartons dans une résidence spécialisée pour les personnes en souffrance psychiatrique en Seine-et-Marne. Si elle n’a pas mal vécu la fermeture des hôpitaux de jour pendant le premier confinement, « ça n’a pas été le cas de tout le monde, confie-t-elle. J’ai bien vu que, dans mon immeuble, certains pétaient les plombs. »

Et pour cause, le lien social est un facteur clé du soin psychiatrique. Le suivi des patients en ambulatoire est censé s’inscrire dans un processus de réinsertion sociale et les interactions entre malades et soignants sont primordiales. Initialement, ce système a été pensé pour les réinsérer dans la cité. Un idéal impulsé dans les années soixante avec la psychiatrie de secteur. Tout est alors à construire. 

La sectorisation rompt avec la vision hospitalo-centriste de l’asile du XIXe siècle. En réorganisant administrativement la gestion de la santé mentale en zones géographiques, elle a permis de développer la prise en charge « hors les murs » des patients.

Dans la continuité de cette réorganisation, des alternatives à l’hospitalisation complète se développent. Les CMP et les hôpitaux de jour émergent à partir de 1985. En l’espace de quarante ans, les deux tiers des lits en psychiatrie ont été supprimés. Mais ces structures, au centre de la stratégie ambulatoire, sont sous pression. 

Heureusement, le secteur psychiatrique peut désormais compter sur de nouveaux services pour aider à la réinsertion des patients. Les SAVS-Samsah en font partie. Ils accompagnent par exemple les patients dans leurs démarches administratives et professionnelles. 

Pendant le premier confinement, des services comme des SAVS-Samsah sont intervenus au cas par cas.
Illustration : Mathilde Romand

Pendant le premier confinement, les équipes du SAVS-Samsah de Moissy-Cramayel sont intervenues au cas par cas pour aider les patients.

Yohann, lui, n’arrivait plus à sortir pour faire ses courses.  Les colis de nourriture déposés par le Samsah au pied de sa porte ont allégé son quotidien pendant plusieurs semaines. Avec la crise sanitaire, ce genre de prise en charge a augmenté et les services se sont réorganisés. 

Pour pallier le manque de lien social, la téléconsultation, les appels téléphoniques et les visites à domicile ont été également intensifiés. La crise de la Covid a forcé la psychiatrie à évoluer beaucoup plus rapidement qu’en temps normal.

Alors qu’on reprochait au système psychiatrique de ne pas aller assez vers le patient, « avec la crise, on s’est davantage inquiété de ne pas le perdre de vue », soulève la chercheuse en psychiatrie, Viviane Kovess-Masfety, également conseillère à la Cour des comptes.

Ne plus voir le patient, ne pas parvenir à déceler son état à distance… Pour l’infirmière parisienne Joyce Brunet, le téléphone ne peut remplacer le contact humain. À l’autre bout du fil, certains patients assurent qu’ils vont bien « mais on s’est parfois rendu compte qu’ils avaient arrêté leur traitement et qu’ils déliraient complètement », confie-t-elle. Dans ces cas-là, les symptômes de la maladie ressurgissent et certains patients en rupture de soin ont dû être hospitalisés.

Dix pour cent. C’est le taux de patients en psychiatrie qui ont été momentanément perdus de vue au niveau national pendant le premier confinement.

Si elle a obligé la psychiatrie à s’adapter, la période a aussi mobilisé l’entourage des patients. Pendant la crise sanitaire, près de 52 % des aidants se sont retrouvés seuls pour accompagner leur proche. Un chiffre qui ne dépassait pas la barre des 33 % auparavant. Sans suivi incarné, la famille, les amis, les conjoints se sont retrouvés en face-à-face avec le malade. Un aidant sur deux avoue même avoir appréhendé le retour du patient au domicile familial.

Il faut dire que la mission est rude et fatigante. Entre les courses, le ménage, les tâches administratives et la gestion des angoisses, s’occuper d’une personne atteinte de troubles psychiatriques peut représenter une charge mentale importante.

Un rôle souvent mal compris qui rend difficile l’insertion des patients et de leurs familles dans la société. « Le regard porté sur la psychiatrie est très dur à vivre, confie Christelle, qui connaît bien ça. Au-delà du quartier et du voisinage, c’est l’ensemble de la ville et des services publics qui nous jugent. »

Crise sanitaire ou pas, l’un des premiers effets visibles de la maladie est souvent le renfermement sur soi. « Pour certains patients, le confinement, c’est ce qu’ils vivent toute la journée », déplore Vincent Camus. Finalement, la Covid-19 n’a fait que renforcer la marginalisation sociale. 

Les aidants sont des appuis essentiels pour les personnes atteintes de troubles psychiatriques.
Illustration : Mathilde Romand

Une marginalisation qui n’a pas affecté que les patients de longue date. Avec les confinements, le lien social s’est délité et le secteur psychiatrique a vu affluer de nouveaux malades. Stress lié au télétravail, dépression, burn out, addictions… En plus des périodes d’inactivités, les angoisses liées à la situation sanitaire sont venues peser sur le moral des Français.

En mars 2020, près de 20 % de la population se disait en dépression, rapporte Santé publique France. Huit mois plus tard, le ministre de la Santé, Olivier Véran, parlait même d’une « troisième vague qui serait celle de la santé mentale ».

Ce flot de personnes engorge un peu plus encore la prise en charge ambulatoire et rend complexe l’accès au soin psychiatrique. Pourtant, « si une partie de la population est en détresse psychologique, notamment avec la crise sanitaire, cela n’a rien à voir avec le handicap psychiatrique », s’irrite Viviane Kovess-Masféty. Ces nouveaux malades devraient être redirigés vers leur médecin généraliste et non en direction des structures « hors les murs », avance la chercheuse. 

Mais le fait est qu’ils ont poussé les portes des CMP, alors que ceux-ci étaient déjà surchargés depuis des années. Le nombre de malades augmente plus vite que les places disponibles et que le budget alloué à la psychiatrie. Entre 2015 et 2020, la dotation annuelle de fonctionnement du secteur psychiatrique – à but non lucratif – a progressé de 1,2 % par an. Sur la même période, le nombre de patients a augmenté de 2 %. Il passe alors de 2,1 millions d’euros en 2015, selon l’Igas, à 2,3 millions en 2020, recense le collectif Inter Hôpitaux.

Cette tension budgétaire pousse certains hôpitaux psychiatriques à fermer des lits. Une tendance qui s’est accélérée dans certaines structures avec la Covid-19. Le 5 avril, Olivier Véran déclare dans un tweet que « tous les plans de réorganisation [au sein des hôpitaux, NDLR] sont évidemment suspendus ».

Malgré cet engagement, des incohérences se dessinent. Au [simple_tooltip content=’Le Vinatier est le plus grand hôpital psychiatrique en France’]Vinatier[/simple_tooltip], dans le Rhône, plus d’une centaine de lits a été supprimée depuis le début de l’épisode sanitaire.  Le 17 avril 2020, le comité intersyndical de cet hôpital psychiatrique lyonnais dénonçait : « L’état d’urgence sanitaire et l’épidémie sont une aubaine pour avancer dans la restructuration de la psychiatrie publique. » De son côté, l’Igas considère que la psychiatrie ne manque pas de moyens. Elle souffrirait plutôt d’une mauvaise répartition des fonds à l’échelle territoriale.

Quoi qu’il en soit, l’issue est la même. Ce sont les patients qui sont les premiers à souffrir de ces disparités. En moyenne, il faut trois mois d’attente pour prendre un premier rendez-vous avec un psychiatre et parfois jusqu’à un an en pédopsychiatrie. Faute de suivi préalable et de prévention, certains patients sont directement envoyés aux urgences en état de crise. Les observations du rapport de [simple_tooltip content=’Soignante et députée LFI’]Caroline Fiat[/simple_tooltip] et de [simple_tooltip content=’Députée LREM’]Martine Wonner[/simple_tooltip], paru en septembre 2019, sont consternantes. Elles dénoncent un système de soins encore trop hospitalo-centré et des défaillances dans la prise en charge alternative à l’internement des patients, faute de moyens injectés dans l’ambulatoire.

La situation n’est pas meilleure en intrahospitalier. Depuis des années, les soignants, débordés, ne suivent pas forcément les patients comme ils le souhaiteraient. « Moins vous êtes disponible et plus les patients angoissent », expose Joyce Brunet. Et plus ils angoissent, moins le personnel médical a de temps pour les autres malades. 

En extrahospitalier, l’organisation est parfois plus flexible. Lorsqu’elle travaillait en hôpital de jour à Paris, Joyce Brunet parvenait à se dégager du temps pour accompagner certains patients en crise. Mais pour cela, encore faut-il qu’il y ait assez de personnel. 

Le 16 février 2021, la Cour des comptes dévoile un rapport en faveur d’une réorganisation du système de prise en charge pour désencombrer les structures ambulatoires. Elle préconise par exemple un recentrage de la psychiatrie sur les soins complexes, liés à des troubles sévères. L’entrée au CMP pourrait être filtrée et les malades présentant des troubles légers de santé mentale (anxiété, stress…) seraient dirigés vers d’autres services. 

Après une succession de confinements et des mois de crise sanitaire, la santé mentale est devenue un sujet majeur dans le débat public. Le regard de la société s’est tourné vers les dysfonctionnements du secteur psychiatrique et les Français ont parfois pris conscience de leurs vulnérabilités.

Face à cet état des lieux accablant, Emmanuel Macron, lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, a annoncé l’ouverture de 800 postes pour les CMP, le remboursement de certaines séances de psychologues, et la mise à disposition d’un numéro de prévention au suicide, le 3114, qui mène vers des spécialistes de la santé mentale disponible à toute heure. 

Théodore de Kerros

@kerros_theodore
24 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Apprend l’arabe, maîtrise l’image.
Passé par CANAL+, La Nouvelle République, Ouest France, OutsideFilms.
Attiré par le reportage, aimerait être correspondant à l’étranger.

Camille Granjard

@camillegranjard
23 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par Radio B et Sud-Ouest.
Passionnée par le surf et la photographie.
Aime la radio mais se destine à la presse écrite.

Clara Jaeger

@clara_jgr
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par l’art et la création.
Passée par Libération, Kaizen Magazine et Ouest-France.
Touche-à-tout, se destine à la presse écrite et au podcast.