La recherche scientifique ne démontre pas l’efficacité des médecines alternatives. Photo Léo Berry/EPJT
Le travail d’un journaliste est de fournir des informations fiables à ses lecteurs. Mais lorsqu’il est question de médecines alternatives, le contrat n’est souvent pas rempli. Naturopathie, sophrologie ou encore iridologie bénéficient d’un traitement trop favorable de la part de la presse régionale. Celle-ci remet rarement en cause leur efficacité, malgré un manque criant de validation scientifique.
Par Léo Berry
Un domaine en particulier semble faire perdre à la presse quotidienne régionale (PQR) française une partie de sa rigueur : la santé et plus particulièrement les médecines dites alternatives ou complémentaires. Celles-ci regroupent un ensemble hétérogène de pratiques médicales dont la recherche scientifique ne démontre pas l’efficacité. Dans certains cas, elle n’est pas assez poussée pour déterminer si ces traitements sont efficaces. Dans d’autres, la recherche en montre au contraire l’inefficacité. Naturopathie, sophrologie, homéopathie, réflexologie ou encore iridologie font, par exemple, partie de cet ensemble auquel de nouvelles pratiques s’ajoutent fréquemment.
Mais ces faits essentiels, de très nombreux articles publiés oublient de les rappeler à leurs lecteurs. Peu ou prou toute la PQR tombe dans cet écueil. C’est fort dommage, car 70 % de ses lecteurs lui font confiance pour s’informer, ce qui est notable dans un contexte de défiance envers les médias. Sud-Ouest explique donc que la naturopathie, « pratique ancestrale », pourrait « rééquilibrer des habitudes alimentaires ».
Soit, mais « une frange de la population reste dubitative sur l’efficacité de ces méthodes, même si la reconnaissance arrive pas à pas », précise le quotidien sans fournir une seule source dans le papier. La Voix du Nord, elle, parle de Reclinghem (Pas-de-Calais), « le village de la zénitude », dans lequel on trouve une psychomotricienne, des séances de yoga… Et une conseillère en naturopathie et en sophrologie.
La Dépêche nous présente enfin une réflexologue plantaire qui s’est installée récemment et affirme que « cette technique de digitopression stimule les zones réflexes qui sont chacune associées à un organe, une glande ou une partie du corps », sans préciser que le consensus scientifique conclut plutôt à l’inefficacité de cette médecine alternative. Dans les pages et les sites internet de la presse régionale, portraits de praticiens et comptes-rendus de salons bien-être sont légion. La contradiction, elle, se fait rare.
De très nombreux titres de presse régionale publient des articles sur des pratiques pseudoscientifiques.
Comment des journalistes, en principe chevronnés et bien formés, peuvent-ils donner à leurs lecteurs des informations aussi peu fiables ? Une bonne partie de la réponse se trouve dans le fait que ces papiers sont régulièrement écrits par des correspondants locaux de presse (CLP), qui ne sont pas journalistes professionnels, mais assurent une couverture de l’information locale pilier de la PQR. « Il y a parfois des défaillances sur ce type de papiers. Des choses qui ne devraient pas passer sont publiées », admet Sébastien Hébert, le rédacteur en chef de L’Est éclair.
« La plupart des journalistes n’ont pas de formation scientifique »
Pour y palier, certaines rédactions se sont donc décidées à mettre en place des consignes dans l’objectif d’éviter la publication d’articles trop peu qualitatifs. « Cela fait dix ans que nous avons lancé une réflexion sur ce sujet », affirme Philippe Boissonat, rédacteur en chef chargé de la veille d’actualité, des débats d’idées et des chartes à Ouest-France. Ainsi, le quotidien dispose « d’un tableau qui réunit les professions médicales considérées comme acceptables. Il a été remis à jour en 2022 », explique le journaliste. Il s’est appuyé sur ses collègues du service sciences pour confectionner cette liste.
Nous sommes parvenus à nous procurer ce qui semble être ce document, contenu dans un Guide du correspondant distribué par Ouest-France à ses CLP et qui est en vigueur. Celui-ci inclut une quarantaine de professions non réglementées (naturopathie, reiki, radiésthésie…) à propos desquelles la consigne est claire : « On ne publie rien. » Certaines médecines alternatives n’étant pas réglementées peuvent toutefois faire l’objet d’une publication dans Ouest-France, selon ce tableau. C’est le cas de la sophrologie ou de la réflexologie plantaire.
Pour la très grande majorité des quotidiens régionaux, moins bien dotés et à la diffusion plus modeste que Ouest-France, faire appel à des journalistes habitués à traiter des sujets scientifiques est un luxe inaccessible. La question est pourtant cruciale car décortiquer des études et faire un état de la recherche n’est pas nécessairement facile.
« La plupart des journalistes n’ont pas de formation scientifique, il peut donc leur manquer certains outils », souligne Thierry Ripoll, enseignant-chercheur au laboratoire de psychologie cognitive du CNRS. De plus vérifier les informations se révèle parfois complexe. « Si je me mets dans la peau d’un journaliste, je pense qu’il n’est pas simple de débunker ce que dit Didier Raoult au début de la pandémie de Covid-19, par exemple », ajoute le scientifique.
« Nos lecteurs veulent être informés sur ces pratiques »
Sébastien Hébert, rédacteur en chef de l’Est éclair
L’Est éclair, qui a commencé à se pencher sur la place que doivent occuper les médecines alternatives dans le journal, doit donc faire avec les moyens à sa disposition. « Nous n’avons pas de rubricards mais quelques-uns de nos journalistes s’occupent plus souvent des sujets santé que les autres », indique Sébastien Hébert. Le quotidien souhaite, dans le futur, adopter de nouvelles règles pour traiter ce type d’informations. « Le fait est que nos lecteurs veulent être informés sur ces pratiques. Notre travail, c’est de faire le distinguo entre celles qui sont légitimes et celles qui le sont moins », poursuit-il.
La Voix du Nord, elle, n’a pour le moment pas entamé de réflexion sur ce sujet. « Comme la loi l’exige, tous les sujets traités par un correspondant sont validés au préalable par un journaliste de la rédaction. Cela évite donc les papiers qui pourraient mettre en valeur des individus limite ou carrément escrocs », nous fait savoir Benoît Deseure, rédacteur en chef adjoint chargé des rédactions locales.
La Voix du Nord publie pourtant régulièrement, comme beaucoup d’autres, des portraits de naturopathes, de réflexologues ou de sophrologues dans lesquels il n’est possible de trouver aucune contradiction. Difficile pour le lecteur de comprendre qu’on lui parle d’une pratique dont l’efficacité n’est pas démontrée ni d’être certain de ne pas avoir affaire à un charlatan.
Mettre en place des règles est une chose, mais s’assurer qu’elles sont bien appliquées est aussi un défi. Ce sont généralement les secrétaires de rédaction qui ont cette responsabilité. « À Ouest-France, c’est leur rôle d’arbitrer lorsque ce type de question se pose. Ils peuvent toutefois consulter des personnes plus haut placées s’ils ne sont pas sûrs de la décision à prendre », affirme Jeanne*, une salariée qui occupait ce poste au sein du quotidien il y a quelques années.
« Pour le moment, les chartes sont faites au niveau départemental, mais nous sommes en train de les homogénéiser. Les correspondants changent fréquemment, les consignes ne passent donc pas toujours bien », assure Philippe Boissonat.
Chez les secrétaires de rédaction, cette problématique existe aussi. « Nous en changeons souvent, tout le monde n’a donc pas forcément toutes les règles en tête », indique Sébastien Hébert. Les documents qui détaillent ce qui ne doit pas paraître dans un journal auraient d’ailleurs tendance à être de plus en plus volumineux : « Ça devenait aberrant, se remémore Jeanne. Au fil des années, de plus en plus de règles s’ajoutent. Tout finit par être extrêmement détaillé. »
Les naturopathes soignent leur communication
Pour les praticiens d’une ou de plusieurs médecines alternatives, pouvoir bénéficier d’une vitrine locale est important. Ce sont généralement eux qui vont vers les médias, nous ont expliqué plusieurs interlocuteurs. Ces papiers leur permettent d’avertir une potentielle clientèle de leur présence. Géraldine Baehr, rédactrice en chef de L’Union, tient toutefois à faire le distinguo avec la publicité : « Nous essayons de parler du parcours de vie de la personne plutôt que de son métier. Nous ne sommes pas là pour faire de la communication sur ce qu’ils proposent. S’ils veulent cela, ils devraient plutôt acheter de la pub. »
Pour Jeanne, certains correspondants joueraient plutôt sur les différents genres journalistiques pour faire en sorte que ce type d’articles puissent être publiés : « Certains sont malins et savent, par exemple, que faire un portrait du praticien plutôt qu’un article plus classique réduit les chances que le papier soit refusé. »
Si la majorité des médecines alternatives ne dispose pas d’ordre, contrairement à celles qui sont conventionnelles, certaines tentent de s’organiser pour se légitimer et faire valoir leurs arguments auprès des médias. C’est par exemple le cas du syndicat des professionnels de la naturopathie (SPN) qui appelle notamment l’État à réguler la profession.
Le SPN, auquel les praticiens d’une myriade de médecines alternatives peuvent adhérer, développe également une véritable stratégie de communication. Au cours de cette enquête, plusieurs interlocuteurs nous ont expliqué recevoir régulièrement des communiqués de presse de sa part par mail. Ceux-ci vantent tantôt l’intérêt de la naturopathie pour lutter contre l’obésité ou bien expliquent comment elle peut soulager l’endométriose, « en complément de la médecine ».
Deux des communiqués de presse que le Syndicat des professionnels de la naturopathie transmet à des rédactions.
« Je reçois régulièrement ce type de mails, explique Sébastien Hébert. Ceux-ci sont envoyés par une agence de communication, pour rester soft. » Le SPN fait effectivement appel à l’agence VHM Conseil, qui coordonne l’envoi massif de ces communiqués de presse vers les rédactions mais aussi les relations avec les médias lorsque les journalistes veulent prendre contact avec le SPN.
Soulignons toutefois que cela est relativement courant : les boîtes mail des journalistes sont généralement gavées de communiqués de presse divers et variés. Contacté à plusieurs reprises, le SPN n’a pas souhaité donner plus d’éléments sur sa stratégie de communication ni réagir aux propos des différents responsables médiatiques que nous avons interrogés.
Sur le plan de l’opinion, la bataille semble cependant déjà gagnée pour les médecines alternatives. Selon une étude Harris Interactive publiée en 2021, « 85 % des Français ont une bonne ou une très bonne image des médecines douces, 85 % des Français pensent qu’elles sont efficaces en matière de prévention de santé et 82 % pensent qu’elles permettent de soigner sans médicament ». Le tout sans validation scientifique, dans l’immense majorité des cas.
La Miviludes, chargée de la lutte contre le phénomène sectaire et rattachée au ministère de l’Intérieur, l’affirme pourtant dans son dernier rapport d’activité publié fin 2022 : « La santé reste un sujet de préoccupation majeur avec 744 saisines traitées au total dont près de 70 % concernent les pratiques de soins non conventionnelles telles que la naturopathie, le reiki, la nouvelle médecine germanique, etc. »
(*) Le prénom a été modifié
Pour aller plus loin
- Vous vous posez la question de la légitimité scientifique d’une pratique médicale ? Les revues Cochrane produisent des notes sur l’état de la recherche scientifique sur une myriade de traitements.
- Le dernier rapport d’activités de la Miviludes s’intéresse, entre autres, aux dérives sectaires liées à la santé et certaines médecines alternatives.
- L’Association Française pour l’Information Scientifique publie la revue « Science et Pseudo-Sciences », dans laquelle de nombreux scientifiques écrivent.
- Romy Sauvayre, sociologue des sciences et des croyances au CNRS, a récemment publié Le journaliste, le scientifique et le citoyen aux éditions Harmann.
- Une bibliographie plus complète est disponible ici.
Les coulisses de l’enquête
Tous les médias dont un ou plusieurs articles sont cités dans cette enquête ont été contactés. Ceux ayant répondu figurent dans le texte de cet article.
Au moment de la rédaction de cette enquête, l’auteur travaillait au quotidien La Nouvelle République, dans le cadre d’un contrat d’alternance. Il a donc pris la décision de ne pas citer d’articles ni d’interroger de journalistes de cette publication car cela pourrait constituer un conflit d’intérêts.

Léo Berry
@leoberrxyz
23 ans
Journaliste en formation à l’EPJT, en spécialité presse écrite.
Cette anquête constitue son travail final pour l’EPJT.
Passé par La Nouvelle République.
Se spécialise aux formats web et au datajournalisme en presse régionale.