Capture d’écran d’un site pornographique/ EPJT
Réguler l’accès au porno pour les mineurs est un combat quasi impossible. Le gouvernement français tente tout de même de mettre en place des alternatives plus contraignantes. Car l’influence du porno sur la sexualité des adolescents est considérable.
Par Inés Alma, Zineb El Ouadi et Élias Insa
À15 ans, je me disais que je devais reproduire les positions que je voyais sur Pornhub ou Youporn », confie Camille, une lycéenne de 17 ans. Elle fait partie de ces générations qui ont eu accès (trop) jeunes au porno. La perception de sa sexualité en a été chamboulée.
Si la pornographie n’est pas nouvelle, l’accès et l’exposition changent à partir des années quatre-vingt. Les films et les vidéos prennent le pas sur les magazines et les livres traditionnels. Cependant, c’est l’arrivée d’Internet, dans les années deux mille, qui bouleverse les modes de consommation de la pornographie. Celle-ci devient facile d’accès.
En 2021, plus de la moitié des 7-14 ans ont un Smartphone (étude du cabinet français Junior City). Les enfants et les adolescents naviguent en autonomie sur le Web et sont confrontés à des contenus libres d’accès sur des sites pornographiques et surtout gratuits. Fini les magazines achetés ou les films loués avec l’argent de poche. « En deux secondes, tu peux voir des images sexuelles choquantes. Plus besoin de piquer le catalogue de La Redoute (pour y voir des femmes en sous-vêtements, NDLR) », s’indigne Hervé, père de 51 ans.
En un clic, tout type de contenu est accessible. Y compris les plus violents. « La première fois que j’ai regardé du porno, j’avais 12 ans. J’en regardais tous les jours en me masturbant. C’est bizarre à dire, mais la violence dans le porno m’excitait », confie Camille.
L’accès au porno est devenu facile, quotidien, habituel. Et puis il y a tous ceux qui s’y trouvent confrontés involontairement.
Source : association Ennoncence. Infographie : Élias Insa/EPJT
Selon une étude de 2017, de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) et de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), la consultation des sites par les mineurs augmente. Elle est passée de 37 % en 2013 à 51 % en 2017. Elle a sans doute explosé depuis.
Une tendance accentuée par l’arrivée des réseaux sociaux. Selon une autre étude menée par l’Ifop en avril 2022, 31 % des adolescents ont vu de la pornographie via des plateformes de médias sociaux. La fréquence de la consommation alerte aussi : 9 % des 14-17 ans regardent une à plusieurs fois par jour des images pornographiques. Une véritable addiction.
Sources : Ifop, Open, Cabinet français Junior City. Quizz : Inés Alma/EPJT
Pour la plupart des adolescents, le premier film porno est vu pour la première fois au collège, dans la cour de récréation, à l’abri des regards réprobateurs.
Visionner de telles vidéos aussi jeune n’est jamais anodin. Cela peut avoir des conséquences sur la vie sexuelle. Alice, 16 ans, élève en première dans un lycée à Tours explique avoir été « traumatisée. À 13 ans, un garçon du collège m’a obligée à regarder du porno pour pouvoir le reproduire avec moi. C’était une scène très violente avec plusieurs garçons (gang bang), ça m’a traumatisée ».
Être exposé tôt à des contenus violents peut avoir des conséquences psychologiques irréversibles. « Depuis, je suis incapable d’avoir une vie sexuelle, confirme Alice. Je souffre de vaginisme. Je suis suivie par un psychologue et mes parents le savent. J’espère que l’image que j’ai des hommes va changer avec le temps. »
Source : rapport de l’Académie nationale de médecine, « Accès à la pornographie chez l’enfant et l’adolescent : conséquences et recommandations. » Glossaire : Inés Alma/EPJT
D’autres considèrent qu’avoir regardé du porno au collège a influencé leur sexualité. « Je pense, comme beaucoup, que notre éducation sexuelle s’est faite à travers le porno, regrette pour sa part Camille. On n’a pas eu l’accompagnement qu’on cherchait au collège. Genre on nous apprend à mettre une capote et à ne pas tomber enceinte. Mais, à part ça, on ne nous parle ni de consentement ni des dangers que peut avoir le porno sur notre cerveau. »
Selon le rapport de l’Académie nationale de médecine, publiée le 24 janvier 2022, l’exposition et l’accès précoces à la pornographie sont aussi associés à des conduites à risque chez l’adolescent et le jeune adulte. « Mon copain de l’époque a essayé de me forcer à reproduire les mêmes positions que les films porno qu’il regardait. Il commençait à me faire flipper. Heureusement que je l’ai quitté avant qu’il vrille » , confie Siham, 17 ans.
De fait, la pornographie dans son immense majorité, promeut de forts stéréotypes de genre qui contribuent à montrer les femmes comme un objet sexuel, croyance fréquente chez les garçons consommateurs. De manière générale, la pornographie contribue à une vision du monde moins progressiste en termes d’égalité de genre : l’homme y est volontiers dominant, la femme soumise. Le rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en témoigne.
Source : Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France. Infographie : Inés Alma/EPJT
Pour autant, réguler le porno en France relève de l’impossible. Certains sites simples d’accès et gratuits sont en réalité financés par la publicité, avec des liens de streaming et la présence d’iconographies type manga qui ciblent clairement la population adolescente.
Certaines études rapportent des taux élevés d’exposition accidentelle au contenu pornographique du fait de méthodes de marketing forçant l’usage : 36 % des sites pornographiques utilisent un détournement de nom de domaine, 26 % contactent activement des cibles via des pourriels ou des spams et 38 % des fenêtres automatiques.
Au final, même en cliquant sur la touche « non » pour l’accès au site pornographique quand la question est posée, on se retrouve sur le site. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) montre que l’arsenal reste contraignant quand il s’agit de la diffusion en ligne malgré les évolutions récentes. D’autres textes ont été renforcés ou modifiés afin de sanctionner plus clairement le sexting, en particulier lorsqu’il s’agit de mineurs de 15 ans, notamment qui n’ont pas la majorité sexuelle. Le cyber-harcèlement, le revenge porn et le grooming ont aussi été définis et mieux sanctionnés.
Médecine scolaire absente
Par ailleurs, la loi de 2001 prévoit trois séances annuelles pour les élèves du primaire au secondaire sur l’éducation à la sexualité. Un temps consacré aux dialogues et à la prévention. Mais dans les faits, les séances ne sont pas tenues ou trop rares. Parmi les 15-24 ans, 17 % disent ne jamais avoir eu de séance sur le sujet.
Le Haut conseil à l’égalité rapportait en 2015 que 25 % des écoles ne proposaient aucune action d’éducation à la sexualité. Et ce, malgré leur obligation. Lorsque c’était le cas, l’information proposée était par ailleurs très médicalisée et normée, par rapport aux stéréotypes de genre. Et était loin de répondre aux questions des adolescents comme le faisait remarquer Camille.
En avril 2022, les associations SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial décident de saisir le tribunal administratif de Paris pour demander l’application de la loi. Pape Ndiaye, ancien ministre de l’Éducation nationale, a alors assuré avoir ordonné le renforcement de l’éducation à la sexualité.
L’éducation sexuelle dans l’enseignement apparaît aujourd’hui comme primordiale. Le site eduscol.com est relativement à jour sur ces questions. La médecine scolaire, elle, est totalement absente. quant à l’enseignement, il est trop dilué. Les formations à la pédagogie et à l’éducation sexuelle trop limitées, les connaissances sur les réseaux sociaux et leurs usages nouveaux mal intégrés.
« C’est fou de se dire que le peu d’heures d’éducation sexuelle qu’on a au collège ne nous sert à rien dans le sens où les intervenants sont complètement à côté de la plaque de nos besoins en tant que jeunes », témoigne Nathan, 17 ans, élève en terminale.
Sans connaissances adaptées, certains adolescents craignent de commencer leur vie sexuelle. « Je n’ai pas regardé de porno jusqu’à présent. Ça me fait flipper de voir des choses trop violentes. Je suis encore vierge et je redoute le moment où je vais faire ma première fois », avoue Lola *, lycéenne tourangelle de 17 ans.
Source : Rapport du Sénat, Porno, l’enfer du décor. Infographie : Zineb El Ouadi/EPJT
Johanne, elle aussi lycéenne, raconte une mauvaise expérience : « J’ai connu un garçon qui n’était pas toujours très droit avec moi. C’était un sauvage. Il y a des mecs qui sont bornés, immatures et qui ne voient la femme que comme un objet sexuel. » Quel rôle a joué le porno dans les comportements de ce garçon ? « Je sais que la femme est souvent soumise dans les pornos et que le mec est dominant. Quand tu as un rapport sexuel avec une personne, ce doit être un plaisir partagé », soutient Johanne.
C’est au moment de leur première expérience sexuelle que de nombreuses adolescentes subissent les injonctions du porno. C’est le cas de Rose : « En troisième, j’allais tous les jours sur des sites porno. Ça m’a beaucoup impactée. » Le porno n’a pas été anodin dans la construction de son image de la sexualité. Elle a, depuis, préféré s’en éloigner : « Avant, j’idéalisais des rapports parfois très violents. Une fois que j’ai commencé à avoir une vie sexuelle, j’ai compris que ce n’était pas du tout la réalité. »
des outils numériques pour les parents
S’il faut renforcer l’information et l’éducation sexuelle, l’école et le collège ne peuvent pas être les seules sources d’information des adolescents. Les parents doivent, eux aussi, prendre part à l’éducation de leurs enfants. « À l’école, ils n’ont aucune information sur la sexualité. En tant que père, probablement j’ai un rôle à jouer », confie Hervé, père de deux adolescents de 14 et 16 ans.
« La sexualité, c’est compliqué. En tant que parent, je n’ai jamais parlé de ces choses-là à mes enfants. Ça commence avant l’adolescence. Au collège, tout le monde utilise son portable », avance Philippe, 54 ans. C’est pourtant le manque de communication sur la sexualité au sein de la sphère familiale qui conduit à une exposition précoce au porno.
Le rôle de la famille dans l’éducation sexuelle peut être positif. « Avec mes parents, la discussion était vraiment ouverte à ce sujet-là. Ils m’en parlaient souvent », témoigne Johanne, qui n’a jamais éprouvé le besoin de regarder du porno. Seules les scènes sexuelles de films grands publics lui ont donné des idées sur la sexualité.
Pour aider les parents, il existe des outils numériques. Le contrôle parental limite le risque d’exposition. « Je suis pour un contrôle parental strict et pour que le gouvernement se saisisse de la question rapidement, pour qu’il n’y ait pas de jeunes comme moi qui se retrouvent face à des images sexuelles traumatisantes », confie Alice.
Hugo, 16 ans, rejoint cette position : « Moi-même, je me suis retrouvé à regarder des contenus trash, sans savoir comment réagir et ça m’a sûrement influencé. J’ai eu la chance de pouvoir en parler avec mes parents, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. »
Comme le souligne l’adolescent, mettre en place un dialogue entre enfants et parents est primordial. Il est impossible de filtrer la totalité des contenus pornographiques. Il vaut mieux encadrer la consommation en expliquant les effets, les risques et en écoutant son ressenti. De nombreuses associations comme Open mettent à disposition des guides dédiés aux parents.
Sources : Eduscol, Open, Planning familial et Lumni. Infographie : Zineb El Ouadi/EPJT
En septembre 2022, le Sénat s’est emparé de ces questions en publiant un rapport sur les pratiques de l’industrie pornographique. Parmi les 23 recommandations de ce travail sénatorial, 10 concernent les mineurs. Depuis, les débats pour enfin appliquer la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs se poursuivent.
En mars 2023, le gouvernement teste un système de « double anonymat ». Celui-ci consiste à faire intervenir un tiers entre le consommateur et le site pornographique. Le majeur devra enregistrer un document officiel attestant de son âge, sans que son identité ne soit dévoilée. De la même manière, le site pour lequel il effectue la démarche ne sera pas connu.
Sources : Rapport du Sénat : Porno, l’enfer du décor. Diaporama : Élias Insa/EPJT
Alors que cette « phase test » est entamée, les associations de protection de l’enfance continuent de proposer d’autres solutions. Parmi elles, le recours à la carte bancaire avec transaction zéro, ou encore l’estimation de l’âge à partir des traits du visage. En tout état de cause, 2023 pourrait bien marquer la fin d’une ère. Celle du libre accès aux sites pornographiques pour nos enfants.
(*) Le prénom a été modifié pour protéger l’anonymat.
Inés Alma
@_inesalma
21 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT.
Passée par Eure Infos, La Dépêche et Ouest France. A fondé deux médias sur les actualités internationales (De Facto) et africaines (Des Afriques).
Passionnée par les pays francophones africains, elle aspire à faire évoluer le traitement médiatique des actualités africaines en France.
Aime aussi la presse jeunesse.
Zineb El Ouadi
@ouadi_zineb
24 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT.
Effectue sa deuxième année de master à Beyrouth, au Liban.
Passée par France Télévisions, l’AFP et Corse Matin.
Se passionne pour l’actualité du Moyen-Orient.
Souhaite devenir correspondante au Liban.
Élias Insa
@eliasinsa33800
22 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT.
Passé par Rue89 Bordeaux et Sud Ouest.
Passionné par les sujets internationaux, particulièrement l’actualité de la Grèce.
Se destine au journalisme de presse écrite ou web.
Rêve d’être correspondant à Athènes.