Photojournalistes cherchent solutions

Alors que, traditionnellement, la presse est le support principal du photojournalisme, elle privilégie désormais l’image d’illustration et raréfie ses commandes. Contraints de diversifier leurs pratiques, certains photographes trouvent une économie dans le reportage institutionnel tandis que d’autres se lancent dans la réalisation de projets autour du Web.

Thomas DUSSEAU (texte et photo)

« La crise mondiale de la presse ne permet plus à ses photographes de continuer à produire des histoires. » C’est ainsi que le collectif de photographes L’Œil public – devenu une agence en 2001 – avait annoncé sa fermeture, au mois de janvier. La fin d’une aventure humaine et photographique de quinze ans.  L’Œil Public avait su s’imposer comme une véritable structure indépendante, ses huit photographes suivant la même ligne éditoriale : des enquêtes et des reportages engagés, proposés à la presse en « privilégiant toujours la forme sur l’image d’illustration ».

Tout un symbole. Car si certains magazines accordent encore une place aux histoires et aux reportages photographiques, les images que publient la plupart d’entre eux sont essentiellement illustratives. Celles qui accompagnent les articles de Marianne2 sont des exemples flagrants : souvent issues de Flickr – un site de partage de photos en ligne – , elles ne véhiculent aucun message journalistique et sont là simplement pour accompagner le texte. Comme dans cet article sur le sort l’euro.   Ce constat trouve sa source dans les crises successives que traverse la presse depuis plus de dix ans, obligeant les titres à faire de nombreuses économies. Notamment dans les services photo, dont les budgets de fonctionnement sont très importants.

Dans son livre Photojournalisme, à la croisée des chemins, le photographe Wilfrid Estève pointe l’évolution des choix éditoriaux au début des années quatre-vingt-dix : « A un traitement de l’information en profondeur, on a préféré une actualité exprimée dans le langage de l’émotionnel, du sensationnel. Les magazines ont peu à peu rempli leurs pages d’images anecdotiques, qui n’expliquent plus mais illustrent. » La raréfaction des commandes de la presse, à laquelle s’ajoute la concurrence des photographes amateurs oblige donc les photographes à repenser et à diversifier leur pratique.

Le danger du « corporate »

Pour compléter leurs revenus, nombre de photographes ont donc glissé vers le champ du « corporate »  ou celui de la photographie institutionnelle. Ils réalisent, par exemple, des photos destinées à la communication d’entreprises privées ou aux magazines de collectivités territoriales. Comme Eric Facon, photojournaliste depuis quinze ans, qui ne compte plus sur des publications dans les pages des journaux pour vivre. « Je travaille pour des collectivités locales en essayant toujours d’offrir une démarche de reportage », explique-t-il. Pourtant, l’implication n’est pas du tout la même que pour un reportage destiné à la presse. « En “corporate”, il faut servir un certain discours qui va dans le sens du commanditaire. » Pour lui, cette démarche n’est d’ailleurs intéressante « que dans la mesure où elle finance la réalisation de vrais reportages. »

« Malheureusement, le “corporate” est devenu l’espoir de beaucoup de photographes », commente le photographe Mat Jacob, du collectif Tendance Floue. Car les contrats proposés par les entreprises ou les institutions sont souvent bien plus rémunérateurs que ceux décrochés en presse. « Récemment, j’ai fait des photos pour une  marque de bijoux. Ce travail m’a été payé 1 000 euros » témoigne Léo-Paul Ridet. C’est quatre fois plus qu’une bonne photo publiée dans la presse. Mais pour Mat Jacob, ce genre de pratique n’est plus du photojournalisme  : « On travaille avec le même outil sauf que, d’un côté, on est au service de l’information et, de l’autre, d’un produit. C’est le grand écart absolu. Ce ne sont pas les mêmes métiers. » Pour les photojournalistes, trop de corporate peut d’ailleurs s’avérer dangereux. Ils peuvent, en effet, perdre leur carte de presse, dont l’obtention nécessite de justifier que plus de 50% de ses revenus proviennent d’une activité journalistique.

Des projets transversaux

Quel est l’avenir du photojournalisme ? Nul ne peut y répondre. Pourtant, des initiatives se développent et démontrent qu’il n’est pas mort. « La preuve, c’est que tous les ans j’arrive à faire un festival qui tient la route avec des photos de qualité », explique le fondateur et président du festival Visa pour l’image, Jean-François Leroy. La manifestation, organisée à Perpignan depuis 1989, présente chaque année des reportages photographiques engagés et puissants. Ceux que l’on ne voit plus, ou presque, dans les pages des journaux et des magazines. « Aujourd’hui il ne faut plus faire l’erreur de vouloir compter uniquement sur la presse », souligne Wilfrid Estève. Malgré l’absence de modèle économique et des coûts de production élevés, certains photographes se lancent par exemple dans la réalisation de webdocumentaires. Comme Samuel Bollendorff, auteur de Voyage au bout du charbon, d’Obsésité et de Homo Numéricus.

Diffusé sur le site internet du Monde, Voyage au bout du charbon est une enquête sur les conditions de travail des mineurs chinois.

« Aujourd’hui, il faut réussir à imaginer un projet avec des chronologies et des pertinences différentes » ajoute Wilfrid Estève. C’est ce qu’on fait les photographes du collectif Argos, avec leur travail sur les réfugiés climatiques. Réalisé sur plusieurs années, il a notamment donné lieu à la publication de plusieurs reportages dans les magazines, à un livre, une exposition itinérante ainsi qu’à des modules multimédia. On peut donc imaginer que, demain, quelqu’un qui saurait prendre du son et le monter, pourrait s’associer à un photographe parce qu’il y aura derrière un projet de webdocumentaire ou de petite œuvre multimédia.

A propos du photojournalisme

  • Organiser une grande exposition à Paris en 2010 pour fêter son centenaire. C’est le souhait qu’avait émis le photographe humaniste Willy Ronis avant sa mort, survenue en septembre dernier. Associée au Jeu de Paume et à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, la Monnaie de Paris lui rend hommage jusqu’au 22 août à travers une exposition intitulée « Willy Ronis : une poétique de l’engagement » Elle rassemble environ 150 photographies, parfois inédites, et est organisée autour de cinq grands axes : la rue, le travail, les voyages, le corps et sa biographie.
  • La vingt-deuxième édition du festival Visa pour l’image se déroulera à Perpignan entre le 28 août et le 12 septembre. Au delà des trente expositions qu’elle présente, la manifestation propose des soirées de projection ainsi que plusieurs rencontres autour du photojournalisme. Les organisateurs attendent environ deux cent mille visiteurs et trois mille professionnels.