Réfugiés

Parcours de vies nomades

Ces trois cousins maliens vivent dans la même chambre, située dans un quartier tranquille de Nouakchott (Photo : Marie-Camille Chauvet/EPJT)

Oumar, Ismaïl et Boubacar étaient enfants en 2012, quand la guerre a éclaté au nord du Mali. Ils ont quitté leur pays pour vivre dans le camp de Mbera au sud de la Mauritanie. Aujourd’hui ils partagent une chambre à Nouakchott, la capitale. Dans cette vie en collectivité, chacun nourrit ses espoirs et célèbre ses petites victoires. Portraits croisés.

Par Marie-Camille Chauvet (texte et photos)

Il est midi et le soleil de novembre commence petit à petit à étouffer la ville de ses rayons brûlants. Les habitants de Nouakchott tentent d’éviter la chaleur dans un coin d’ombre ou entre les murs de leurs maisons. Oumar lui ne la fuit pas. Dans son pays d’origine, le Mali, il a passé son enfance à fuir la violence. Maintenant qu’elle est loin de lui, il reste dehors, à observer les rares passants qui s’aventurent encore dans la rue.

Le jeune homme de 23 ans reste souvent là, devant le portail en fer du bâtiment qu’il occupe. À l’intérieur, une petite cour ombragée abrite sa moto. Elle n’est pas flambant neuve mais elle brille par endroit. Oumar en est fier, il la caresse du bout des doigts. Son père lui a envoyé de l’argent pour qu’il se l’achète. Grâce à ça, il est devenu livreur. Les bons jours, il gagne autour de 500 MRU, ce qui équivaut à environ 12 euros.

Ses cousins, avec qui il partage une chambre vétuste, n’ont pas de moto.

Oumar propose ses services de livraison à des restaurants et des magasins de la capitale. Marie-Camille Chauvet/EPJT

Pas de moto, pas de travail pour Ismaïl, qui cherche désespérément à occuper ses journées. Boubacar réussit parfois à s’en faire prêter une et gagne un peu d’argent. Mais les journées sont souvent difficiles, notamment à cause des contrôles de police fréquents. « Dès qu’on porte un turban ou nos habits, on est identifié comme réfugiés, dénonce-t-il. Certes on n’a pas les papiers, enfin on a les papiers de réfugiés, mais on devrait quand même avoir le droit au respect. »

En 2012 débute la guerre au Mali. Le pays est alors divisé en deux parties : le sud avec la capitale Bamako, et le nord, aussi appelé l’Azawad. Des groupes rebelles touaregs prennent le contrôle de cette zone, rapidement rejoints par des alliés islamistes. Ces derniers finissent par imposer la charia, la loi islamique, dans la région. Les cousins ont alors entre 11 et 16 ans.

Ismaïl se souvient des violences de son enfance.

Ismaïl se souvient : « Mentalement, ça n’allait pas du tout. » Boubacar enchaîne : « Il n’y avait pas d’éducation, pas d’accès à l’eau potable, pas de médicaments. » Comme 74 % de réfugiés maliens, Boubacar est originaire de Tombouctou, au nord du Mali. En 2012, les islamistes du groupe Ançar Eddine réduisent à néant le patrimoine culturel de la région. Ils détruisent quinze mausolées de saints musulmans issus de la branche soufie de l’islam.

Rapidement, les jeunes hommes et leur famille quittent le pays. Ils arrivent

dans le sud de la Mauritanie, au camp de Mbera. Là-bas, plus de 92 000 personnes s’entassent alors que la capacité d’accueil initiale est de 90 000 réfugiés. Boubacar décrit des conditions difficiles : « La vie, là-bas, c’est un peu dur. Notamment à cause de la chaleur. »

Les trois hommes s’installent à Nouakchott pour trouver du travail. Ils continuent de faire des allers-retours entre la capitale et le camp de temps en temps. Boubacar est marié et sa femme vit encore à Mbera. Elle est enceinte. Il espère pouvoir la rejoindre avant l’arrivée de leur premier enfant. Oumar se moque : « Il est très amoureux d’elle, ils s’appellent tous les jours. »

Nouakchott n’est pas vraiment une terre d’exil pour la majorité des Maliens qui vivent en Mauritanie. Sur les 149 000 réfugiés que compte le pays, seuls 7 000 vivent dans la capitale selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés. Ils sont relativement isolés du reste de la population.

La chambre que les trois cousins occupent est située dans un vaste bâtiment. « Avec les voisins, on ne se parle pas, on se salue juste. Chez nous, ton voisin dort chez toi, mais là, il y a de la méfiance » explique Boubacar.

Le jeune homme vit dans la capitale depuis qu’il a décroché une bourse d’étude qui lui a permis de s’inscrire à l’université de Nouakchott. Il lui reste aujourd’hui quelques modules à valider pour obtenir son diplôme en logistique-action humanitaire. Probablement en 2025. 

Boubacar rejoindra sa femme au camp de Mbera à la naissance de son enfant.

Rien ne semble certain dans la vie de ces jeunes hommes. « On n’a pas de programme, on ne programme rien », répètent-ils en boucle. Pour tenir le cap, ils semblent se rattacher à ce qui survit de leur vie d’avant : les longs turbans blancs enroulés autour de leur tête, la nourriture qu’ils partagent assis dans leur chambre commune et les premières dunes à la sortie de Nouakchott, qui leur rappellent leur région natale.