Mardi 19 octobre, le parlement européen a validé la stratégie agricole Farm2Fork. Parmi les mesures, l’instauration d’un logo nutritionnel obligatoire à l’échelle de l’Europe d’ici 2022. Principal candidat, le Nutri-Score est de retour au cœur des discussions. Entre soutien des scientifiques et rejet des lobbys, une véritable bataille fait rage.
Par Romane Lhériau, Lisa Morisseau, Éléa N’Guyen Van-Ky
Illustrations : Naomi Daviaud
Depuis 2019, et pour répondre aux attentes des consommateurs, la marque applique le logo sur (presque) tous ses produits. « Je suis d’accord pour appliquer le Nutri-Score sur 90 % de mes produits, mais sur les plus gourmands, ça m’embête, se défend Pierre Martinet. Il faut du plaisir dans l’alimentation. Je ne vends pas un produit pour dire au consommateur “n’en mange pas trop”. Ayons un peu de liberté ! » Le « traiteur intraitable » est réticent à l’idée d’apposer le logo nutritionnel sur ses produits les plus gras. En effet, si son produit obtient un mauvais score, indiqué en rouge, il craint que les ventes ne diminuent.
L’enjeu est pourtant de taille. La malbouffe est impliquée dans le développement de pathologies graves telles que les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète ou encore l’obésité.
Le tableau nutritionnel obligatoire sur toutes les denrées alimentaires depuis l’adoption du règlement européen Inco en 2011. Photo : Romane Lhériau/EPJT
Christophe Brusset, ancien industriel de l’agroalimentaire explique la démarche des industriels : « Quand le consommateur a l’information et qu’il n’arrive pas à la comprendre, les industriels sont satisfaits. C’est le cœur du problème aujourd’hui : rendre l’information compréhensible pour tous. Quand je faisais les emballages, on avait tendance à me dire qu’il fallait mettre plus d’informations pour noyer le poisson. »
Les sept pays européens qui ont adopté le Nutri-Score. Infographie : Romane Lhériau/EPJT
Des marques alimentaires comme Findus appliquent le Nutri-Score dans les publicités télévisées, radiodiffusées ou sur Internet sur la base du volontariat.
« La majorité n’a aucun intérêt à ce qu’elle passe au Sénat. […] Le gouvernement ne met jamais à l’ordre du jour des propositions de loi, notamment issues de l’opposition », souligne Loïc Prud’homme, député La France insoumise et anciennement président de la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle.
Il y a « très peu de chances voire aucune qu’elle soit reprise dans cette législature », poursuit-il. Christophe Brusset renchérit : « Les multinationales de l’agroalimentaire utilisent leur argent pour nourrir un lobbyisme intense. » Il estime que « le lobbyisme est synonyme de corruption ».
Les industriels contrattaquent
Parmi ces multinationales qui refusent le Nutri-Score, on retrouve les Big six. En novembre 2017, ces six géants de l’agroalimentaire (Coca-Cola, Nestlé, Mondelez, PepsiCo, Unilever et Mars) déclarent vouloir apposer leur propre logo sur leurs aliments à la place du Nutri-Score. Une tentative de désinformation à peine voilée de la part des géants agroalimentaires. L’Evolved Nutrition Label (ENL) reprend, en le modifiant, le Traffic Light britannique. Celui-ci se base sur un calcul nutritionnel par portion. Ainsi, les Big Six s’assurent de ne pas voir leurs produits affublés de la couleur rouge du Nutri-Score.
L’Alliance 7 (fédération des produits de l’épicerie), qui défend les intérêts professionnels de la confiserie, des biscuits et des gâteaux, soutient elle aussi la mise en place de l’ENL. Et pour cause, l’enjeu commercial est colossal. L’exemple de Pierre Martinet et de son museau de bœuf l’illustre bien.
Aujourd’hui à la tête du combat contre le Nutri-Score se trouve le géant laitier Lactalis. En septembre 2021, le propriétaire des marques Lactel, Président et Galbani, a lancé son propre logo. Celui-ci adopte le mode de calcul par portions, plus avantageux pour les produits contenant davantage de matières grasses.
Un groupe de multinationales, les Big Six et les syndicats de la confiserie, l’Alliance 7 se sont alliés en 2017 pour proposer une alternative au Nutri-Score qui leur est plus favorable. Depuis, Nestlé et Unilever n’en font plus partie. Si Nestlé applique le Nutri-Score sur l’ensemble de ses produits en France, Unilever ne l’appose que sur la marque Knorr.
Néanmoins, certains groupes agroalimentaires ont décidé de faire volte face. Plus question de perdre le consommateur avec un tableau incompréhensible. Désormais, elles surfent sur le désir de transparence et appliquent le Nutri-Score. « La pression sociétale et la mobilisation des associations de consommateurs contraignent aujourd’hui les marques à plus de transparence », explique Serge Hercberg.
Des groupes comme Unilever commencent à fléchir aussi. Le géant a annoncé en octobre 2020 l’adoption du Nutri-Score pour sa marque Knorr en France. Autre exemple, plus frappant encore, celui de Nestlé : la marque décide d’appliquer le Nutri-Score sur tous ces produits dès juin 2019. « Après avoir tenté de mettre en place son propre système de couleurs, Nestlé s’est dit que le Nutri-Score deviendrait tôt ou tard inévitable », souligne Christophe Brusset.
Les marques ne sont plus les seules à adopter cette stratégie. Dès juillet 2021, le fast-food Mcdonald’s proposera à ses clients de connaître les valeurs nutritionnelles de ses produits en affichant, pour chacun d’eux, leur Nutri-Score. Faire rimer malbouffe et transparence, le défi semble prêt à être relevé.
#Nutrition Dès cet été, McDo 🇫🇷 sera la 1ère enseigne de restauration rapide en France à afficher le #NutriScore de ses produits 👇 pic.twitter.com/iq7Snlpg2i
— McDonald's France Newsroom (@McDoFr_Newsroom) May 11, 2021
La chaîne de fast-food McDonald’s annonce appliquer le Nutri-Score sur ses produits à partir de l’été 2021.
Les acteurs de roquefort AOP font valoir cet argument. L’outil Nutri-Score attribue la lettre E au fromage aveyronnais tandis que le produit est très peu transformé. Le président du syndicat pour les producteurs et industriels du roquefort, Hugues Meaudre, fédère cette opposition. Il est aussi directeur général de Lactalis AOP et terroirs. Lactalis que l’on sait hostile au Nutri-Score depuis ses débuts.
De multiples enjeux se cachent derrière l’étiquetage des aliments. Chacun défend ses intérêts, bien souvent au détriment des consommateurs, premiers concernés. Depuis maintenant dix ans, les États de l’Union européenne et les géants de l’agroalimentaire se déchirent au sujet d’une simple étiquette. Mardi 19 octobre, le Parlement européen a examiné les différentes mesures de la stratégie Farm2Fork incluant la mise en place d’un étiquetage nutritionnel obligatoire. Verdict ? 452 voix pour, 170 voix contre et 76 abstentions. Une première étape nécessaire pour informer davantage les consommateurs. Pour autant, aucun accord n’a été conclu afin de déterminer quel logo sera officiellement utilisé. Dans ce contexte, peu de chances que l’Europe rende obligatoire le Nutri-Score en 2022.
Romane Lhériau
@LheriauRomane
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT, alternante à la rédaction de Dinan de Ouest-France.
Passionnée par les sujets environnementaux et l’investigation locale.
Passée par Reporters sans frontières, Le Phare de Ré et Ouest-France.
Aspire à travailler en presse écrite et web.
Lisa Morisseau
@LisaMorisseau
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passionnée par le Moyen-Orient et l’Inde, les thématiques sociétales et internationales.
Passée par Radio Prun’, France Culture et La Provence.
Souhaite devenir correspondante à l’étranger pour la presse écrite ou la radio.