En France, 491 demandes de nullité de mariage ont été introduites en 2019. Photo : Samuel Eyene/EPJT
Dans l’Église catholique, les mariés sont unis « jusqu’à ce que la mort les sépare ». Seule l’annulation du mariage permet de briser ce lien sacré. Pour y parvenir, les fidèles s’engagent dans un véritable parcours du combattant.
Par Julie Cedo, Sarah Chevalier, Samuel Eyene, Léo Humbert
Illustrations : Célio Fioretti/EPJT
Il y a une vingtaine d’années, dans l’Essonne, un groupe de jeunes catholiques avait organisé une exposition dans une église. Leur objectif était simple : montrer que les divorcés existaient et qu’il fallait leur tendre la main. « L’exposition a été abîmée par des personnes qui la trouvaient offensante. On l’a remise… », se souvient Guy de Lachaux, ancien prêtre basé dans le diocèse de l’Essonne. Le regard n’a pas beaucoup changé.
Pour les catholiques qui souhaitent en finir avec leur mariage, il existe une autre solution. Dans le vocabulaire officiel des instances ecclésiastiques, on ne parle alors pas de divorce mais de nullité de mariage. « Ce n’est pas un divorce catholique », affirme le père Juhan Mackosso, vicaire judiciaire de l’officialité de Tours. Il précise : « C’est une demande pour savoir si oui ou non le mariage est validé, mais ce n’est en aucun cas une rupture du contrat de mariage.»
Le terme même de nullité et son interprétation ne font pas consensus chez les croyants. Ils ont le sentiment qu’il tire un trait sur un pan de leur vie conjugale. « Le mot est mal choisi. Il serait préférable de dire qu’il y a eu un doute sur la validation du sacrement », explique Guy de Lachaux.
Guy de Lachaux
Ancien prêtre basé dans le diocèse de l’Essonne, il a aidé pendant vingt ans des catholiques divorcés. Il est également l’auteur de plusieurs livres sur le divorce. Aujourd’hui, il est chargé de la préparation au mariage au sein de la paroisse Saint-Paul de Chevry-Belleville.
Machine judiciaire
Si la perception des affaires familiales dans la société s’est considérablement transformée, ce n’est pas encore le cas de l’Église. Aujourd’hui, y parler clairement du divorce et l’envisager n’est pas simple. « Il est en dehors des perspectives pour des chrétiens convaincus. Seule la mort peut rompre le lien entre les époux », assure Patrick Pégourier, défenseur de ce lien à l’officialité de Lyon.
Comme pour le divorce dans le civil, les catholiques qui cherchent à se défaire du lien sacré du mariage font face à une machine judiciaire bien huilée. Celle-ci obéit au droit canon, un ensemble de règles propres à l’Église.
C’est devant un tribunal ecclésiastique, appelé l’officialité, qu’ils doivent se présenter. En France, il y en a vingt-quatre : douze tribunaux de première instance et douze de deuxième instance.
Le vicaire judiciaire de chaque officialité rencontre les demandeurs et les met en relation avec des avocats ecclésiastiques, formés au droit canonique, pour préparer leur défense respective. Les requérants doivent alors rédiger un mémoire, aussi appelé libellé, qui détaille les principales raisons de la demande de nullité ou leur désaccord.
Patrick Pégourier
Docteur en droit canonique, il est défenseur du lien à l’officialité de Lyon et délégué pour les mariages du diocèse. Après la réforme des nullités de mariage, il a mis à jour L’ABC des nullités de mariages catholiques écrit par Bénédicte Draillard et Jacques Vernay.
Infographies : Léo Humbert/EPJT
Ces motifs, ce sont les chefs de nullité. Le vice de consentement, quand l’un des deux époux ne mesure pas les conséquences du mariage, constitue la très grande majorité des sentences favorables à la nullité. Mais il en existe d’autres. « Le tribunal peut prononcer une nullité en cas d’incapacité à assumer le mariage pour des raisons psychologiques, d’alcoolisme ou de violences », complète Patrick Pégourier.
Plus rarement, l’impuissance du mari ou les défauts de forme lors de la cérémonie du mariage peuvent convaincre les tribunaux ecclésiastiques. Pour prouver un défaut dans le consentement ou un problème psychiatrique, des expertises peuvent être menées, aux frais des parties.
Lors du procès, la demande de nullité est examinée par un à trois juges d’Église. Des proches sont également sollicités pour témoigner. « Ce sont les amis de la famille des mariés, qui les ont connus avant et pendant le mariage, qui peuvent répondre objectivement à des éléments qui vont corroborer aux chefs de nullité invoqués. Ils sont là pour attester ou réfuter ce que dit la partie demandeuse », précise Nicolas Tafoiry, avocat ecclésiastique de l’interdiocésain Sens-Auxerre.
Entre les deux parties, un acteur assez singulier intervient : le défenseur du lien. Celui-ci a pour rôle d’invalider la demande de nullité s’il estime qu’elle n’est pas conforme aux chefs de nullité.
Ce n’est qu’à l’issue de plusieurs mois d’attente que les requérants découvrent si leur demande a été validée ou rejetée par les juges. Dans le second cas, il est possible de faire appel devant une deuxième instance.
S’il est refusé, un dernier recours est possible : porter la demande devant la Rote romaine, le tribunal de dernière instance qui siège à Rome et dépend du Vatican. Cette institution peut également être sollicitée par l’un des deux conjoints qui ne souhaite pas voir son union reconnue comme nulle.
Cela a été le cas de Sophie Touttée Henrotte. En 2011, son mari saisit l’officialité pour déclarer leur union nulle mais elle s’y oppose. Après quatre années de combat devant les tribunaux ecclésiastiques, dont un passage en dernière instance, elle obtient gain de cause et empêche l’annulation. Elle a raconté cette épreuve dans son livre Divorce et nullité de mariage…
Ces démarches longues et éprouvantes pour les fidèles sont propres au catholicisme. Chez les juifs, s’il existe un tribunal semblable, celui-ci ne peut pas empêcher un couple de mettre fin à son union religieuse.
Infographie : Léo Humbert/EPJT
Nicolas Tafoiry
Secrétaire de l’évêque de Sens-Auxerre, il est le seul avocat ecclésiastique de ce diocèse. Ancien conservateur de musée, il a suivi un certificat en ligne grâce à l’Institut catholique de Paris pour devenir avocat ecclésiastique.
Les demandes de nullité sont donc extrêmement fastidieuses, énergivores et nécessitent un bon suivi psychologique des demandeurs.
Dans certains diocèses, des structures d’accompagnement ont vu le jour. Depuis 2019, Marie-Hélène Florenson – qui a elle-même épousé un catholique divorcé – organise des réunions de catholiques divorcés à Tours.
Elle bénéficie du soutien de l’archevêque Vincent Jordy et de la pastorale familiale de Tours. « Il est indispensable que cet accompagnement soit fait par des divorcés, assure-t-elle. Ce que l’on propose, c’est quelque chose que l’on ne trouve pas ailleurs, un partage de souffrance et de vécu. »
Lors de ces réunions, les divorcés partagent leurs témoignages, réfléchissent, voire découvrent la possibilité de rendre nul leur mariage religieux.
Dans l’Essonne, le père Guy de Lachaux assiste les catholiques divorcés depuis plus de vingt ans. Son initiative, presque hasardeuse au départ, a vite rencontré du succès : « J’ai créé un petit groupe de parole avec plusieurs personnes. Quelques jours plus tard, elles étaient quarante. Je n’y connaissais rien mais elles échangeaient et se sentaient écoutées par l’Église. J’ai commencé à les accompagner jour après jour. »
Parfois, les initiatives sont plus discrètes. « Ici, c’est comme les alcooliques anonymes », confie Martin Logan. Lui-même catholique divorcé, il s’est d’abord éloigné de l’Église et s’est concentré sur sa foi. Il a toutefois choisi de retrouver les catholiques à la naissance de sa fille. Il s’est servi de son histoire pour organiser une structure d’accompagnement externe en deux parcours.
Le Carrefour, un groupe de parole mensuel, destiné aux « chrétiens en rupture de couple », a commencé en octobre 2021 et s’est achevé en juin 2022.
Revivre, un groupe de parole hebdomadaire dans lequel « toute personne vivant ou ayant vécu une séparation ou un divorce », aborde des questions liées à la rupture. Il se consacre à des aspects pratiques lors de soirées. Durant huit semaines, les divorcés sont confrontés à des thématiques liées aux conséquences de la séparation. Ils réfléchissent notamment à la résolution des conflits, au pardon et aux questions juridiques.
Dans les autres religions monothéistes, ces dispositifs sont plus nombreux et ils semblent plus en phase avec les évolutions de la société.
Infographie : Léo Humbert/EPJT
Marie-Hélène Florenson
Après avoir épousé un catholique-divorcé, elle a décidé de donner de son temps à la pastorale familiale de Tours. Elle organise des réunions de catholiques divorcés pour qu’ils échangent ensemble. Ce projet est soutenu par l’archevêque de Tours.
Face à toutes ces difficultés et sans doute pour éviter d’aggraver le décalage entre les fondamentaux de l’Église et les évolutions de la société, le Saint-Siège a agi. En 2015, dans une lettre adressée aux fidèles, intitulée Amoris Laetitia, le pape François a présenté une réforme de la procédure de nullité de mariage.
Sur le papier, le pape souhaitait simplifier ce parcours du combattant et offrir plus de possibilités aux fidèles en quête de reconstruction. Il souhaitait « offrir une certaine proximité entre le juge et le fidèle et accélérer les procès ».
Concrètement, la procédure « entend assurer, autant que possible, la gratuité des procédures ». Le passage en deuxième instance des tribunaux ecclésiastiques est devenu facultatif.
La place de l’évêque a été revue pour en faire un acteur central de la procédure. Il peut désormais assurer le rôle du juge ecclésiastique, diriger les audiences et donc valider, ou non, une demande de nullité de mariage.
« C’est un véritable service qui est rendu aux époux. Un divorce avec la procédure, ça prend dix ans, ça vous gâche la vie »
Patrick Pégourier
Cette réforme n’a pas fait l’unanimité chez les gens d’Église. Pour Guy de Lachaux, elle risque de provoquer une inflation du nombre de demandes de nullité : « Cette nouvelle procédure est un sparadrap sur une blessure mais elle ne la soigne pas. Sous prétexte de défendre le sacrement, on le dévalorise. Tout le monde se dit qu’il pourra trouver une clause de nullité pour rompre son union. »
Patrick Pégourier l’estime pourtant nécessaire. « C’est un véritable service qui est rendu aux époux. Un divorce avec la procédure, ça prend dix ans, ça vous gâche la vie », avance-t-il.
Dans les faits, loin des inquiétudes formulées par Guy de Lachaux, les impacts de la réforme sont minimes. La gratuité de la procédure n’a pas été mise en œuvre dans tous les diocèses. « Ce n’est pas réaliste, l’Église a des frais, argumente Patrick Pégourier. Un procès fait intervenir au moins cinq personnes qu’il faut rémunérer. » Un coût qui avoisinerait les 1 000 euros, selon les officialités. Des exceptions sont parfois faites pour les demandeurs les plus précaires. Cela s’ajoute évidemment au coût du divorce civil qu’il faudra de toute façon faire acter.
Maigres effets
Autre frein : les évêques ne se sont pas emparés du nouveau rôle que leur octroyait la réforme. Ils ne sont pas experts en droit canon et se montrent donc frileux pour instruire des dossiers complexes. Quant à la grande majorité des catholiques, elle ignore tout ou presque de ce droit particulier et de sa réforme.
Les effets restent donc maigres. Mathilde*, retraitée de 62 ans qui vit en Centre-Val de Loire, s’était mariée par contrainte car elle était enceinte. Sa demande de nullité de mariage a duré trois ans, malgré la réforme. Elle a été validée en 2019.
La réforme n’a pas non plus supprimé la rédaction du mémoire. Ce qui demande beaucoup d’investissement et peut raviver de mauvais souvenirs. Un travail fastidieux, loin d’être à la portée de tout le monde, pourtant nécessaire pour Mathilde : « C’est un moment important pour faire la vérité sur soi-même. »
Certains diocèses s’emploient pour faire connaître la réforme et le droit canon. À Tours, des conférences sont organisées pour en expliquer les enjeux. « La pastorale est passée de l’interdit à la miséricorde », commente Marie-Hélène Florenson.
Dans le diocèse de l’Essonne, « on renforce la préparation du mariage pour que les personnes prennent conscience de l’engagement qu’elles s’apprêtent à prendre », précise Guy de Lachaux.
Infographie : Léo Humbert/EPJT
En termes de chiffres, réforme ou pas, les demandes de nullité de mariage demeurent un phénomène de niche face aux 100 000 divorces civils prononcés chaque année en France : 491 demandes ont été introduites en 2019, d’après les statistiques établies par le Saint-Siège.
Les examens en deuxième instance ont été divisé par dix entre 2014 et 2019 mais le nombre de demandes devant les tribunaux a peu augmenté : à peine 100 de plus en 2019 par rapport à 2014.
Le chemin qui pousse les fidèles à rompre leur union religieuse reste semé d’embûches. Certains s’arrêtent encore en cours de route : 13 en première instance et 5 en deuxième instance en 2019. Seulement 19 évêques ont jugé une procédure de nullité cette même année.
Ces constats se retrouvent également sur l’ensemble du continent européen.
Infographie : Léo Humbert/EPJT
La méconnaissance générale et la complexité de la procédure de nullité de mariage en font une pratique de niche. Malgré quelques réformes, l’Église reste coincée dans le passé et les certitudes d’une partie de sa hiérarchie. Un phénomène que l’on retrouve dans d’autres enjeux de société. Au risque que ce décalage ne devienne un fossé.
(*) Le prénom a été modifié pour protéger l’anonymat.
Julie Cedo
@JulieCedo
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Sarah Chevalier
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Samuel Eyene
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Étudiant en journalisme à l’EPJT.
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Léo Humbert
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Étudiant en journalisme à l’EPJT.
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