Médecins

une espèce en voie de disparition

Les déserts médicaux ne sont plus seulement ruraux. Ils touchent également les villes moyennes.

Prendre un rendez-vous médical. Une formalité pour certains, un casse-tête pour d’autres. Des milliers de Français vivent dans des territoires où l’Etat peine à garantir l’accès aux soins. Délaissés par les praticiens, certains citoyens haussent le ton et s’emploient à trouver une alternative. Pour dire adieu aux déserts médicaux, la téléconsultation peut-elle être une solution  ?

Par Cyrille Ardaud, Thibault Chauvet, Robin Doreau, Margaux Lacroux (texte et photos)

Dans une rue passante de Laval, en Pays de Loire, une pile de tracts occupe le comptoir de la pharmacie centrale. « Il y a environ 6 500 Lavallois sans médecin. Nous essayons de les compter en distribuant des flyers qui contiennent des coupons de recensement. On en a imprimé 30 000, c’est plutôt satisfaisant de voir que les petits commerces jouent le jeu », se réjouit Maxime Lebigot, président de l’Association des citoyens contre les déserts médicaux.

En France, les généralistes se font de plus en plus rares. En cause, une répartition inégale selon les territoires et une difficulté à trouver des successeurs après les départs à la retraite. A tel point que la désertification médicale gagne aujourd’hui des villes de taille moyenne telles que Laval.

Maxime Lebigot, créateur de l’Association des citoyens contre les déserts médicaux.

Plusieurs candidats à la présidentielle (Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon, Benoît Hamon) ont intégré des propositions concernant ce fléau dans leur programme. Depuis une trentaine d’années, malgré de multiples mesures, c’est toujours le même constat. Aucun gouvernement n’a réussi à enrayer la tendance.

Celui de Manuel Valls n’a pas fait exception : son amendement permettant la régulation de l’installation des médecins a été rejeté par les députés fin 2016. Le texte prévoyait qu’en zone dense, un médecin ne pouvait être conventionné par l’assurance maladie que lorsqu’un confrère de la même zone cessait son activité.

Dès le début du quinquennat, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, a aussi lancé le pacte Territoire-Santé. Il vise à agir dès la formation des jeunes médecins en leur proposant des incitations financières en cas d’installation dans des territoires déficitaires. Ce pacte prévoit la mise en service de plus de mille

maisons de santé d’ici 2017. Un objectif audacieux puisqu’il n’y en avait que 174 en 2012.

En complément, des stratégies à long terme sont enfin déployées. Ces deux dernières années, le gouvernement a décidé d’augmenter le nombre de places ouvertes en médecine. Les étudiants qui ont bénéficié de cette mesure commenceront à exercer dans une dizaine d’années.

À Laval, pénurie médicale

Quand Maxime Lebigot et sa femme se sont installés à Laval en novembre 2011, ils n’imaginaient pas qu’il s’engageraient quelques années plus tard dans une bataille avec un but aussi élémentaire : trouver un médecin généraliste. Avant, ils vivaient à Flers, ville normande trois fois moins peuplée que Laval où ils n’avaient aucun problème d’accès aux soins. A son arrivée, le couple trouve un docteur dans le centre-ville. Mais en juin 2016, celui-ci annonce qu’il va prendre sa retraite et qu’il n’y aura pas de repreneur.

Parents d’un bébé de 4 mois, les Lebigot passent en revue la liste des praticiens de Laval. « On nous a dit de rappeler en septembre, que les médecins allaient voir comment se distribuer les patients. » En attendant, le couple trouve une pédiatre qui leur fait comprendre qu’ils ne pourront pas compter sur elle à long terme.

« On n’a pas la mer, pas la montagne. Il faut un hôpital fort et celui de Laval a très mauvaise réputation »

Maxime Lebigot

En septembre, Maxime Lebigot rappelle tous les médecins qui, finalement, ne peuvent pas prendre de nouveaux patients. Et pour cause : les généralistes lavallois ont déjà une patientèle de 1 500 à 2 000 personnes. « Ils sont bien au-dessus de la moyenne nationale. Quand ils disent non, ils sont confrontés à la déception, voire à des pleurs ou à des agressions verbales », déplore Luc Duquesnel, médecin généraliste à Mayenne et président de l’UNOF-CSMF, premier syndicat de médecins généralistes libéraux.

« Je tombe sur les secrétaires à bout de nerfs. On me dit d’aller à l’hôpital », raconte Maxime Lebigot. L’hôpital, il connaît bien puisqu’il y travaille en tant qu’infirmier. Pour lui, pas question de squatter des urgences déjà bondées. « On n’a pas la mer, pas la montagne. Il faut un hôpital fort et celui de Laval a très mauvaise réputation. » Pour couronner le tout, en absence de médecin traitant déclaré, les soins sont moins bien remboursés par l’Assurance maladie.

Las, il décide d’interpeller les élus sur Twitter. Des cas similaires au sien se signalent. La machine médiatique s’enclenche et lui apporte toujours plus de témoignages d’autres Lavallois, dont les situations sont parfois alarmantes.

Le 28 novembre 2016, Maxime Lebigot créé l’Association de citoyens contre les déserts médicaux, qui se veut apolitique, et réunit dès les premiers jours une cinquantaine d’adhérents. « L’objectif est de faire partie des groupes de travail sur la problématique de la démographie médicale, à la mairie, à l’agglomération, au conseil de l’Ordre des médecins, à l’Agence régionale de la santé, à la Sécu et dans toutes les communes qui souhaitent nous accepter comme citoyens usagers », explique Maxime Lebigot.

Cette mobilisation suscite quelques réticences : « Je crains qu’on ne fasse fuir tous les médecins qui ont envie de s’installer en Mayenne. Les jeunes peuvent se dire : “Si on vient s’installer, on va crouler sous les patients” », nuance Luc Duquesnel.

S’il y a un point sur lequel les acteurs locaux s’entendent, c’est sur les causes de la désertification lavalloise : « Tous les médecins qui partent à la retraite depuis deux ou trois ans exerçaient seuls, souvent sans secrétariat. Très clairement, c’est un exercice obsolète », estime Luc Duquesnel. Ni la vague de départs à la retraite ni les attentes des nouveaux médecins n’ont été suffisamment pris en compte.

« Quand un médecin part à la retraite, il faut souvent deux jeunes pour le remplacer »

Dr Duquesnel

Du côté des jeunes médecins, les modes d’exercice ont changé : les temps partiels sont plus nombreux et l’installation en libéral n’est plus la règle. « Aujourd’hui, y compris dans des maisons médicales ou de santé, quand un médecin part à la retraite, il faut souvent deux jeunes pour le remplacer », poursuit le Dr Duquesnel. C’est aussi une question d’attractivité du territoire : « On n’a pas la mer, pas la montagne. Il faut aussi un hôpital fort, et celui de Laval a très mauvaise réputation. Mais il remonte la pente », ajoute Maxime Lebigot.

Pour enrayer la désertification, le gouvernement a un temps essayé d’attirer les médecins étrangers. Mais à Laval comme ailleurs, ce système a ses limites (barrière de la langue, formation différente…). Désormais, les mesures visent à encourager l’installation des jeunes médecins en zone rurale. Mais la nouvelle génération est-elle prête à quitter la ville ?

Localement, quelles solutions sont envisagées à Laval ? Après une période où les multiples acteurs se sont renvoyé la responsabilité, des solutions émergent. Le maire, François Zocchetto, parle d’abord d’une mesure d’urgence : « Cet hiver, nous avons mis en place un centre de santé avec des médecins jeunes retraités qui encadraient des internes de médecine générale de dernière année. » Une solution temporaire qui doit être complétée.

A moyen terme, « il faut montrer que nous sommes prêts à accompagner tous les regroupements de professionnels », appuie Luc Duquesnel. Plusieurs projets sont tombés à l’eau ces dernières années mais, fin 2016, l’ARS a enfin donné son feu vert pour la construction d’une maison de santé pluridisciplinaire.

« Ce type d’investissement n’était pas prévu puisqu’il n’est pas du ressort de l’agglomération », rappelle le maire de Laval. Pour Maxime Lebigot, les maisons de santé permettront de lutter contre la désertification seulement si Laval est reconnu comme zone déficitaire en médecins. Plusieurs territoires plus ruraux en Mayenne bénéficient déjà de ce zonage, défini par l’ARS, et ont pu limiter la désertification.

François Zocchetto, maire de Laval, se dit favorable au développement de la télémédecine dans sa ville.

« Cela fait plusieurs mois que j’envoie des courriers à Marisol Touraine pour revoir au plus vite le zonage. Mais je n’ai aucune réponse satisfaisante de sa part, déplore le maire de Laval. Si notre ville était dans le zonage, nos médecins profiteraient de certains avantages tels que des dotations à l’installation ou des avantages fiscaux. Alors qu’aujourd’hui, ils n’ont droit à rien. »

François Zocchetto serait aussi favorable au développement de la télémédecine dans sa ville, une pratique médicale facilitée par les télécommunications, mais assure n’avoir reçu aucune offre. Un projet de téléconsultation a cependant été proposé à l’association de Maxime Lebigot. Ce processus, qui permet de réaliser des consultations médicales à distance, est de plus en plus utilisé dans les zones sous-dotées.

Samantha t’Kint, jeune ingénieure Lavalloise, dont le médecin est « proche de l’épuisement », raconte comment l’idée a germé : « J’ai constaté que nous étions nombreux à prendre des rendez-vous juste

pour un renouvellement ou un certificat. Le patient pourrait se rendre à la borne “boîte à ordonnance” le soir après son travail et le médecin aurait vingt-quatre heures pour valider ou demander un complément. » Pour l’instant, cette boîte à ordonnances ne convainc pas Maxime Lebigot.

La technologie au service des patients

Dans un village à l’autre bout de la France, la situation est semblable. Oberbruck, dans le Haut-Rhin, peine à dépasser les quatre cent cinquante âmes. Trois mille habitants en comptant les villages alentours.

Dans la campagne alsacienne, les médecins se font de plus en plus rares. Les Haut-Rhinois sont 48 % à vivre dans un désert médical selon une étude de l’UFC Que Choisir publiée début juin 2016. Les spécialistes sont les plus grands déserteurs, avec, en tête, les pédiatres, les ophtalmologues et les gynécologues.

A Oberbruck, la chaise du médecin est désespérément vide, le praticien est parti à la retraite il y a quatre ans. La salle d’attente, elle, est bien pleine. En 2013, le maire de la commune, Jacques Behra, se met en quête d’un nouveau généraliste, en vain.

« Le plus compliqué, c’est que les patients sont partis, il faut les faire revenir, qu’ils prennent confiance dans ce nouveau système »

Jacques Behra

Il contacte l’Association de soins et d’aides Mulhouse et environs (Asame) et passe un accord : l’organisation se charge de trouver un médecin et la commune met un local à sa disposition. Malgré tous les efforts, impossible de trouver un praticien qui souhaite s’installer dans le village.

L’Asame propose alors une solution innovante : un chariot de télémédecine. Cet « ordinateur sur roulettes » permet de téléporter le médecin, parfois à plusieurs centaines de kilomètres, auprès du patient. Un système de caméras permet de communiquer. Une série d’instruments sont contrôlables à distance pour les relevés. Au côté du patient, un infirmier est présent pour l’accompagner et prendre le pouls, la température, la tension artérielle…

Quand le maire visite l’entreprise strasbourgeoise Hopi qui propose le chariot, il voit immédiatement le potentiel de cette machine : « Nous étions enchantés. C’était pour nous une solution transitoire, en attendant de retrouver un médecin. Bien sûr, cela peut aussi fonctionner avec un médecin en parallèle. »

Mais cette solution coûte cher : la commune a investi près de 45 000 euros, essentiellement consacrés à la rénovation du cabinet. Le chariot, lui, a été prêté par l’Asame.

Malgré l’enthousiasme de Jacques Behra, cette solution ne suscite pas immédiatement l’engouement des habitants. D’autant plus que les premières semaines, le chariot essuie quelques problèmes techniques : « Nous avions des soucis de connexion. Mais le plus compliqué, c’est que les patients sont partis, il faut les faire revenir, qu’ils prennent confiance dans ce nouveau système. Depuis septembre, j’ai tout de même de bons retours. »

Petit à petit, la téléconsultation fait son nid

Ce qui ne devait être qu’une solution provisoire semble se pérenniser. Initialement, le cabinet n’était ouvert que deux heures par jour. Désormais, il est possible de prendre rendez-vous tout au long de la journée, du lundi au vendredi. Les patients peuvent d’ailleurs garder le même médecin d’une consultation sur l’autre.

Un cabinet médical presque normal en somme et un défi qui aurait été impossible à relever sans cette technologie : « C’est bien plus simple de trouver des médecins pour la télémédecine que de les faire venir ici, constate Jacques Behra. Ils peuvent exercer quand ils le souhaitent. Et même depuis leur domicile. »

Ce type de technologie a fait son apparition dans d’autres campagnes. A Cluny, en Bourgogne-Franche-Comté, une résidence de retraite a installé la Consult Station, une cabine de téléconsultation. Imaginée par Franck Baudino – un médecin généraliste – et commercialisée par l’entreprise H4D, la cabine permet de faire des analyses de santé simples de manière autonome.

Le patient s’assoit à l’intérieur et démarre le programme. Face à lui, un écran détaille les différentes étapes du processus et indique comment positionner les différents capteurs (thermomètre, tensiomètre). A la fin de la consultation, un récapitulatif est imprimé pour le patient et les données sont transmises par Internet au médecin traitant.

La cabine, facturée aux alentours des 100 000 euros, a un rôle de prévention : « Tous les résidents passent dans la Consult Station une fois par mois. Cela permet de vérifier que tout va bien, qu’il n’y a pas de souci de tension ni de température trop élevée », explique Martine Alges Da Posta, à la tête de l’établissement.

« S’installer dans une cabine bourrée d’électronique, ça ne rassure pas vraiment  »

Martine Alges Da Posta

Mais les résidents ne sont pas aussi convaincus que la directrice. Cette dernière admet volontiers que « passé 70 ans, tout le monde n’est pas forcément très réceptif aux nouvelles technologies. Nos pensionnaires ont déjà du mal avec un ordinateur ou un téléphone portable, alors vous imaginez bien que s’installer dans une cabine bourrée d’électronique, ça ne les rassure pas vraiment. »

Consciente de cette limite, Martine Alges Da Posta fait tout pour rassurer les patients, reste avec eux le temps de la consultation et les aide à positionner les instruments. Une petite contrepartie est parfois nécessaire : « A chaque fois, je passe un accord avec eux. Ils vont dans la cabine et ils ont droit à un dessert supplémentaire. »

Pour l’heure, la technologie ne remplace pas totalement les médecins en France. Les instruments de télémédecine restent des outils pour palier la distance. Et la présence d’un professionnel de santé est dans la plupart des cas encore nécessaire pour accompagner le patient. Mais ce type de solution se développe.

Et c’est justement pour accompagner cette émergence d’initiatives que l’ARS des Pays-de-la-Loire a lancé en mai dernier la plateforme Qimed. Ce portail coopératif est mis à disposition des établissements sanitaires, médico­-sociaux et des professionnels de santé libéraux de la région. Il permet le partage et l’échange des données de santé du patient, en toute sécurité, dans le but d’améliorer la qualité de sa prise en charge. Si cette plateforme n’en est qu’à ses balbutiements, elle reste la preuve que la télémédecine s’immisce de plus en plus dans le paysage médical français.

La téléconsultation, proposition imparfaite

Photo Pixabay

Le maire d’Oberbruck a franchi le pas de la télémédecine. Il la considère comme une véritable solution face à la désertification médicale. Tous ne sont pas de cet avis. Véritable révolution médicale pour les uns, menace du remplacement de l’homme par la machine pour les autres, la question divise les professionnels de la santé. La télémédecine serait-elle vraiment une alternative durable au manque de médecins ?

Fabien Avena a une cinquantaine d’années. Il est médecin dans le Ribéracois, en Dordogne. Sur un secteur de 30 kilomètres à la ronde, on trouve à peine une dizaine de ses confrères et la majorité d’entre eux a plus de 60 ans. On pourrait croire que cette situation inciterait au développement de la télémédecine. C’est tout le contraire qui se produit.

« Pourquoi des médecins à qui il reste un ou deux ans d’exercice s’efforceraient à se former à ce genre de nouvelles pratiques ? Ils voient cela comme une perte de temps. »  Lui préfère anticiper. Il accorde toute son importance à la télémédecine et a décidé de suivre une formation : un diplôme inter-universitaire (DIU) de télémédecine.

Cette formation est proposée depuis novembre 2016 par l’université de Bordeaux, en collaboration avec celles de Besançon, de Montpellier, de Lille et de Nantes. Le diplôme est courtisé par 42 inscrits, tous professionnels de la santé, ou en passe de le devenir. « C’est un très grand succès. On ne s’attendait pas à avoir autant d’élèves la première année, s’étonne Nathalie Salles, responsable de la formation. Cela montre bien que le besoin est là et que les professionnels sont en attente de formation. »

« Ce diplôme ne va pas changer leur vie, mais c’est un vrai plus »

Nathalie Salles

Le cursus se compose de différents modules. Si certains sont « en présentiels » (cours en salle classique), la plupart sont en « e-Learning ». Autrement dit, les inscrits – de toute la France – peuvent les suivre depuis chez eux sur Internet.

Une formation unique en France, qui permet aux médecins, infirmiers et autres membres de l’ARS inscrits, d’en apprendre plus sur les enjeux juridiques, sociaux, économiques et sanitaires d’un tel outil.

« Au sortir de cette formation, les diplômés seront beaucoup plus à l’aise pour pouvoir monter différents projets en lien avec la télémédecine, assure Nathalie Salles. Ce diplôme ne va pas changer leur vie, mais c’est un vrai plus. » Fabien Avena et ses camarades achèveront leur cursus en juin prochain, date à laquelle ils se rendront à Montpellier pour soutenir leur mémoire final.

L’approche de la retraite n’est pas l’unique raison qui pousse les professionnels à se tenir à distance de la télémédecine. En 2016, Maxime Durupt, médecin, a co-publié une étude sur la télémédecine en zones rurales. Une trentaine de médecins ont témoigné anonymement pour exprimer leur opinion sur le sujet. Un mot revient régulièrement : le risque.

« Il y a un risque majeur de sous-diagnostic ou de perte d’information », « Le caractère novateur et immédiat risque de prendre le pas sur l’écoute », « les médecins évoquent le risque de “dépersonnaliser” le patient (…) et le risque d’un “désengagement du médecin vis-à-vis de ses patients.” »

Ce sont ici les « effets secondaires » de la téléconsultation qui sont remis en cause par les professionnels. Bien sûr, elle peut compenser l’absence de médecin traitant en reprenant une patientèle, mais elle serait, d’après eux, bien moins efficace en terme de suivi, laissant l’humain de côté.

« Un palliatif n’est pas une solution »

Si Frédéric Bizard, économiste de la santé, assure que la télémédecine est une innovation qui « devrait être généralisée, beaucoup plus utilisée », elle ne doit certainement pas se substituer au médecin : « C’est un outil qui améliore le service rendu par le professionnel de santé, pas un outil qui doit devenir le professionnel de santé. »
Selon lui, la télémédecine n’est pas la solution pour lutter contre les déserts médicaux : « C’est une très mauvaise idée. Ça n’est que palliatif. Un palliatif n’est pas une solution. Mais elle peut venir compléter l’arsenal sanitaire de toutes les régions et il faut l’intégrer sur tous les territoires. »

Maxime Lebigot, l’infirmier lavallois, partage l’avis de l’économiste. On pourrait croire que la télémédecine est une réponse adaptée à la pénurie de médecin qui touche la Mayenne. Pour lui, il n’en est rien : « Notre profession, c’est de l’humain, ce n’est pas que de la technique. La télémédecine n’est pas une solution. Ce qu’il faut, c’est de la palpation. Pourquoi pas l’utiliser pour un simple renouvellement de médicaments, mais pas pour une consultation. »

L’avis de Maxime Lebigot n’est pas vraiment partagé par le Dr Duquesnel. « Nous n’en sommes peut-être pas au point d’avoir besoin de cabines de téléconsultation, mais nous avons besoin de la télémédecine. » Le médecin voit en celle-ci un moyen d’élargir sa patientèle : « Si l’on peut rester dans notre cabinet et avoir à l’autre bout de la webcam une infirmière présente avec les patients et si on peut envoyer des ordonnances, je ne vois pas où est l’aspect négatif. C’est plus rapide, on peut donc voir plus de patients par jour. »

Pour lui, la télémédecine ne devrait d’ailleurs pas se limiter aux généralistes : « Le véritable problème en Mayenne vient surtout du manque de spécialistes. Si les patients ne peuvent pas obtenir de rendez-vous avant six mois, on risque de passer à côté d’urgences. »

« Il faut tout repenser pour faire entrer cet outil dans notre quotidien »

Nathalie Salles

Oubliés les risques éventuels soulignés par les médecins anonymes de l’enquête de Maxime Durupt. Tant pis si les patients sont moins bien suivis, du moment qu’ils sont suivis, et ce, en plus grand nombre.

Une chose est sûre, tant que les organisations de santé et les textes juridiques n’auront pas évolué vis-à-vis de la télémédecine, celle-ci rencontrera des obstacles. Comme le rappelle Nathalie Salles : « Il y a un frein avec la tarification, car elle n’est pour l’instant pas bien définie. Au niveau organisationnel, il y a aussi une barrière énorme. Il faut tout repenser pour faire entrer cet outil dans notre quotidien. »

L’éthique face à l’efficacité, l’humain face à la machine. Si elle peut faire peur, la télémédecine finira probablement par convaincre, si ce n’est la profession, les patients toujours en quête d’un médecin traitant.