Viande et cancer rapport choc ou emballement médiatique
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Le 26 octobre 2015, dans un communiqué officiel, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) classe la viande rouge dans le groupe des agents probablement cancérogènes. Tout sauf une surprise pour les végétariens. La filière bovine vit, elle, cette annonce comme un nouveau coup dur. Retour et explications.
Jérôme Vavasseur garde la passion du métier (Tours) Photo : Alexia Chartral/EPJT.
Fini les barbecues d’été avec de belles entrecôtes saignantes ? On pourrait le penser si on en croit le Centre international de recherche sur Internet (Circ). En octobre 2015, cet organisme affilié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), classe la viande rouge parmi les aliments « probablement cancérogènes pour l’homme ». Les colliers d’agneau et les rouelles de porc sont également du lot.
Les médias s’emparent immédiatement du communiqué. L’AFP dégaine la première, suivie de près par les radios, les chaînes d’information en continu et les rédactions web. Le mot « probablement » est oublié pendant quelques heures. Parfois même pendant une journée. Un emballement médiatique critiqué au sein même du corps médical. Régis Hankard, nutritionniste au CHU Trousseau de Tours, est membre de l’unité de recherche Nutrition, croissance et cancer. Il n’a pas de mots assez durs pour dire que « la presse a déconné. Elle a réagi de façon maladroite ». Abonné au Monde, il partage son désarroi quant au traitement de cette actualité. Un titre accrocheur, une photographie de viande industrielle : « On avait clairement un amalgame entre viande rouge et malbouffe. C’est dangereux. Les gens sont très sensibles à ce genre d’associations et aux on-dit. »
La viande, c’est symboliquement fort. C’est un aliment que presque tout le monde consomme en France
Mais côté journalistes, on renvoie la balle au Circ. Docteur en médecine, ancien journaliste spécialisé en médecine, biologie et bioéthique au Monde, Jean-Yves Nau est chroniqueur à Slate et parle de l’actualité scientifique sur son blog. Pour lui, le problème vient en partie d’un souci de communication de la part de l’OMS. Il ne peut pas imaginer que l’organisation n’avait pas conscience du retentissement qu’aurait son rapport. « La viande, c’est symboliquement fort. C’est un aliment que presque tout le monde consomme en France », rappelle-t-il. Il critique le communiqué succinct et laconique publié sur le site internet de l’OMS : « On ne peut pas faire quelque chose d’aussi mal ficelé sur un sujet aussi complexe avec des enjeux aussi lourds. Ils ont publié quelque chose de bâclé. » Une erreur qui, selon lui, en plus de compromettre les journalistes, discrédite l’approche scientifique. « Les gens disent que c’est ridicule, que tout est cancérogène, qu’on ne peut plus rien faire. Ça fait vraiment discussion de bistro, sur un sujet qui mérite bien plus. »
Un rapport mis en scène
Pourtant, la communication du Circ semblait bien organisée. L’étude a mobilisé vingt-deux scientifiques internationaux. Denis Corpet, chercheur toulousain à la retraite, y a contribué bénévolement. Pour lui, une certaine mise en scène était prévue : « Il y avait un embargo de l’OMS. Une fois le rapport rédigé, nous n’avions pas le droit d’en parler. » Des informations semblent avoir fuité. Le 22 octobre 2015, soit quatre jours avant la sortie officielle du rapport, le journal anglais The Daily Mail publie un article révélant au grand public le caractère cancérogène de la viande rouge. « Moi-même, ça faisait une semaine que j’étais courtisé par les journalistes », avoue-t-il. Cependant, même après cette indiscrétion, l’OMS refuse de lever l’embargo. Il faudra attendre la publication dans la revue scientifique américaine The Lancet Oncology pour que l’institution mette en ligne un communiqué de presse : les méfaits de la surconsommation de viande rouge et de charcuterie sur la santé sont avérés.
Viande et cancer, l’avis d’un chercheur par asjtours
De l’extérieur, ce refus de lever l’embargo est vu comme une incohérence. Selon Jean-Yves Nau, « cela témoigne d’une certaine désinvolture de la part du Circ ». Une désinvolture qui va de pair, selon lui, avec une mauvaise communication. Selon d’autres spécialistes du corps médical, la communication est savamment orchestrée, mais elle n’est pas tournée vers le public. « Ce serait faux de dire que le Circ et l’OMS sont perméables aux lobbies. Il ne faut pas oublier la compétition entre agences. Pour obtenir plus de fonds extérieurs, il faut publier les rapports en premier », explique Régis Hankard. Pour lui et de nombreux spécialistes, ce rapport est un non événement récupéré de toute part. « Quand j’ai lu ça dans le Lancet Oncology, je me suis dit “quelle connerie”. Certains collègues aiment faire le buzz. Il faut maintenant communiquer avec du bon sens et rassurer. »
Denis Corpet regrette lui aussi que les résultats de cette étude ne soient pas tournés vers le plus grand nombre. « On dit juste que c’est cancérogène, sans rien préciser. Beaucoup de gens disent: “C’est ridicule, ce n’est pas comme le tabac”. C’est vrai. Mais c’est tout de même cancérogène. » Il rappelle cependant qu’il y a peu matière à communiquer. Ce rapport est fait pour examiner les preuves de la cancérogénicité de la viande rouge. Avec les données obtenues, il aimerait que des enquêtes soient conduites sur les risques réels. « L’OMS n’a pas donné de dose de viande recommandée parce que ces risques n’ont pas encore été évalués. On n’a même pas pu voir si la cuisson de la viande a un impact sur son caractère cancérogène. Tout ce qu’on sait pour le moment c’est qu’il faut en manger, mais ne pas en abuser. »