Travaillez, vous êtes filmés
Après les lieux publics, les caméras investissent les entreprises. Les syndicats dénoncent une nouvelle façon de contrôler la productivité des salariés. Les patrons y voient, eux, un simple outil de lutte contre le vol. Entre les deux, la Cnil joue les arbitres et condamne (un peu) les abus de la vidéosurveillance.
« Pendant plusieurs semaines, mon patron a épié tous mes faits et gestes grâce aux caméras de surveillance. » Sonia* est pâtissière. La vidéosurveillance, elle en a subi les abus quand elle travaillait dans une boulangerie tourangelle. Son patron l’a licenciée pour une série de fautes mineures qu’il a qualifiées de graves. Sauf que le boulanger n’était pas présent au moment des faits. Sonia est persuadée qu’il pouvait observer les images des caméras depuis son domicile. Ce qui est interdit. L’affaire n’a pas intéressé les médias. Elle est symptomatique, pourtant, du problème de la vidéosurveillance et de ses dérives. Son usage en entreprise s’est développé mais les abus sont aujourd’hui peu sanctionnés. Il faut dire que les patrons ont trouvé les arguments pour éviter d’éventuelles poursuites : pour eux, il ne s’agit pas de surveiller leurs salariés mais uniquement de se prémunir contre les vols.
A la pharmacie des Atlantes, dans l’agglomération tourangelle, la direction a décidé il y a deux ans d’installer une dizaine de caméras, y compris dans les locaux réservés aux employés. L’agent de sécurité, reçoit directement sur sa tablette numérique les images captées. Pour les salariés, l’objectif de cette récente installation va au-delà de la simple lutte contre les clients indélicats. L’une d’entre eux, qui préfère rester anonyme, s’insurge : « Les patrons qui installent des caméras dans leur entreprise ont toujours une version officielle. Ici, c’est la protection contre les vols. Mais nous savons très bien qu’ils en profitent également pour nous surveiller. » Et de citer, pour preuve, les nombreuses remontrances du patron à l’encontre des employés qui prennent des pauses trop longues. Et de faussement s’étonner du fait que même quand il est à l’étage supérieur, il connaisse, à la minute près, leur heure d’arrivée et ne se prive pas de faire part de son mécontentement en cas de retard.
La surveillance des salariée par des caméras est pourtant « une pratique interdite par la loi mais serait en recrudescence depuis plusieurs années », regrette Jean Delaire, conseiller juridique à l’antenne générale de la CFTC à Paris. Certes, le nombre d’abus reste faible si on prend en compte le nombre total des entreprises mais les dérives existent. Fouillant dans sa mémoire, il se rappelle le cas de ce coiffeur parisien qui avait installé des caméras jusque dans les toilettes de son établissement.