Pas de roi en République

Théo Sorroche

Pas de roi en République

Pas de roi en République

Théo Sorroche

Les royalistes ne sont pas assez puissants pour présenter des candidats aux dernières élections régionales. Mais, à la faveur de la montée des extrêmes, certains d’entre eux voudraient croire à un retour de la monarchie dans l’Hexagone.

Des fleurs de Lys décorent leurs cravates et d’imposantes chevalières ornent leurs doigts. Sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Reims, entre des touristes asiatiques et un groupe de scouts – le public habituel – une quarantaine de personnes se démarque. Nous sommes le samedi 2 octobre 2015. Il est 14 heures et, sous le soleil, les adhérents de l’Institut de la maison Bourbon (IMB) sont venus fêter les 500 ans du sacre de François Ier. La moyenne d’âge est plutôt élevée même si l’on compte dans leurs rangs quelques quadragénaires et un benjamin de 21 ans. Le petit jeune, c’est David, légitimiste, tombé dans le royalisme « par dégoût des hommes politiques traditionnels suite aux débats de 2012. Il faut quelque chose de plus grand que les partis, un roi ». Jean-Petit de Mange, antiquaire d’ascendance noble ajoute : « Le roi cadrerait les hommes politiques qui font vraiment n’importe quoi. »

Les légitimistes de l'Institut de la maison bourbon admirent l'œuvre de l'histoire. Photo Théo Sorroche/EPJT

Défense de l’histoire et antirépublicanisme comme étendards

Dans la petite assemblée qui écoute religieusement Patrick Demouy, professeur d’histoire à l’université de Reims, Emmanuel Lepape. Ce Rémois ne pouvait manquer l’occasion d’entendre conter un morceau de son histoire de France. « Je suis royaliste avant tout car je suis catholique », revendique-t-il. Très vite viennent les critiques du régime actuel : « Il est impossible d’être républicain et catholique car la Révolution a opposé temporel et spirituel. La République est profondément anticatholique. » Il n’est pas le seul à blâmer le système. Antoine Robles, agent de finance d’origine espagnole, critique « la présidence d’aujourd’hui qui a été bâtie dans le sang de la Terreur et de la Révolution ».

Haine de la République, dégoûts des hommes politiques mais aussi amour de l’histoire, c’est ce qui rassemblent des hommes à Reims. « L’IMB est une association reconnue d’utilité publique, chargée de transmettre l’histoire et la tradition », explique son président, le prince de Beauffremont. Malgré le poids des ans, le baron de L’Epine, descendant de saint Louis, ne pouvait pas non plus manquer cette journée. Il acquiesce aux propos de ses compagnons : « L’IMB a un rôle crucial pour la mémoire de France. »

Après la visite de la cathédrale, Patrick Demouy entraîne les visiteurs dans le palais de Tau. Là où s’est déroulé, 500 ans auparavant, le banquet du sacre, à deux pas de la cathédrale. Les fleurs de Lys tapissent les murs de la salle principale, celle qui a servi pour le banquet. C’est le moment choisi par le prince de Bauffremont pour lire le mot d’excuse de Louis de Bourbon, qui n’a pas pu venir. Louis de Bourbon est l’actuel prétendant au trône de France. Dans ce mot, il parle de François Ier, qui a propulsé « la France au rang, jamais perdu depuis, des nations dont le nom même évoque la civilisation ». Une allocution suivie d’un tonnerre d’applaudissements.

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Dans la cathédrale de Reims, l'historien Patrick Demouy revient sur les sacres de Clovis et de François Ier .

Photo : Theo Sorroche/EPJT

Au moment d’entrer dans la salle des trésors, le guide fait une plaisanterie qui provoque les railleries de l’assemblée : « D’ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que les Orléans essaient de vendre leurs bijoux de famille », référence à la vente aux enchères fin septembre 2015 de bijoux, de tableaux ou de meubles d’une famille que l’on dit ruinée. Les Orléans conservent tout de même des soutiens. Le plus visible reste l’Action Française, mouvement ultranationaliste devenu royaliste sous l’influence de Charles Maurras.

Ils sont plus de 800 jeunes royalistes à être fortement actifs au sein de l’Action Française, sur 3 000 encartés. « Surtout des étudiants en hôtellerie, attachés au patrimoine, ou des universitaires, souvent en histoire et en droit, plus théoriciens », expose Antoine Breth, étudiant en droit, responsable des jeunes de l’Action Française. Leur prétendant, Henri d’Orléans, reste en retrait. Contrairement aux légitimistes, Antoine Breth affiche que « notre royalisme est politique ». Comme celui des adynastiques de l’Alliance Royale, seul parti politique « dans le système » parmi les royalistes. « Mais il y a une vraie rupture, car on ne se bat pas uniquement pour la mise en place du royalisme », explique le jeune leader d’Action Française.

Dans les rues de Versailles, Stan Smith aux pieds, casquette vissée sur la tête, Florian, étudiant en histoire, ne ressemble pas à un nostalgique de la couronne. Et pourtant, il « rêve d’un retour à la monarchie absolue, à l’âge d’or, pour une France vraiment stable qui croit en ses élites ». Une nostalgie entretenue par certaines élites…

La nostalgie (camarade)

Louis XIV en majesté devant le louvre. DR

« Il nous manqe un roi. » La déclaration d’Emmanuel Macron au Point en juillet dernier a relancé un débat politico-philosophique abandonné depuis le début du XXe siècle.

Le ministre de l’Économie développe sa pensée dans les colonnes du 1 : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. » Un discours troublant pour un ministre de la République.

L’électron libre du gouvernement n’est pas le seul à évoquer le sujet. Plusieurs figures médiatiques et populaires, comme Lorànt Deutsch, Thierry Ardisson ou Stéphane Bern – dont l’émission « Secrets d’histoire » fait un carton d’audience – s’assument royalistes. En juin 2014, sur France 2, Laurent Voulzy déclarait trouver « très belle » l’idée de monarchie.

Le jubilé d’Elisabeth II d’Angleterre, la naissance du « royal Baby », le mariage du prince Albert de Monaco, les abdications d’Albert II de Belgique et de Juan-Carlos d’Espagne ont fait la une de l’actualité en France. Syndrome d’une certaine nostalgie de la figure royale dans l’Hexagone. En 2014, à la question « Aimeriez-vous que la France ait un roi ? » posée sur son site par Le Parisien, 48 % des 16 000 personnes interrogées ont répondu « oui ». Une passion pour les familles régnantes dont on peut se rendre compte à travers les ventes de Point de Vue, le magazine des têtes couronnées. Celui-ci tire à plus de 300 000 exemplaires chaque mois selon l’OJD. À titre de comparaison, le mensuel Marie France est tiré, lui, à 220 000 exemplaires. Frederic Rouvillois, professeur de droit public, livre au Figaro.fr en 2014, son analyse de cette nostalgie qui imprègnerait les Français : « Les rois et les reines exercent un pouvoir de fascination. Ils font rêver : les enfants ne se déguisent pas en président et première dame, mais en princes et en princesses. »

Projet, propositions, action (réaction)

Patrick Demouy dans le palais de Tau. Photo : Théo Sorroche/EPJT

« Le roi est fédérateur. » Tel est l’argument principal avancé par tous les royalistes. « Ce que nous montrent les monarchies en Europe, c’est l’importance d’un personnage qui incarne la nation, qui agit pour le bien commun. Il faut restaurer l’idée carolingienne du ministère royal qui représente un service avant tout, avance Patrick Demouy. Un roi est désigné, il est héritier, il est formé pour gouverner. Il n’a ainsi pas d’ambition personnelle sur ce pouvoir. » L’universitaire ne cache pas sa sympathie pour le royalisme.

Un argument de poids quand le thème du « tous pourris » trouve un écho si intense suite aux scandales politiques de ces trente dernières années. Christelle de Crecy, coordinatrice d’Alliance Royale, développe : « Un roi n’a pas à être élu. Il n’a donc aucun lien avec des lobbies. » En cas de restauration ou d’instauration, « le roi aurait les pouvoirs régaliens, la main sur la monnaie ou la politique extérieure », poursuit Christelle de Crecy. Personne ne s’étend sur le coût éventuel pour le contribuable. Coût qui dépasse les 45 millions d’euros au Royaume Uni par exemple.

Un roi est désigné. Il est l’héritier. Il est formé pour gouverner.

Patrick Demouy, historien

L’Action Française prévoit même de supprimer une démocratie derrière laquelle « se sont cachés Staline ou l’Amérique d’Hiroshima ». Un changement complet de système dans lequel « les citoyens se feront entendre et discuteront dans les groupes dans lesquels ils vivent et travaillent ». L’Action Française est surtout remuante sur les sujet de société. « Nous avons été particulièrement actif lors du printemps français », mouvement réactionnaire antimariage gay explique Antoine Breth.

Jean-Paul Gautier politologue auteur de La Restauration Nationale met en doute l’efficacité de l’Action Française. En cause? Son attachement à Maurras, inconciliable avec la réalité actuelle : « La culture politique des maurassiens est essentiellement tournée vers le passé. Il a développé une méditation sur la décadence, typique d’un nationalisme de droite, conservateur, réactionnaire et fermé. Or, il est impossible de concilier une vision traditionnelle de l’ homme et de la politique dans un monde gagné par la modernité démocratique. »

Julien Odoul, conseiller spécial de Marine Le Pen pour l’histoire, pense que si « les Français sont attachés à la République, il y a quand même un penchant monarchique dans ce pays. On le voit toujours avec cette idée du “président monarque” portée par de Gaulle ». Et ils sont nombreux à penser que, si la Ve République a pu fonctionner de manière durable et efficace, c’est certainement dû à son subtil mélange entre république et monarchie. Se voulant « président normal », François Hollande a peut-être définitivement détruit le côté monarque du président, un travail de sape entamé par le quinquennat ultramédiatisé de Nicolas Sarkozy.

Le système républicain n’est pas mort pour autant et les débats de la présidentielle 2012 ont davantage porté sur une possible VIe République, soutenue par Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon, que sur une éventuelle restauration. « Actuellement, un retour à la monarchie est à la fois non envisageable et impossible. Ils sont trop peu et trop divisés », confirme Jean-Paul Gautier.

Une poignée d'élus municipaux

Les monarchistes ne comptent d’ailleurs que six élus en France, tous conseillers municipaux et du parti adynastique Alliance Royale. « Ce que nous voulons, c’est constituer une force politique. Nous nous démarquons des mouvements plus culturels qui se projettent vers le passé. Louis XIV, Marignan… c’est très important de les célébrer mais on parle des Français du XXIe maintenant, plus de ceux du XVIIe », justifie Christelle de Crecy. Il n’y a eu cependant aucun candidat aux régionales, faute de moyens. La démarche électorale ne fait pas l’unanimité. « Je pense que ce n’est pas la place d’un roi de mener un parti minoritaire. Faire 0,001 % ne sert à rien. » Philippe Montillet, secrétaire particulier de Louis de Bourbon, prétendant légitimiste, résume ainsi la position des héritiers à la couronne de France.

Ce n’est pas la place d’un roi de mener un parti minoritaire.

Philippe Montillet

L’Action Française, bien qu’orléaniste est d’accord sur ce point. Les urnes n’ont jamais été garantes du retour du roi. En 1873, dans une IIIe République balbutiante, le comte de Chambord est venu secrètement à Paris dans l’espoir de voir les députés réclamer son retour sur le trône. Avec la mort de Louis-Napoléon Bonaparte et la démission du président Adolphe Thiers, le terreau est fertile. Malgré une majorité royaliste forte, orléanistes et légitimistes divisent la chambre des députés. Le comte de Chambord n’est finalement pas appelé à la tête de l’Etat et le mouvement ne remplira jamais plus la plupart des bulletins de votes.

La chute des royalistes à l’assemblée nationale
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Parmi les élus d’aujourd’hui, Thibault Brière-Saunier s’est présenté sous la double étiquette AR-rassemblement Bleu Marine. Pourtant, il y a un « point d’achoppement majeur entre les deux mouvances, selon Julien Odoul. Le Front National est un parti républicain ». Du côté royaliste, beaucoup refusent cette alliance. « Quand les gens auront compris que le FN n’est qu’une imposture, ils voudront un changement pur de système », explique Christelle de Crecy. L’élu, lui, s’est justifié l’an passé à LEcho Républicain : « J’ai beaucoup de points de convergence avec le FN. En premier lieu mettre fin au système UMP-PS. »

Antoine Berth l’admet : « Certaines mesures du FN sont intéressantes pour nous qui soutenons le souverainisme et la sortie de l’euro. » Sans oublier que cette alliance permet de prendre du poids sur un échiquier politique où le royalisme est « une donnée dépassée » selon les principaux partis politiques. Orléanistes comme légitimistes ne songent de toute façon pas arriver au pouvoir électoralement. Plutôt à la faveur de l’agrégation de crises politique, sociale et économique. Le comte de Paris, Henri d’Orléans, imagine sur le site de l’Action Française qu’une grave crise « débouche sur une paralysie des pouvoirs. Le roi pourrait alors représenter une solution ».

Attendre, voter ou combattre, instaurer ou restaurer… Les royalistes, déjà très minoritaires, n’arrivent pas à s’entendre. Et, a fortiori, à se faire entendre.

Pas de couronne pour Louis de Bourbon

Louis de Bourbon, descendant des rois de France et d'Espagne, prétendant au trône de France.

Nous n’avons pu rencontrer Louis de Bourbon, mais ses trois principaux soutiens ont accepté de nous dresser son portrait, entre tradition et modernité. À 41 ans, Louis de Bourbon est un inconnu pour la plupart des Français. Pourtant, si le règne des Capétiens s’était poursuivi, il serait aujourd’hui Louis XX, roi de France. Ses proches louent ses valeurs et caressent l’espoir de le voir un jour monter sur le trône.

« C‘est un présentateur de télévision sud-américain ? » Quand on présente la photo de Louis de Bourbon, comte d’Artois, descendant en ligne directe de Louis XIV, aux passants devant le palais du Louvre, les réponses partent dans tous les sens. Et pour cause, son visage n’est connu que des initiés ou des lecteurs assidus du Figaro Magazine dont il a fait la couverture en juillet dernier. Trois hommes travaillent dans l’ombre pour tenter de le mettre en lumière : son secrétaire particulier, Philippe Montillet, le secrétaire général de l’Institut de la maison Bourbon, Laurent de La Rosière, et son parent, le prince de Bauffremont. Trois hommes qui lui tressent des lauriers. « Quand on le voit, on a cette impression de majesté, il a une autorité naturelle. En même temps il est très ouvert », l’encense Laurent de la Rosière. Et Philippe Montillet d’ajouter : « Il réenchante le monde à son passage. » Il ne lui manque plus que de guérir les écrouelles…

Louis Alphonse de Bourbon est né à Madrid le 25 avril 1974, « le même jour que saint Louis, précise Philippe Montillet. C’est une filiation très importante chez les Bourbons ». Enfant, le Prince est rapidement mis en avant dans les médias. Philippe Montillet se souvient du prince enfant « dans sa piscine alors que les photographes l’entouraient déjà ». Arrière-petit-fils d’Alphonse XIII d’Espagne par son père et de Franco par sa mère, il est cousin du roi d’Espagne, Felipe VI, dont « il n’est pas aussi proche que son père l’était de Juan Carlos ».

Travail, famille, tradition

À 15 ans, son père Alphonse décède. Il devient alors le prétendant à la couronne. « C’était compliqué car, en politique, il est rare qu’un enfant de son âge soit impliqué », se remémore Philippe Montillet. À 18 ans, premier moment fort, l’héritier préside le centenaire de la mort de Louis XVI devant une basilique Saint-Denis « noire de monde où des milliers de Français l’acclamaient », sourit son secrétaire particulier. Depuis, le prince a obtenu un master en finances, une réussite estudiantine qui est « la preuve de sa modernité là où beaucoup de gens de sa catégorie se reposent sur ce qu’ils ont déjà ». Aujourd’hui, il est vice-président international de Banco Occidental de Descuento, la sixième banque du Venezuela. « Son travail compte pour lui, il ne veut pas être coupé du monde. »

Très attentif à l’image de sa famille, il n’hésite pas à poser avec ses jumeaux de 5 ans, sa fille de 8 ans et son épouse. Lui-même a connu une vie familiale tumultueuse. Il a été « très affecté par la mort de son frère aîné dans un accident de voiture ». Il n’avait pas encore 10 ans. Ses proches préfèrent éluder le divorce de ses parents deux ans auparavant et les frasques de sa mère, Carmen Martínez-Bordiú qui ont fait les choux gras de la presse madrilène dans les années quatre-vingt. « Louis préfère suivre l’exemple de son père, dans la lignée des Bourbons », précise le prince de Bauffremont.

Dans la lignée de ce père aux idées catholiques très conservatrices, Louis de Bourbon a tenu à faire entendre sa voix sur le mariage gay. Pour le dénoncer, comme il se doit : « Nos hommes politiques ne peuvent prendre la responsabilité de redéfinir les lois immémoriales de la nature humaine. » Philippe Montillet ne peut qu’applaudir : « Il faut lutter contre ces lois contre-nature. » Un prince moderne, donc, mais pas trop.

L’image du « roi au dessus des partis » est soulignée par Laurent de La Rozière : « Les maires de tout bord l’accueillent très bien dans leurs villes. » L’attraction des Français pour les têtes couronnées, même sans couronne, est connue. Malgré tout, le prince « ne prétend à rien, il est simplement prêt à répondre si on l’appelle à l’aide », certifie le prince de Beauffremont. Si Louis de Bourbon vit encore en Espagne, il se rend souvent en France, pour commémorer l’histoire de ses ancêtres. Philippe Montillet l’assure : « Le passé est le marche pied du prince pour pouvoir agir et parler. » C’est aussi ce qui garnit les musées.