Les survivalistes
On les prend souvent pour des originaux, des hurluberlus. Ah ! ces Américains…, ne manque-t-on pas de sourire à leur propos. C’est sans doute à cause de cette réputation qu’ils préfèrent rester discrets et se défient de toute publicité. Difficile de les infiltrer pour découvrir ce qu’ils sont en réalité. Si le mouvement s’est effectivement développé aux États-Unis à partir des années soixante, il existe aussi en France. Son principe : être autonome en cas d’événement inattendu tels que catastrophe naturelle, effondrement de l’économie, etc. Interrogés aux lendemains du 13 novembre, les survivalistes que nous avons rencontrés n’étaient pas surpris, plutôt fatalistes. Etre prêts, une philosophie de vie qui nécessite une préparation quotidienne.
Risques.gouv.fr. Vous connaissez ? Eux, oui. Et le kit de survie recommandé par ce site ? La plupart des survivalistes l’ont. Un équipement copieux : eau, couteau de poche multifonctions, nourriture de secours, lampe de poche, bougies, radio, trousse de premiers secours, double des clés de maison et de voiture, argent liquide, téléphone portable, etc. Éric*, 40 ans, connaît ces recommandations. Dans son appartement du 12e arrondissement de Paris, il a déjà anticipé un départ imminent. « Dans un sac, en plus du kit de survie, j’ai des cachets pour purifier l’eau et du cordage pour descendre les sept étages de mon immeuble. En cas de confinement, j’ai un réchaud à essence, une lanterne à essence, un litre d’essence dans une bouteille sécurisée et de quoi manger pour deux personnes pendant un mois. »
Éric est un survivaliste urbain. Son but ? Être prêt à faire face à toute « rupture de la normalité ». Entendre par là : catastrophe naturelle, effondrement de l’économie, accident industriel, pandémie, etc. « Ce sac pourrait me servir, par exemple, en cas d’incendie, d’attentat ou de catastrophe industrielle, le temps que j’échoue dans ma famille ou chez des amis ou que les pouvoirs publics s’organisent. » Pas de référence à une possible fin du monde, donc. À la dénomination de survivaliste, Éric préfère celle de « prepper », de l’anglais « prepping » (se préparer). « Lorsque l’on parle de survivalisme, c’est souvent connoté négativement. La question de la survie pour moi est quelque chose de très bref (incendie, attentat, etc.), pas quelque chose sur le long terme, qui relève plus de la science fiction, comme dans le film La Route. »
Piero San Giorgio a lui aussi prévu un kit de survie. Il est l’une des têtes pensantes du survivalisme, mouvement développé dans les années soixante aux États-Unis. Écrivain suisse, il a publié en 2011 Survivre à l’effondrement économique (éditions Le Retour aux sources). Pour lui, « la rupture de la normalité la plus probable ne serait pas à une échelle mondiale. Statistiquement, l’événement le plus plausible serait une inondation, un feu chez soi, une panne de courant, un accident de voiture, etc. Ce qui arrive le plus fréquemment, c’est une rupture de la normalité à titre individuel ou dans un cercle très restreint. »
L’un des auteurs et penseurs du survivalisme, Piero San Giorgio. (Photo : DR)
Ogodeï – un pseudonyme –, possède également son kit. Mais en tant que survivaliste rural, il va plus loin. Dans sa cour, un imposant 4X4 aux couleurs militaires est toujours prêt pour un départ précipité. « Si je devais refaire ma vie ailleurs en cas de rupture de la normalité, j’ai tout ce qu’il faut dans le 4X4 pour pouvoir me débrouiller, souligne-t-il. Il y a en permanence dans cette voiture des duvets, une bâche pour improviser une tente, des gourdes, quelques vêtements, une canne de combat pour la marche et pour se défendre. » Cela fait maintenant quatre ans que lui, sa femme et leurs trois enfants sont survivalistes. S’il est prêt à un départ précipité avec son 4X4, Ogodeï peut aussi enfourcher l’un de ses chevaux. Il les élève et les revend pour gagner sa vie. Mais il garde à l’esprit que ceux-ci pourraient lui servir en cas d’évacuation.
L’homme et sa famille peuvent aussi vivre en autonomie dans leur maison de pierre située dans un lieu-dit à une quarantaine de kilomètres au nord de Périgueux, en Dordogne. Pour son alimentation, ils se contentent des fruits du verger, des légumes du potager, de plantes sauvages et des œufs de leurs poules. Pas de produits laitiers ni de gluten. Pas de céréales en règle générale d’ailleurs considérées comme un « poison pour l’organisme ». Idem pour la viande, sauf dans les grandes occasions. En pleine cueillette, Ogodeï s’arrête devant un noisetier et en mange une feuille. Pour son repas du midi, ce sera feuilles de mauve sylvestre et plantains lancéolés du jardin, tomates et concombres du potager. Sans frigo ni congélateur, il n’a pas de réserves de nourriture. « Ce n’est pas un mode de vie de faire des stocks. C’est une autonomie à la bobo. Un pèlerin chargé, ça ne sert à rien. Le bon Dieu nous sert déjà tout sur un plateau, partout autour de nous. » Mais ce refus de faire des stocks répond aussi à une autre raison : la crainte du vol. Ogodeï s’explique : « En cas d’effondrement de la normalité de haut niveau, si vous avez des stocks, vous êtes sûr d’attirer la prédation qui verra en vous le nouveau supermarché du coin. S’ils savent que vous ne mangez quasiment que de l’herbe et des plantes, comme les vaches, ce n’est pas chez vous qu’ils s’attarderont. »
Au niveau énergétique aussi, pas de crainte à avoir. Ogodeï a construit un chauffage central à bois, appelé Rocket Stove, qui lui permet de chauffer sa vieille maison. Dans le potager, des panneaux solaires sont installés et fournissent toute l’électricité à la famille. Pour l’eau potable, une source à proximité de leur terrain fait l’affaire. Sa maison est proche de ce que les survivalistes appellent communément une base autonome durable (BAD) : un endroit où il est possible de se replier en toute sécurité et d’être entièrement autonome aussi bien au niveau alimentaire que de l’eau ou de l’énergie.
Mais être survivaliste, ce n’est pas être coupé du monde. Ogodeï utilise un ordinateur, un portable, l’eau courante en cas de besoin, mais tâche au maximum d’en limiter son usage. « Pour nous, le survivalisme est une quête du bien-être, une forme de pèlerinage, un nouveau mode civilisationnel, une philosophie et une politique de vie. » Bien loin donc du survivalisme à l’américaine où un vrai business s’est développé autour d’abris pour se retrancher, d’équipements sophistiqués et de réserves de nourriture.