Quatre-vingt-dix pour cent des Français ont accès à une eau du robinet de qualité, affirme l’UFC-Que choisir. Un chiffre encourageant, mais qui questionne notre silure : 4 % des Français, ça fait combien de personnes qui consomment une eau polluée ? Environ 2,8 millions, précise l’association. Tout de suite, l’eau française paraît moins limpide.
Tout le long dans la Loire – Arthur ne le remarque sans doute pas –, des résidus de pesticides polluent l’eau. Chlortoluron, bentazone, atrazine, fénuron, lénacile, etc., sont les principaux poisons présents dans les cours d’eau de la région. Des noms savants, peu connus, sauf peut-être l’atrazine. Même Arthur a dû en entendre parler. Les médias ont rapporté plus d’une fois de ce produit, interdit de distribution depuis 2002 et d’utilisation depuis 2003.
Cet herbicide était facile à utiliser et efficace. Il a été couramment employé pendant quarante ans. Alors pourquoi l’avoir interdit ? Parce qu’il a une forte propension à contaminer les eaux par ruissellement et par infiltration.
Le Code de santé publique impose un taux de pesticides inférieur à 0,1 microgramme par litre d’eau pour que cette dernière soit potable. Sans quoi, elle est déclarée non conforme. Dans les zones où l’atrazine était utilisée, ce seuil était largement dépassé. Jusqu’à 290 fois dans les dernières années de son utilisation dans les rivières de la Flume en Ille-et-Vilaine. « Sur les dix départements du Grand-Ouest, les départements des régions Bretagne, Pays-de-Loire et le département des Deux-Sèvres, 2,7 millions de personnes ont été alimentées en 1997 par une eau non conforme », souligne un rapport parlementaire.
L’atrazine est un produit éminemment toxique pour la flore, mais aussi pour la faune. Il est même nocif pour les êtres humains s’ils l’inhalent ou en cas de contact avec la peau. Cela va de l’irritation cutanée aux atteintes neurologiques. L’atrazine aurait également des conséquences sur la reproduction et provoquerait des retards de croissance pour le foetus. En revanche, elle ne ferait pas partie des produits cancérigènes d’après le Centre international sur le cancer.
En 2015, des traces d’atrazine ont été retrouvées dans les eaux distribuées au sud de l’Eure-et-Loir et au nord du Loiret. Des zones matérialisées par des points rouges sur la carte de l’ARS. Les points roses eux, représentent l’atrazine déséthyl. Ce nouveau nom désigne une molécule produite par la dégradation, la transformation de l’atrazine dans le sol. Problème, l’atrazine déséthyl est encore plus toxique que l’atrazine d’origine.
Une perte de vigilance chez les animaux
Fait surprenant : les zones polluées à l’atrazine déséthyl ne sont pas les mêmes de 2014 à 2015. En Indre-et-Loire par exemple, la molécule est repérée dans les eaux de Souvigny-de-Touraine en 2014 et l’année suivante, elle est à Beaumont-la-Ronce, situé 50 kilomètres plus au nord. Alors la molécule se déplace-t-elle au fil des années ou est-elle toujours utilisée malgré l’interdiction ? D’après Pascal Grossier, ingénieur du génie sanitaire à l’ARS, ni les agriculteurs ni les particuliers ne sont à l’origine de cette apparition. En fait, « le passage de la molécule dans l’eau se fait avec le lessivage des sols, un lessivage qui se fait avec la pluie. La pénétration de la molécule va donc se faire en fonction de la pluviométrie ».
« Parmi les 54 substances recherchées, les pesticides et les métaux, notamment le mercure, sont les plus fréquents »
L’interdiction d’utiliser certains pesticides donne des résultats encourageants. Entre 2007 et 2015, le nombre de zones non conformes répertoriées par l’Agence de santé en région Centre a été divisé quasiment par deux. Il en reste encore 97. L’Eure-et-Loir est particulièrement touché puisqu’à lui seul, il comptabilise 63 zones non conformes. Autant dire que pour Arthur, il est hors de question d’y mettre une seule nageoire.
Mais ce qu’Arthur ne sait pas, c’est qu’il est déjà contaminé. Lors de leur étude écotoxicologique du bassin de la Loire, René Rosoux, ancien directeur du muséum d’Orléans, Charles Lemarchand, écotoxicologue, et Philippe Berny, vétérinaire-toxicologue, ont répertorié les polluants retrouvés dans les animaux. Et le résultat est sans appel : « Parmi les 54 substances recherchées systématiquement, les pesticides organochlorés, les polychlorobiphényles (PCBs) et les métaux, notamment le mercure, se sont avérés les plus fréquents. »
Aucune espèce n’est menacée par ces contaminants. Mais ces derniers « peuvent provoquer une perte de vigilance de la part des animaux », si on en croit René Rosoux. Le rapport des chercheurs soulignent de plus que ces polluants peuvent constituer un facteur aggravant pour des animaux déjà fragilisés : « L’anguille européenne, menacée par la surpêche, la dégradation des habitats, la perturbation des corridors de migration et les conséquences des changements globaux sur les courants marins est par ailleurs une espèce fortement accumulatrice pouvant être impactée par la contamination par les PCBs ou encore le mercure ».
Des risques mal connus pour l’homme
Les pesticides de dernière génération apparaissent beaucoup moins chez les animaux étudiés que les anciens pesticides, organochlorés, très persistants et qui ont été progressivement interdits. Arthur le silure s’en réjouit… Mais il risque de déchanter rapidement. Les scientifiques, eux, restent très prudents. Si ces nouveaux pesticides sont moins présents dans leurs analyses, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont moins toxiques et persistants que leurs prédécesseurs. Leurs molécules n’ont peut-être pas encore atteint les animaux du fait de leur récente utilisation.
Très peu d’informations circulent sur les risques éventuels d’une pollution de l’eau sur la santé humaine. Pour ce qui est des pesticides, les conséquences sur la santé sont surtout connues pour les personnes qui les utilisent régulièrement. Le danger pour les agriculteurs a été démontré de nombreuses fois. En 2013, une expertise pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale indique qu’il semble exister un lien entre une exposition régulière et, entre autres, la maladie de Parkinson ou le cancer de la prostate.
Mais le risque est tout aussi grave pour les femmes enceintes et, surtout, leur futur bébé. D’après cette étude, les pesticides pourraient augmenter le risque de fausses-couches et celui de malformations congénitales (ni héréditaires ni génétiques) pour les bébés. Ils pourraient également avoir un impact sur la stérilité.
Les pesticides seraient également cancérigènes et mutagènes, c’est-à-dire qu’ils pourraient transformer la structure des cellules en altérant les chromosomes, leur forme comme leur nombre. Cela peut aboutir à une importante fabrication de certaines cellules, ce qui peut correspondre au début d’un cancer (le cancer étant une prolifération de cellules étrangères au corps humain).
Pour ce qui est de la présence de résidus de pesticides dans l’eau, leurs conséquences sont plus difficiles à prouver. Cinq molécules sont suspectées d’être cancérigènes d’après l’ARS : « Le glyphosate, le malathion, le diazinon, le tetrachlorvinphos et le parathion ont été classés par le Centre international de recherche contre le cancer en mars 2015. » L’Association santé environnement France l’affirme, la pollution de l’eau peut avoir des conséquences sur la santé humaine. « Les nitrates empoisonneraient le sang chez les nourrissons par blocage de l’hémoglobine interdisant le transport de l’oxygène (maladie bleue) et les nitrites seraient cancérigènes à long terme, même à faible concentration, s’ils sont associés à certains pesticides. Les métaux lourds, quant à eux, provoqueraient des troubles digestifs, respiratoires, nerveux et cutanés. »
Bref, pesticides ou résidus ne sont ni les amis des silures ni ceux des êtres humains.
Les agriculteurs sont de plus en plus conscient de ces risques. Encouragés par les pouvoirs publics qui s’engagent à verser des aides à ceux qui convertissent leur production au bio, ils sont nombreux à changer de cap. D’après l’Agence Bio, l’agriculture biologique comptait 31 880 producteurs français en 2016. Soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente.
« Quand j’ai décidé d’arrêter les produits phytosanitaires, je savais que j’aurai obligatoirement des baisses de rendements et donc de revenus »
Dominique Gibon fait partie de ceux qui ont choisi la reconversion. Depuis 2009, ce producteur laitier du Louroux, au sud de Tours, est labellisé bio. Un choix poussé par la curiosité mais aussi par la peur : « Mon père, lui aussi agriculteur, était atteint de Parkinson. La maladie a été reconnue comme maladie professionnelle due aux pesticides. »
Mais le chemin est rude. L’agriculture bio produit moins et coûte plus cher : « Aujourd’hui, utiliser les pesticides est un impératif si on veut rester au même niveau de production. On n’a pas les savoir-faire pour produire au même niveau avec les techniques du bio. Quand j’ai décidé d’arrêter les produits phytosanitaires, je savais que j’aurai obligatoirement des baisses de rendements et donc de revenus. J’y ai consenti. Certains ont peur de se faire bouffer. »
D’autant que durant les trois premières années de leur reconversion, les agriculteurs n’ont pas le label bio et ne peuvent donc vendre leur produits au prix bio. Les aides à la reconversion sont insuffisantes. En 2015, une enveloppe a été attribuée à la région Centre pour les cinq années à venir. Mais l’intégralité de cette aide a été utilisée en une seule année. Depuis, il n’y a donc plus d’aide possible. Pourtant, les agriculteurs sont toujours nombreux à en faire la demande.