Le village des irréductibles

Martin Esposito, Maxime Taldir et Manon Vautier-Chollet

Le village des irréductibles

Le village des irréductibles

Martin Esposito, Maxime Taldir et Manon Vautier-Chollet
Photos : Martin Esposito/EPJT
12 avril 2017

Si les interventions sur le terrain sont les plus médiatisées, en coulisses c’est une véritable guerre juridique qui se joue. Habitants et opposants cherchent à se défendre face à l’État et à Vinci. Et ils ne comptent pas baisser les bras.

Ils sont exploitants agricoles, jeunes Zadistes de passage, soutiens d’un week-end. Ils préfèrent rester discrets et ne parlent pas, ou peu, à la presse. Leurs habitations sont un peu plus reculées dans la campagne. Et tous semblent motivés à rester aussi longtemps que possible pour voir, dans plusieurs années, les mêmes champs et les mêmes chemins. Tout ne les rassemble pas mais ils sont d’accord sur un point : défendre le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Et pour le protéger, rien de mieux qu’une présence physique continuelle. Il existe encore une soixantaine de lieux de vie sur la ZAD, entre les fermes, les logements construits dans des conditions précaires, et les granges réaménagées.

Pour que les travaux puissent commencer, il faut évacuer la zone. Les Zadistes en sont parfaitement conscients. Ils viennent et repartent, tentent de créer une micro-société autogérée pour soutenir le peu d’habitants encore présents. Ils attendent de pied ferme l’arrivée des forces de l’ordre, mais redoutent un « César bis », en référence à l’opération du même nom. Elle fut lancée en octobre 2012 pour évacuer la zone. Ce fut un échec pour les forces de l’ordre, grâce à la résistance des Zadistes. Mais elle fut d’une rare violence, en témoignent les videos filmées à cette époque. « C’était la guerre », se souviennent Joël et Denis Bizeul. Le couple, propriétaire d’une exploitation de vaches laitières, fait partie des derniers habitants historiques.

L’année des habitants et des Zadistes est rythmée par les actions pour faire tomber le projet d’Aéroport du Grand Ouest (AGO). Quand il ne construisent pas de granges ou ne travaillent pas dans les champs, ils préparent leurs actions. Week-end de défense, actions escargots, manifestations à Nantes ou dans la ZAD, comme le 8 octobre dernier… On ne risque pas d’oublier les détracteurs du projet du futur aéroport.

Les tensions sont si fortes que, en cas d’évacuation, la situation risquerait d’être explosive. Les Zadistes le clament d’ailleurs haut et fort. Des centaines de tracteurs attendent l’arrivée des forces de l’ordre. Le message est clair : la ZAD tout entière se battra jusqu’au bout.

Du terrain aux tribunaux

Plus en retrait et moins « coup de poing » que la bataille sur le terrain se joue une bataille juridique. Les opposants n’en finissent pas de planter des bâtons dans les roues de l’État. Au 1er novembre 2016, cent cinquante-six recours contre le projet auraient été remportés par Vinci, l’entreprise en charge de la construction de l’aéroport. Que ce soit à propos des achats de terrain ou des ordonnances d’expulsion. Le 14 novembre les opposants ont perdu encore du terrain au tribunal. Oui mais…

« Le problème de l’aéroport c’est que l’intérêt général n’est pas vraiment démontré », explique Françoise Verchère, membre du Collectif d’élu-e-s doutant de la pertinence du projet (Cédpa) et ancienne conseillère départementale en charge de l’environnement. Cette question de l’intérêt public est essentielle dans les expulsions. L’article 545 du Code civil indique que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique ».

« L’expropriation est un droit très violent », juge l’ancienne élue. Concernant l’aéroport, le décret d’intérêt public a été publié en février 2008 puis validé devant le conseil d’État en janvier 2010. Mais malgré ces décisions, le débat continue à faire des allers et retours devant la justice, car les expropriations posent le problème du droit au logement. Début novembre 2016, plusieurs recours déposés par les habitants n’avaient pas encore été tranchés.

En 2014 Raphaël Romi a déposé auprès de la Commission européenne une pétition soutenue par trois mille signataires, dont plusieurs associations et des habitants de la ZAD, sur la « prétendue non-conformité avec le droit de l’Union en matière d’environnement » de l’AGO. Une demande retenue le 16 avril 2014 par la commission des pétitions de l’institution européenne. Une lettre de mise en demeure est alors envoyée à la France, qui s’engage à « procéder à la réalisation d’une évaluation environnementale stratégique ». « Dans l’intervalle, les travaux de construction doivent être suspendus », a fait savoir le porte-parole d’Enrico Brivio, le commissaire environnement. Comme l’avait annoncé quelques mois plus tôt Patrick Gandil, directeur de la direction générale de l’Aviation civile, les travaux auraient dû commencer en 2014.

Les directives européennes ont fait faire marche arrière au gouvernement. Le 9 décembre, des sources gouvernementales ont affirmé qu’il n’y aura « pas d’évacuation possible tant que le contentieux avec Bruxelles n’est pas « réglé » ». Une révélation qui arrive quelques jours après le départ de Manuel Valls de Matignon. Une intervention n’est donc plus envisageable pour le gouvernement. L’élection présidentielle sera donc décisive pour l’avenir du projet et des habitants.

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