La voix de son maître

Théo Caubel, Philippine David et Corentin Dionet

La voix de son maître

La voix de son maître

Théo Caubel, Philippine David et Corentin Dionet

Pour étendre son influence, la Russie de Vladimir Poutine ne compte pas que sur ses diplomates. Elle s’appuie sur Sputnik et Russia Today, des médias qu’elle finance à 100 %. Ceux-ci proposent une information qu’ils qualifient d’alternative et qui relaie la parole du Kremlin.

Ils sont douze mille à se retrouver, le mardi 17 mai 2016, devant l’École Militaire à Paris pour manifester une nouvelle fois contre la loi travail. Les précédents défilés ont donné lieu à des débordements. Les autorités s’attendent donc à ce que cela recommence. Le dispositif policier est conséquent. Une fois de plus, les images des manifestants vont faire les bonnes heures des journaux télévisés. Les journalistes sont là en nombre. Parmi eux, ceux de Russia Today ou RT. Ils filment, diffusent et commentent en direct l’événement, via l’application Periscope. Quand la situation dégénère, quand des affrontements éclatent entre manifestants et policiers, ils sont au beau milieu des échauffourées. Et continuent à tourner.

La journaliste de RT, Anna Baranova, est prise à partie. En plein duplex, elle est frappée par un manifestant. L’image fait le tour du monde. « Au cours de cette manifestation parisienne, un autre journaliste de RT France s’est également fait poursuivre et jeter à terre par des manifestants, alors qu’il était au plus près des heurts entre casseurs et forces de l’ordre sur la boulevard Montparnasse de la capitale », précise ce média sur son site internet.

Grâce à leur façon de travailler lors des manifestations contre la loi travail, les journalistes de RT ont ramené les images les plus impressionnantes. Elles ont été diffusées sur tous les canaux internationaux de RT. Elles sont même passées au 20-heures de TF1. Un bon coup de projecteur pour ce média nouvellement crée.

Russia Today est, comme son nom l’indique, un média russe financé à 100 % par le Kremlin. En 2015, il s’est installé en France où il a rejoint Sputnik, arrivé dans l’Hexagone un an plus tôt.  Spécialisé dans la radio et la presse écrite, il est lui aussi financé par l’État russe quand RT s’est plutôt tourné vers l’audiovisuel. Ils se démarquent tous deux des médias français par une ligne éditoriale ouvertement pro-russe et qu’ils qualifient d’« alternative ».

« Ces médias sont des instruments de diplomatie publique, explique Maxime Audinet, qui prépare une thèse sur le soft-power (la capacité pour un État d’influencer le comportement d’autres acteurs par des moyens non coercitifs et intangibles) et la diplomatie publique en Russie contemporaine. C’est un processus par lequel un gouvernement s’adresse à une population étrangère pour l’influencer et conditionner son opinion. »

Une actualité « alternative »

L'implantation des médias russes en France, financés par l'État russe, est de plus en plus importante. Le Kremlin sur les Champs Elysées, photo et montage de Philippine David/EPJT.

« Marine Le Pen virtuellement présidente », « Comment Pokémon Go est-il lié à la CIA ? »,« Hillary Clinton est un robot ». Les gros titres noirs sur fond orange des articles de Sputnik attirent l’œil et interpellent les internautes. Alors évidemment le clic sur le lien est facile. Comme une envie de voir ce qui se cache derrière ces mots. Le dernier titre prêterait même à sourire. L’article s’inspire d’une interview d’Hillary Clinton par une journaliste de Buzzfeed, qui trouvait hallucinant que la candidate à la présidentielle ne transpire jamais. Bon. En réponse, Hillary Clinton avait déclaré : « Vous êtes la première à avoir deviné que je n’étais pas un être humain. J’ai été assemblée il y a très longtemps dans un garage de Palo Alto.»

Bien-sûr, la plupart des gens avaient compris que c’était de l’humour. Mais, apparemment, pas tout le monde. L’article de Sputnik s’ouvre en effet sur cette phrase : « L’ex-secrétaire d’État américaine et ex-First Lady Hillary Clinton se considère comme un robot et non comme un être humain. »

Il avait d’abord été publié dans les colonnes de Rossiïskaïa gazeta, le journal officiel de la Russie. C’est lui qui publie les lois et des décisions du gouvernement. Sputnik relaie souvent ses écrits. Ce qui lui permet de se dédouaner : « Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur. »

« Nous dévoilons ce dont les autres ne parlent pas », annonce le slogan du média. L’intention est claire : se démarquer des autres. Sputnik se qualifie de média de « réinformation ». Le contenu des articles est, à l’image de ses titres, souvent déroutants, intrigants voire racoleurs. La vision pro-russe est pleinement assumée. Les articles sur les problèmes sociétaux français fusent, tout comme ceux qui reprennent des thèses proches des théories du complot.

« L’US Air aurait-il descendu l’A320 allemand ? »

Ainsi, en septembre 2014, Sputnik publie un article à charge sur le crash du vol MH17. Selon la rédaction, aucune personne ne serait morte. Seuls des mannequins en plastique étaient à bord. Quelques jours plus tard, l’article est supprimé. La rédaction aurait-elle eu des retours critiques de son lectorat ? Se serait-elle rendu compte de l’improbabilité de ce qu’elle avançait ?

Cela ne l’a en tout cas pas arrêtée. Les mêmes journalistes évoquent, lors du crash de l’avion de Germanwings dans les Alpes françaises le 24 mars 2015, une possible implication des États-Unis. « L’US Air aurait-il descendu l’A320 allemand ? »

Dans la même veine, Tony Gosling, de l’antenne britannique de Russia Today, se charge de « traquer les illuminatis et les francs maçons ». Le journaliste affirme qu’ils sont responsables du complot qui a mené à l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Les journalistes des rédactions de Sputnik et Russia Today assument complètement leur ligne éditoriale. Ils savent pourquoi ils sont là et se disent « fiers » de contribuer au pluralisme de la presse. Ils proposent des angles antimainstream (à contre courant). Ils transmettent la vision russe que les médias français ne traiteraient pas, si on en croit le rédacteur en chef de Russia Today, Irakly Gachechiladze. Et cela marche ! « Le public est intrigué et cherche à comprendre le point de vue russe », affirme-t-il. Le site reprend une large part des contenus diffusés par l’ensemble des antennes de RT et les traduit. Le tout est chapeauté depuis la Russie.

Dans ce pays, la proximité entre l’État et les médias ne fait pas de doute. En est-il de même quand ils sont implantés à l’étranger et particulièrement en France ? Sputnik et Russia Today ne cachent pas leur sensibilité politique dans leur traitement médiatique. Ils mettent en avant le discours de la droite pro-russe et, surtout, celui du Front National. Entre papiers sur la hausse de popularité de Marine Le Pen ou ceux sur ses critiques du gouvernement, ces médias font d’elle le personnage politique le plus important en France.

Une interview lui a d’ailleurs été consacrée, le 20 mai 2016, après une diète médiatique de plusieurs mois. Elle était titrée :  « Marine Le Pen se confie à RT ». La journaliste Marine De Douhet l’interrogeait : « Qui, selon vous, incarnera les deux partis principaux en France, à gauche et à droite ? Qui voyez-vous comme adversaire par exemple ? » Elle n’imagine même pas que Marine Le Pen ne soit pas présente au second tour de la présidentielle de 2017. Même la principale concernée est déconcertée.

À l’échelle internationale, c’est Vladimir Poutine, l’homme fort de Sputnik. Si, vous tapez « Poutine » dans la barre de recherche du site, plus de 31 000 références apparaîtront. Le président russe est la personne politique la plus mentionnée. Marine Le Pen n’en est, elle, qu’à 831 mentions.

En parallèle des articles sur Poutine ou Le Pen, Sputnik insiste sur les problèmes sociétaux français. La popularité, les idées et les décisions de François Hollande sont des points souvent critiqués et dénigrés, subtilement. On comprend que la rédaction de Sputnik ne partage pas les idées du gouvernement français. Par exemple, dans un article très récent, suite à l’élection présidentielle aux États-Unis, il titrait « La diplomatie française au tapis après la victoire de Trump ».

Des instruments de la géopolitique mondiale

La rédaction de RT France est composée de jeunes Français. « Il n’y a pas de Russe, à part moi, dans la rédaction. La connaissance de la langue et de la culture française est primordiale », nous a confié le rédacteur en chef. Photo : Philippine David/EPJT

Le rapport du Kremlin avec les médias russes se lit également dans les relations financières. Le contraste est frappant : d’un côté, les médias d’État sont abreuvés de subventions ; de l’autre, les médias indépendants (voir timeline plus bas) luttent pour réussir à se financer. Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) explique : « RT fait partie de ces entreprises stratégiques, comme le nucléaire, l’armement ou l’énergie. Les Russes ont une approche militaire de l’information. C’est pourquoi elle ne souffrira pas de pertes de financement malgré la chute du rouble. On peut parler d’infowar, de guerre de l’information. »

Main basse sur les médias

Ce système ne date pas d’hier. En 2013, Vladimir Poutine décidait de renforcer son contrôle sur les médias. Il a choisi de dissoudre Ria Novosti, alors la principale agence de presse du pays, pour la remplacer par Rossiya Segodnya. Celle-ci est dirigée par Dimitri Kisselev, une personnalité controversée.  Il est notamment décrit comme « le nouveau chef de la propagande russe » par le Moscow Times. Depuis ses propos sur l’annexion de la Crimée en 2014, il est interdit de séjour dans l’Union européenne, mais continue à exercer son influence. Notamment via Sputnik qui est rattaché à cette agence.

Officiellement, cette réforme vise à améliorer la qualité des médias d’État et à « faire connaître à l’étranger la politique et la société de la Fédération de Russie ». Officieusement, cela ressemble fortement à un retour de la propagande sous un vernis modernisé. C’est en tout cas la suite logique de la création de RT, en 2005, par le gouvernement russe.

Cette mainmise de l’État a été renforcée en 2014 par le vote d’une loi qui limite la part du capital étranger dans les médias en Russie. Celle-ci est passée de 50 à 20 %. Cette réforme a obligé CNN à quitter le pays pour quelques mois. Une façon de limiter la propagande occidentale en Russie tout en accentuant son implantation dans ces pays.

En occident, les médias russes inquiètent. Le 23 novembre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution « visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers ». Le texte reconnaît « que le gouvernement russe fait usage d’un panel étendu d’outils et d’instruments, tels que (…) des chaînes de télévision multilingues (Russia Today, par exemple), des soi-disant agences d’information et services multimédias (Sputnik, par exemple), (…) afin de s’attaquer aux valeurs démocratiques, de diviser l’Europe, de s’assurer du soutien interne et de donner l’impression que les États du voisinage oriental de l’Union européenne sont défaillants ».

RT et Sputnik ont exprimé, à la suite de ce vote, leur indignation. La rédactrice en chef commune aux deux médias, Margarita Simonyan, a envoyé une lettre à l’ONU, l’Unesco, l’Organization for security and co-operation in Europe (OSCE) et Reporters sans frontière affirmant craindre la suspension des médias russes par l’Union européenne.

Contacté alors que ce texte n’était qu’une proposition de résolution, le député des français de l’étranger Thierry Mariani (LR) s’est dit surpris du traitement fait à ces médias. « Personne ne s’est étonné pendant des années que nous soyons abreuvés par CCN, CBS, d’Al-Jazeera, Bein Sport, et autres. En réalité la Russie ne fait rien d’extraordinaire. Elle fait ce que d’autres pays font déjà. » Le député reprend la ligne de défense des médias russes qui se comparent à la BBC pour l’Angleterre, RFI pour la France, etc. « Vous savez, par moment, j’ai l’impression que France Info fait aussi des émissions de propagande. Quand j’écoute le matin cette radio, j’entends que les Américains sont face aux djihadistes en Irak et que les Russes sont face aux rebelles en Syrie. Si, ça ce n’est pas du bourrage de crâne. »

Mais ce qui est le plus contesté, c’est que la résolution met sur le même plan la propagande russe et celle de Daesh. Ksénia Lukyanova, journaliste à Sputnik France, s’est défendue de ces accusations dans une de ses chroniques diffusée par Radio Sputnik. « La comparaison me déplaît et m’étonne sincèrement. (…) C’est une des plus grandes institutions européennes qui met dans le même sac les médias russes et Daesh. Un journaliste qui a un point de vue alternatif sur le sujet serait aussi dangereux qu’un terroriste ? » Elle revendique également la liberté d’expression et de presse. « Je suis russe, je suis française et je vis en France. Un pays où les valeurs démocratiques doivent être respectées, comme le pluralisme de la presse. »

Difficile d’obtenir plus de sa part. Un échange formel avec ces journalistes reste compliqué. Ils n’ont pas répondu à nos sollicitations. La même Ksénia Lukyanova nous a indiqué : « Nous ne faisons pas de commentaires sur le fonctionnement de Sputnik et notre règlement intérieur. » Par crainte ? Pierre Gentillet, co-président du cercle Pouchkine (un organisme qui prône un rapprochement franco-russe), explique que « des enquêtes très malhonnêtes ont été réalisées sur eux. Ils ont été très déçus. Ils ne souhaitent donc plus discuter avec les journalistes français. »

Difficile également de trouver leur rédaction. En France, ces médias restent discrets. Sur son site, Russia Today indique que son siège social est hébergé par Regus. Spécialisée dans la domiciliation commerciale, cette entreprise prend en charge leurs appels et leurs courriers. Elle n’a pas souhaité nous indiquer l’emplacement de la rédaction. « Pour des raisons de sécurité et de discrétion, Russia Today souhaite garder son adresse ici », explique leur secrétaire. Prévenu, le rédacteur en chef de Russia Today, Irakly Gachechiladze nous a contactés et invités dans ses locaux. Ils se trouvaient alors dans le 8e arrondissement de Paris. Mais ce n’était que temporaire. Courant novembre, RT s’est installé, de façon définitive, près de l’Opéra.

En ce qui concerne Sputnik, aucune information ne filtre. L’adresse de la rédaction n’est mentionnée ni dans les mentions légales du site ni sur le moteur de recherche Google. À se demander s’il y a bien une rédaction en France… En réalité, il n’y a aucune société Sputnik référencée en France. Mais la rédaction est bien installée à Paris. Sputnik est rattaché à l’antenne française de Rossiya Segodnya. Mais de toute façon, peu importe, quand on sait que les sujets traités sont imposés par la Russie. Accéder aux rédactions en tant que salariés , pigistes ou même stagiaires nécessiterait, selon nos informations, l’accord de Moscou. C’est une certitude pour Julien Nocetti, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). « Le système est vertical et centralisé, tout est avalisé par Moscou. »

Deux médias qui ont le vent en poupe

Le jeune Irakly Gachechiladze est le rédacteur en chef de Russia Today France depuis sa création. Photo : Philippine David/EPJT.

Si RT et Sputnik inquiètent, c’est parce qu’ils ont su trouver un public en France. Françoise Daucé, directrice au Centre d’études des mondes russes caucasiens et centre-européens, explique qu’il « faut s’intéresser au public et à la réception de ces médias en France. Si cela marche, c’est qu’il y a un lectorat ». Chaque jour, les lecteurs sont toujours un peu plus nombreux à se rendre sur leur site. RT France se réjouit d’avoir franchit le cap des 2,5 millions de visiteurs uniques par mois. Pour rappel, le média est arrivé en France il y a seulement un an et demi. « Peu à peu, on progresse », se félicite Irakly Gachechiladze.

Une des raisons de leur succès, c’est leur utilisation habile du web. Une actualité sur la Russie ? Vous n’avez qu’à inscrire l’événement dans le moteur de recherche Google : vous tomberez forcément sur un article de RT ou Sputnik. Cela est possible grâce au référencement. C’est l’arme de tout site web pour gagner de la visibilité dans l’immensité du Net. Cet outil permet d’apparaître en haut des pages de résultats. L’opération est gérée automatiquement par les algorithmes des moteurs de recherche. Mais rien n’est dû au hasard. Ces sites travaillent sur les mots-clefs de chacun de leurs articles pour être sûr d’être sélectionnés par Google, Yahoo, Bing et les autres.

Piège à clic : des articles aguicheurs

Mais c’est sur Google actualités que Sputnik et RT montrent toute leur efficacité. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette rubrique, Google actualités est un onglet du moteur de recherche qui ne propose que des liens vers des articles de presse. Pour apparaître dans cet onglet, il faut qu’une personne chez Google décide d’intégrer le média. Pour cela, il faut répondre à un certain nombre de critères, mais aussi renseigner le nom du rédacteur en chef du média, l’adresse de sa rédaction, etc.

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Une fois cette étape passée, c’est le retour des algorithmes. Pour apparaître en haut de la page de recherche, les techniques sont sensiblement les mêmes. Il n’y a plus aucune intervention humaine. C’est pourquoi, lorsqu’ils publient un article complotiste, l’article peut se classer dans les premiers résultats de Google actualités.

Le référencement n’est pas leur seule technique pour augmenter leur visibilité sur le web. Il faut compter aussi sur le clickbait ou piège à clic. Le concept est simple. Il consiste à mettre en avant des articles aguicheurs, voire parfois totalement saugrenus sur Internet ou les réseaux sociaux. Par exemple : « Elle laisse tomber son boulot et vit avec des coupons promotionnels ». Le but est que l’internaute qui lit ce titre soit tenté de découvrir l’article qui va avec. Il arrive ainsi sur le site de Sputnik. Cela fait un visiteur de plus, mais surtout un potentiel lecteur régulier. Le média peut espérer qu’il rebondisse sur un autre article de Sputnik et qu’il décide de revenir plus tard. Ce système fonctionne très bien sur les réseaux sociaux.

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Car là aussi, ils sont présents. Ce sont même des spécialistes. Facebook, Periscope, Snapchat, Instagram, la liste est longue. « RT France et RT Deutsch sont très actifs sur les nouvelles technologies d’information et de communication. Et ils s’investissent à fond, explique Maxime Audinet. Dès, qu’il y a un nouveau support médiatique, ils se jettent dessus. » Une stratégie qui marche, face à une concurrence souvent en retard dans ce domaine.

C’est encore plus vrai sur Periscope. Cette application, qui permet de faire des vidéos en direct, est le fer de lance de RT. Le média russe est l’un des leaders français avec plus de 80 000 abonnés. Il devance même Le Figaro, TF1 ou encore Cnews (Itele). Ce succès s’explique par sa couverture des grands évènements sur  l’application : manifestations contre la loi travail, Nuit debout… Tout cela a été filmé et commenté en direct. Ils cherchent à multiplier les vidéos. Chaque jour, le compte RT France propose plusieurs directs à ses abonnés. Les sujets traitent de l’actualité nationale, mais pas exclusivement. Le 17 octobre dernier, il diffusait en direct les premiers assauts menés par la coalition internationale pour déloger les terroristes de l’EI lors de la bataille de Mossoul.

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Certains de ces lives sont relayés sur Twitter. RT et Sputnik n’ont pas oublié le réseau social à l’oiseau bleu, si prisé des journalistes. Ils y relayent leurs articles mais, surtout pratiquent le Breaking news. Ils publient l’information avant tout le monde. Une stratégie efficace pour se démarquer sur un réseau social où la rapidité prime. Mais cette pratique connaît son lot de dérives : informations, approximatives, non vérifiées, voire carrément fausses… Le 13 novembre 2015, Sputnik annonçait 140 morts dans les attentats de Paris (ils seront 130) quand RT évoque, dans un premier temps, une fusillade place de la République. Elle n’a jamais eu lieu.

Le choix des réseaux sociaux et de Twitter n’est pas anodin. Ce n’est pas le lecteur pro-poutine qu’ils vont trouver sur ce support. Mais ils vont pouvoir s’adresser à une population jeune, peut-être moins susceptible de comprendre la différence de traitement de l’information.

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Le nom de Kisselev est inscrit sur liste noire de l'Union européenne. Capture d'écran du rapport du Council of the European Union. (Cliquez sur l'image pour voir la liste entière).
 

L’enjeu du Net est crucial, d’autant plus que RT France ne possède pas encore sa chaîne d’information. Pourtant, toutes les autorisations ont été obtenues. Le CSA leur permet d’émettre. « Il faudrait multiplier par quinze le budget actuel, de 1 million d’euros, pour financer un tel projet », admet Irakly Gachechiladze, réaliste. Avec la crise financière qui touche la Russie et la chute du rouble, le projet a été retardé. Lors de notre rencontre courant octobre, aucune date ne semblait être fixée même si l’objectif pour 2017 était d’étendre l’influence de RT à l’ensemble de la francophonie.

Quoi qu’il arrive, la chaîne d’information émettra bien en 2017. Jeudi 8 décembre, la porte parole de la chaîne, Anna Belkina, a officialisé cette ouverture. Et ce, grâce à une rallonge de l’État russe de 1,22 milliard de roubles, soit 17,8 millions d’euros accordés à RT. Avec l’élection présidentielle qui s’annonce, ces médias comptent bien en profiter pour diffuser la parole et les idées du Kremlin. RT aura de nombreux événements à couvrir.

Les derniers mois ont déjà été intenses pour les médias russes. Entre le regain de tension entre l’Élysée et le Kremlin, l’inauguration de la controversée cathédrale de la Sainte-Trinité sur les quais des Seine ou encore la victoire du candidat pro-russe François Fillon à la primaire de la droite et du centre, ils ont pu affirmer leur fameux traitement « alternatif ». La victoire de François Fillon a été largement saluée par Sputnik et RT. Ils titraient notamment : « Quand Poutine remporte la primaire en France », « L’Europe bientôt Prorusse ? » Pour expliquer cette victoire, ils s’appuient sur des « experts », des hommes politiques, dont ils relaient très souvent la parole, Jacques Sapir ou Thierry Mariani. Sous couvert d’ironie et d’avis d’experts, Sputnik explique que les sanctions envers la Russie ne peuvent plus durer.

Le jeu de rôle des médias russes continue. Rien d’étonnant. Et ils imaginent déjà, pour le duel du deuxième tour de la présidentielle, un face à face entre le Front National de Marine Le Pen et Les Républicains de François Fillon.  Les journalistes de Sputnik mettent la victoire de François Fillon au même niveau d’importance que le Brexit ou l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Victoire que les derniers titres attribuent à l’influence du maître du Kremlin. Victoire de Donald Trump, dont l’influence potentielle de la Russie sur cette élection semble de plus en plus crédible, peut-on lire. Et si le grand gagnant de ces élections était la Russie de Vladimir Poutine et ses médias ?