La traque, jusqu’à l’obsession

Photo : Adrien Petiteau/EPJT

Quand les trésors sont au centre d’un dédale d’énigmes, la chasse vire souvent à l’idée fixe. C’est le cas pour Mickaël et Emmanuel. Entre casse-têtes et légende de pirates, la quête occupe une place importante dans la vie de ces deux chasseurs des temps modernes. Portraits croisés.

Par Thomas Dupleix, Adrien Petiteau et Romain Pichon

Par une nuit d’avril 1993, Max Valentin se rend quelque part en France afin d’enterrer la réplique d’une chouette en or. Pour la retrouver, il met en place une série de onze énigmes, toutes plus complexes les unes que les autres. Celui qui dénichera la copie se verra décerner la véritable Chouette d’or.

Sans le savoir, Max Valentin vient de lancer la plus longue chasse au trésor du monde. Car, vingt-cinq ans plus tard, l’objet demeure toujours introuvable. Pourtant, les « chouetteurs » – nom donné à ceux qui se sont lancé à la recherche du Graal – se comptent aujourd’hui par milliers.

« La chasse est addictive. C’est une compétition avec les autres, mais aussi avec soi-même »

Patrick Schmoll,
sociologue-anthropologue à l’université de Strasbourg

La Chouette d’or ? Une chasse au trésor trop artificielle au goût d’Emmanuel Mezino. Lui se passionne plutôt pour les histoires de pirates et leurs butins. En 2012, lors d’un voyage à La Réunion où il a de la famille, il s’intéresse à la légende qui entoure le trésor du pirate français Olivier Levasseur, dit La Buse. Le jour de son exécution en 1730, ce dernier aurait jeté dans la foule un cryptogramme codé permettant de localiser son magot. Après des années de recherche et de décryptage, Emmanuel Mezino pense enfin avoir localisé l’emplacement du trésor.

Pour nous en parler, il nous donne rendez-vous chez lui. Vu de l’extérieur, c’est une vieille baraque de la commune de Vendeuvre-du-Poitou, dans la Vienne. A l’intérieur, c’est une maison flambant neuve, moderne. Emmanuel l’a retapée. Il est plombier-chauffagiste. C’est un manuel, mais pas que. En témoignent tous les livres sur le trésor multi-centenaire, les cryptogrammes, les documents historiques sous plastique disposés sur la table de son séjour. Il s’est pris de passion pour cette histoire et pour cette terre. Celle de ses ancêtres réunionnais.

Mickaël, à la recherche de la Chouette d’or

Sur la table d’une maison d’Ecommoy, dans la Sarthe, une grande carte de France, une loupe, plusieurs boussoles, une réplique de la Chouette, des albums photos, des ouvrages de chasse au trésor. Mais aussi la plus grande fierté du maître des lieux : le livre des énigmes dédicacé par Max Valentin, l’auteur de la chasse à la Chouette d’Or.

Militaire de profession, Mickaël Leray, alias Pharaon, est un « chouetteur ». Il s’est plongé dans l’univers de la Chouette en 2000. « Lorsque j’ai eu un ordinateur, ma première recherche internet a été “Chouette d’or” », raconte-t-il. Mickaël la traque seul, de chez lui. « Je partage très peu, voire pas du tout, avec les autres chouetteurs. » Il revendique ainsi une volonté d’avancer par lui-même…

Contre les pillards et pour l’histoire

Retour dans la Vienne. Faute d’autorisation administrative, Emmanuel Mezino ne peut pas entreprendre de fouilles pour déterrer le fameux trésor de La Buse. Et ça a le don de l’énerver. Car des fouilles sauvages sont effectuées un peu partout à La Réunion, terre riche en trésors. « Tôt ou tard le butin finira par être trouvé et sera inévitablement pillé », déplore celui qui est surnommé l’Indiana Jones du Poitou. Pour lui, la véritable place de ce trésor est dans un musée.

Aujourd’hui encore, il y consacre trois à dix heures par semaine. Même si ses proches le soutiennent, il vit sa passion de manière personnelle. Il admet qu’elle peut virer à l’obsession. « La recherche est dévorante, comme toutes les passions. Mais avec le temps on apprend à se canaliser. » Autodidacte, il se réjouit d’en avoir appris énormément dans pléthore de domaines.

« Celui qui trouvera la Chouette d’or sera considéré comme un dieu vivant »

Mickaël Leray

De son côté, Mickaël Leray doit maîtriser histoire, sciences, décryptage, géographie du terrain, etc. « En dix-huit ans, j’ai dû recommencer la chasse à zéro au moins vingt-cinq fois. » C’est une particularité de cette recherche. Depuis le mois de novembre 2017, Mickaël Leray s’y est remis de plus belle. Il est sur une nouvelle piste. S’il lui arrive d’arrêter de chercher pendant un moment, il ne peut pas s’empêcher d’y penser presque tous les jours. « Pour découvrir la solution des énigmes, je serais prêt à me déplumer financièrement », affirme-t-il sans détour.

En 2014, Emmanuel Mezino a présenté une partie de ses recherches dans son livre Mon trésor à qui saura le prendre. Ouvrage préfacé par Erick Surcouf, explorateur des temps modernes et descendant du « roi des corsaires de Saint-Malo », Robert Surcouf. Ainsi qu’un deuxième livre en 2015 sur la piraterie : Pirates de l’océan Indien. Après avoir réussi le décryptage du cryptogramme lancé par le pirate Levasseur, Emmanuel Mezino pense connaître la localisation du trésor…

Mickaël Leray a deux grands projets pour 2019. Il va mettre en place deux sites internet sur la chasse au trésor. Photo : Thomas Dupleix/EPJT

Depuis 2000, Mickaël Leray met ses qualités à profit dans différentes chasses au trésor par équipes. Il en a d’ailleurs remporté plusieurs. Deux chasses à 10 000 euros, deux autres à 5 000 euros et même 1 louis d’or, une pièce de monnaie à la fois rare et ancienne. Les prix sont alors partagés entre les différents membres du groupe.

Si Mickaël participe à d’autres jeux de piste, sa passion reste la recherche de la Chouette d’or. Lui aussi parle d’obsession : « Celui qui la trouvera sera considéré comme un dieu vivant. » Rien que ça…

Emmanuel s’intéresse lui aussi à d’autres chasses au trésor. Il a mis en place l’association Âme 2 pirate en mai 2016, qui regroupe cinq chercheurs passionnés : des gens originaires des Seychelles, de l’île Maurice, de La Réunion ou encore de Madagascar. L’association regroupe des ouvrages ou encore des documents sur la piraterie dans l’océan Indien.

L’idée est de réaliser un vrai travail historique, « une base de données » des trésors légendaires. Emmanuel Mezino explique qu’il a appris sur lui avec ses recherches. La richesse n’est pas que matérielle, le trésor est aussi spirituel. L’aventurier poitevin philosophe : « Le bonheur n’est pas au bout du chemin, le bonheur est le chemin. »