La presse aux sources de la jeunesse
Bientôt Noël. Comme tous les ans, de nombreux parents vont offrir à leurs enfants des abonnements à différents titres de presse jeunesse. Et ils ont le choix. De nombreux magazines juniors voient le jour chaque année. Leurs objectifs : divertir, informer et éduquer. Malgré les apparences, les exigences des jeunes imposent une réflexion et un travail des plus difficiles aux journalistes. Avec une condition fondamentale : s’adapter au profil et à l’environnement des enfants et des adolescents. Ce qui nécessite de bien les connaître et d’aller à leur rencontre.
Si vous avez déjà eu l’occasion de feuilleter un magazine jeunesse et d’y parcourir un article, il est peu probable que vous ayez rencontré des problèmes de compréhension. Que la revue soit destinée à un enfant de 8 ans ou à un adolescent de 17, qu’elle soit généraliste ou spécialisée dans l’histoire, que le papier traite de guerre de religions ou analyse le mécanisme de la photosynthèse. D’ailleurs, vous avez passé plus de temps à observer les multiples illustrations qu’à lire la totalité du texte. Peut-être que vous n’avez rien appris et que les définitions des mots soi-disant complexes vous auront été inutiles. Au moment de refermer le canard, vous vous êtes même dit que vous pourriez prendre la place des journalistes qui travaillent pour ce genre de journal, pâle copie simplifiée des vrais magazines que vous lisez habituellement.
Vous vous trompez.
S’adapter à un public jeune demande d’abord une recherche constante de la simplicité. Et comme le disait Georges Sand au XIXe siècle, « la simplicité est la chose la plus difficile à obtenir dans ce monde ». Depuis la parution du premier magazine jeunesse en 1934, Le Journal de Mickey, beaucoup de titres ont tenté de relever le défi. Aujourd’hui, ils sont 300 en France. Et la mission est bien plus complexe qu’on ne l’imagine.
Vulgarisation extrême
Dans l’écriture, cela se traduit par l’emploi de phrases courtes et de mots simples. « L’évidence, c’est un langage clair, sans jargon ni ellipse ou acronyme, même connu », note Emmanuel Deslouis, rédacteur pour Science & Vie Junior. Ce titre est le plus acheté par les adolescents français en 2014 avec près de 166 000 exemplaires par mois. Le premier objectif, c’est déjà que le lecteur comprenne ce qu’il lit. Et le vocabulaire d’un enfant n’est pas aussi riche que celui d’un adulte. Expliquer des concepts ou des notions de base est obligatoire. « Quand vous écrivez pour un adulte, vous partez du principe que des choses sont implicitement sues, expose Frédéric Fontaine, rédacteur en chef de Géo Ado. Ce n’est pas le cas avec un adolescent. Il faut tout expliciter et oublier les présupposés. » Un exemple ? « Le 11 septembre. Chaque adulte comprend la signification de cette date, mais ça ne fait pas partie de la culture d’un gosse de 10 ans. »
Un avis partagé par François Blaise, rédacteur en chef d’Okapi : « Nous considérons que le lecteur ne connaît absolument rien à rien, que ses prérequis sont nuls. Il y a donc un gros travail de vulgarisation. » Un effort qui demande du temps et qui s’accroît lorsque le sujet devient plus sérieux. « Les grandes problématiques du monde doivent être mises au niveau de l’enfant : si vous parlez de l’État islamique ou des naufrages en Méditerranée, il est nécessaire de clarifier les choses point par point », reprend Frédéric Fontaine.
Lexique pour mots complexes
Si les termes compliqués sont rares dans les revues jeunesse, leur utilisation est néanmoins possible, tant qu’ils sont définis. En découlent de nombreux petits encadrés qui servent de lexique. Dans Science & Vie Junior, on en retrouve une quinzaine par numéro. Contre 3 à 5 dans Science & Vie. Chromosome, savane, comics, FBI… La signification de tous ces mots est précisé. Un modèle reproduit également dans Mon Quotidien (pour les 9-12 ans) et L’Actu (12-16), les quotidiens jeunesse du groupe de presse Playbac, dont Olivier Gabelin est le rédacteur en chef adjoint : « On tient beaucoup aux mots complexes car on veut enrichir le vocabulaire des petits. Il faut donc expliquer car si le petit décroche, il ne fera pas l’effort de continuer la lecture. »
Quand vous écrivez pour un adulte, vous partez du principe que des choses sont implicitement sues. Avec un adolescent, il faut tout expliquer et oublier les présupposés
Frédéric Fontaine, rédacteur en chef de Géo Ado
Le conditionnel est également prohibé : c’est un temps difficilement maîtrisé par les enfants. Idem pour le second degré dont les jeunes ont du mal à démêler le vrai du faux. François Blaise d’Okapi s’en étonne chaque année : « Les faux articles pour le poisson d’avril, comme l’annonce d’un nouvel avion avec un McDo et une piscine à bord, 95 % de nos lecteurs y croient. » Ainsi, So Foot Club, version junior de So Foot, manie moins l’ironie dans ses textes, comme dans les titres qui sont plus informatifs.
S’adapter à un lectorat jeune reste donc un exercice bien spécifique. Difficile de briser le réflexe qui consiste à utiliser un langage d’adulte. Du coup, les rédacteurs ont un travail de réécriture dense. Pour un pigiste, le temps d’intégration de l’écriture jeunesse est particulièrement long. Surtout qu’il faut produire un effort de synthétisation conséquent. Compliqué pour un jeune de rester concentré sur un article de 10 pages. En règle générale, un magazine junior qui découle d’un titre phare compte moins de pages que son homologue pour adulte (82 pages pour So Foot Club contre 106 pour So Foot). De même pour les articles longs (10 pages pour le dossier de Science & Vie Junior présenté en couverture contre 17 pages pour celui de Science & Vie).
Un article de revue jeunesse doit en outre présenter de nombreuses entrées de lectures. Photographies, schémas explicatifs, dessins, infographies, encadrés, anecdotes de quelques lignes… L’intérêt ? « Éviter d’effrayer les enfants », répond Éric Maggiori, rédacteur en chef de So Foot Club. Il faut les capter et les divertir tout en les informant. L’image n’est plus seulement illustrative, elle peut remplacer complètement le rôle informatif d’une phrase.
Des heures au téléphone
Cet équilibre texte/image est particulièrement compliqué à trouver. Il réclame des interactions constantes entre le rédacteur et le maquettiste. « Le travail avec l’infographiste est délicat. Il faut faire passer les infos en un minimum de lignes », appuie Marie François, journaliste qui a longtemps pigé pour la presse jeunesse. Auriana Langlois, ancienne pigiste également, témoigne avoir passé « des heures au téléphone avec l’illustrateur » pour certains sujets. Chez Okapi, deuxième magazine pour adolescent le plus vendu, « on met autant de temps à choisir les images qu’à écrire l’article », confirme François Blaise.
Renouveler l’attention du lecteur, c’est aussi jouer sur l’étonnement. Prendre des chemins détournés pour aborder un sujet sérieux, traiter un évènement avec un regard d’enfant, voilà l’une des clés de la presse jeunesse. Le numéro de janvier 2013 d’Okapi en est une bonne illustration. Pour son dossier principal sur François 1er, l’article était présenté sous la forme d’un compte Facebook fictif du roi de France, avec des informations organisées en « billets » imitant le réseau social. « Un sujet comme ça, c’est un truc très chiant en temps normal, justifie le rédacteur en chef. Sous ce format, c’est différent : ça parle à l’enfant et il retient les infos beaucoup plus facilement qu’à l’école. »
UNE EXCEPTION CULTURELLE MONDIALE La presse jeunesse est une véritable singularité française : non seulement le pays a été le premier à publier des journaux à destination des jeunes, mais il est aussi celui qui en compte le plus aujourd’hui. Les quotidiens de la maison d’édition Playbac n’ont, par exemple, aucun équivalent européen. Concernant le magazine enfant, François Blaise d’Okapi indique qu’il était considéré « comme un extraterrestre en Europe il y a vingt-cinq ans, et c’est encore le cas aujourd’hui dans le reste du monde ». C’est davantage la presse éducative que ludique qui fait la particularité de la France. Elle vise à favoriser l’épanouissement de la personnalité et le développement de l’esprit critique. Cette exception culturelle permet à certains groupes de presse, comme Bayard, d’exporter leur modèle.
À l’instar des magazines pour les tous petits – « où il faut créer du contenu autour des héros préférés des enfants », si on en croit Ingrid Gautier, éditrice chez Splash éditions –, la presse jeunesse dans son ensemble « est portée par les personnages », affirme la directrice de Disney Hachette France, Anne-Marie Labiny, dans les Clés de la Presse (avril 2013). C’est le cas pour Closer Teen avec ses stars du moment, mais aussi pour Géo Ado dans lequel les enfants du monde deviennent des héros.
Découverte de l’autre
« On essaye de montrer la place et l’implication de l’enfant, souvent à l’aide de portraits ou d’interviews, surtout pour les sujets qui traitent de guerre ou de catastrophe », atteste le rédacteur en chef du mensuel. Le séisme du Népal peut ainsi être évoqué sous l’angle des jeunes : comment se débrouillent-ils face à ce drame ?
Ce traitement de l’information permet de captiver le lecteur, mais participe également au rôle pédagogique revendiqué par les rédactions de presse jeunesse. « Notre but principal, c’est la découverte de l’altérité, continue Frédéric Fontaine. Géo Ado doit leur ouvrir la tête, leur montrer comment vivent les autres adolescents du monde, qu’ils soient sénégalais, péruviens, japonais ou allemands. »