Imaginer des vêtements pour personnes valides et adaptés aux handicapés, c’est le pari fou que s’est lancé Chris Ambraisse Boston en créant, en 2009, la marque A&K Classics. Les nombreuses photos affichées dans sa boutique en témoignent : pendant les défilés du créateur, ce sont les mannequins en fauteuil qui occupent le devant de la scène.
Cet ancien étudiant des Beaux-Arts milite pour une mode adaptée à tous les corps, toutes les différences. « J’ai voulu réunir la mode et le handicap, deux univers qui, dans l’esprit de beaucoup, semblent impossible à associer », assure Chris Ambraisse Boston. Dans son atelier du 19e arrondissement, le styliste dessine et son modéliste, Samir, coud. Un duo gagnant puisqu’ils ont reçu en décembre 2016, le prix Jeunes Talents décerné aux artisans par la chambre des métiers d’Île-de-France.
De la boutique, un étroit escalier mène au sous-sol. Le tac-tac des machines à coudre résonne. Au fond, un mannequin attend d’être habillé et, derrière, des dizaines de rouleaux de tissus espèrent sortir du placard pour donner corps et sublimer les dessins du styliste.
L’objectif de la marque A&K Classics est avant tout de créer un vêtement chic, qui mette en valeur tous les corps, quelles que soient leurs différences. Derrière l’esthétique et l’originalité des fermetures ou des empiècements, se cachent en réalité des astuces qui permettent aux handicapés de s’habiller plus facilement. Ces vêtements n’ont rien de médical et ne stigmatisent pas davantage le corps handicapé. De nombreuses personnes valides se voient, elles aussi, porter ces vêtements sans se douter qu’ils sont adaptés pour les handicapés.
Les initiatives comme celles de Chris Ambraisse Boston contribuent à casser le tabou qui entoure encore le handicap en France mais aussi à prouver qu’être handicapé moteur ne signifie pas renoncer à la mode. « On peut être en fauteuil et vouloir être sexy ! », clame Sandrine Ciron, handicapée depuis sa naissance et présidente de l’association Fashion Handi. Elle organise des défilés et des shootings photos pour montrer que le handicap a sa place dans le mannequinat et qu’une femme, même en fauteuil, peut mettre un vêtement en valeur. « La mode c’est important pour tout le monde. Handicapé ou pas, on préfère tous être beaux », plaide-t-elle.
« Le handicap ne justifie pas qu’on s’habille comme des sacs à patates »
Delphine Nivot
Mais ce n’est pas tout. Etre bien habillé peut avoir une vertu thérapeutique. Quand le handicap survient brutalement, accepter son nouveau corps est parfois une épreuve que le vêtement peut aider à surmonter. Delphine Nivot, ancienne étudiante des Beaux-Arts, est paraplégique depuis un accident de voiture survenu quand elle avait 19 ans. Elle aime se sentir élégante. Cela n’a pas toujours été le cas. Au début, Elle se réfugiait dans des tenues confortables mais pas vraiment glamour : le bon vieux jogging en molleton.
Et puis il y a eu un déclic. Quelques mois après l’accident, Delphine passe entre les mains expertes d’une esthéticienne : « Immédiatement, je me suis sentie à nouveau moi-même », se souvient-elle. Plus tard, elle fait tout pour façonner son apparence à sa manière, se créer un look personnel. Aujourd’hui, son rêve est de devenir conseillère en image, « parce que le handicap ne justifie pas qu’on s’habille comme des sacs à patates. L’image de soi est essentielle ».
Les histoires comme celle de Delphine sont nombreuses. Pour Catherine aussi, les vêtements sont plus qu’une affaire de coquetterie, ils lui ont permis de se sentir mieux dans sa peau après son accident. Une chute, à 25 ans, du cinquième étage alors qu’elle nettoyait les vitres. « Un accident bête », soupire cette quinquagénaire . « J’ai des souvenirs très précis de mon premier shopping quand je suis sortie du centre après un an de rééducation, raconte-t-elle. J’étais avec des amis et je me suis sentie à nouveau dans la vie normale. Je me souviens même des vêtements que j’ai achetés. Un jeans, une petite veste avec un col en fourrure et un blouson. Ne pas avoir été obligée de changer mon style vestimentaire m’a permis d’accepter mon handicap. Parce que je me suis dit : “Voilà, je peux faire les mêmes choses qu’avant”. »

Dans notre société, la mode répond à « un besoin naturel d’imitation chez l’homme », explique Frédéric Godart dans son ouvrage Sociologie de la mode. Celle-ci est parfois considérée comme superficielle mais elle est en réalité essentielle, confirme Frédéric Monneyron, sociologue de la mode. De nos jours, difficile d’échapper en tout cas à son emprise tant elle est un véritable objet d’intégration sociale. Mais si elle a le pouvoir d’intégrer, elle peut aussi stigmatiser ceux qui ne la suivent pas, des personnes handicapées, par exemple, qui ont parfois du mal à trouver les vêtements qui leur conviennent.
« Ne pas pouvoir s’habiller comme les autres, c’est ne pas pouvoir s’inscrire dans la même temporalité que les autres. Et, pourtant, c’est hyper important pour se faire une place dans notre société où tout va vite », complète Muriel Robine, présidente de l’association Cover Dressing, auteure d’un mémoire sur la mode comme outil d’inclusion des personnes en situation de handicap. « Le vêtement adapté est déjà une manière de les stigmatiser, explique Frédéric Monneyron, En revanche, s’il ressemble à une tenue habituelle et que les astuces pour faciliter l’habillement ne se voient pas, c’est un moyen d’intégrer la personne handicapée dans la société. »