Comme les grands

Pierre-Quentin Derrien

Comme les grands

Comme les grands

Pierre-Quentin Derrien
Photos : Pierre-Quentin Derrien

Alors que Pomme d’Api vient de célébrer ses cinquante ans, son petit frère Popi et ses concurrents Papoum et Picoti rêvent d’un pareil destin. Véritables morceaux de patrimoine, ces magazines et leurs célèbres héros continuent de toucher successivement des générations de lecteurs. Une longévité aux causes multiples doublée d’une stratégie de vente et surtout de fidélisation bien rodée. Plongée dans un univers vieux d’un demi-siècle, frais comme un nouveau-né.

Voilà des décennies que leur couleurs vives égayent les kiosques à journaux. Des généra­tions de lecteurs les ont eu en main. Les magazines pour les tout-petits constituent un pan considérable de la presse française. Avec leurs héros récurrents (Popi, Petit Ours brun, Petit Panda, etc), ils font perdurer une tradition d’éveil à l’image et à la lecture au sein des familles.

Ce tout premier contact avec l’objet de presse est un support privilégié par les parents dans la relation avec bébé. D’ailleurs, c’est là l’un des principaux arguments des trois groupes qui se partagent, au­jourd’hui, la quasi totalité des titres du secteur. Bayard, Milan et Fleurus ont tous leur mensuel destiné aux enfants âgés de 1 à 3 ans. Interrogées sur le contenu de leur parution, les rédac­tions défendent une vision similaire de l’éveil par la presse. Sur son site internet, le groupe Bayard va jusqu’à présenter un engagement pour la jeu­nesse intitulé Lire pour la vie.

Crèches, bébés et parents testeurs

C'est dans les crèches que les magazines pour enfants testent leurs histoires. Photo Réseau des médiathèques de Clamart

De façon surprenante, ces promesses d’éveil ne sont pas éla­borées avec des professionnels de la petites enfance. Parmi les rédactions de Popi (Bayard), de Picoti (Milan) et de Papoum (Fleurus), aucune ne fait appel aux pédopsychiatres pour certifier son contenu. Pour Emilie Belard, rédactrice en chef adjointe de Picoti, « le choix est de privilégier notre propre expérience, celle du terrain ». Le terrain, c’est-à-dire les crèches. Des lieux in­contournables où les directrices des différentes rédactions font éprouver régulièrement leurs créations aux petits. « C’est vraiment en étant face aux enfants que nous nous ren­dons compte de ce qui marche. Leur attention est très limitée, on voit tout de suite si ça les interpelle ou pas. »

Le domicile familial est également un lieu privilégié. La plupart des employées de ces rédaction entière­ment féminines, sont mamans. Leurs propres enfants leur donnent souvent les premiers retours. Et puis il y a les pa­rents. Plus que dans d’autres secteurs de presse, le courrier des lecteurs a une importance particulière. « Nous répondons à chaque fois aux retours que nous font les parents », insiste Emilie Bélard, avant d’ajouter que « ces courriers prouvent qu’ils sont des lecteurs vigilants, soucieux de l’éveil de leur bébé. C’est une très bonne chose ».

« La complicité entre le bébé et les parents est une priori­té car c’est la condition première de l’efficacité du système de lecture à deux voix »

Cécile Clavé, mère de lecteur
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À un âge où tout est à ap­prendre et à découvrir, les petits ont avec ces magazines une première ap­proche de la lecture des textes mais aussi et surtout des images. Cécile Clavé a deux enfants de 2 et 6 ans. Gabriel, le plus jeune, est abonné à Popi. Dans ce support papier, cette mère voit  un apprentissage, une occasion unique de partager un moment d’in­timité avec son fils. « Je sélectionne les histoires qui vont l’intéresser et puis nous les lisons à deux. Je lui fait la lecture et lui nomme les objets et les formes qu’il identifie », explique t-elle. Un témoignage qui va dans le sens des responsables éditoriales.

Depuis quelques années, ces dernières misent énormément sur l’interactivité. Bénédicte Fauvarque, rédactrice en chef de Papoum, insiste : « La complicité entre le bébé et les parents est une priori­té car c’est la condition première de l’efficacité du système de lecture à deux voix. Les parents sont les ga­rants de la bonne mise en pratique des exercices d’éveil que nous pro­posons. »

Cette pression pourrait peser lourd sur les épaules des jeunes couples. Mais, là encore, les titres de petite enfance ont une solution. Un petit cahier thématique les accompagne chaque mois. Si la concep­tion du magazine relève plutôt de l’édition, le cahier fait lui l’objet d’un travail plus journalistique. Une bibliographie, des témoignages d’ex­perts et des conseils pour la lecture composent ce kit de secours pour pa­rent en détresse.

Pour Cécile Clavé, notre mère toulousaine, les livrets sont « l’occasion de trouver quelques petites idées et parfois même on y apprend des choses que l’on peut ensuite faire découvrir à l’enfant. » Dans ce sens, la tentative d’impli­quer l’adulte dans la prise en main du magazine par le petit semble fonc­tionner. Un succès qui va au delà des espérances des rédactrices, comme le prouve l’activité de plus en plus fré­quente des jeunes pères et mères sur les pages Facebook des titres. Des ré­actions qui passent par des critiques, des félicitations ou encore des photos d’enfants découvrant le contenu de leur journal à eux.

L'effet madeleine

Parents et grands-parents participent de la découverte des magazines pour tout-petits. Photo libre de droit

Ce plaisir de faire découvrir ces magazines aux petits est celui de la transmission. Une partie des jeunes adultes a grandi avec des titres qui sont toujours présents sur le marché. Qui les renvoient à leur propre et première expérience de lecteur. Cela les rassure. De­venus des objets du patrimoine de la presse française, ces petits formats constituent une tradition qui perdure de génération en génération.

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Libre de droit

Notre famille toulousaine en est le parfait exemple : « C’est l’arrière-grand-mère qui offre l’abonnement en cadeau aux petits, comme c’était déjà le cas pour moi. » Une dimension émo­tionnelle qui explique aussi la longévité de cette presse. Emilie Belard de Picoti confie : « C’est toujours gratifiant de se dire qu’avec notre travail nous faisons entrer le papier dans les mai­sons, que nous formons de futurs lecteurs. » Pleine d’optimisme, elle va jusqu’à voir dans cette presse l’assurance de la survie d’un support papier qui « continuera de vivre surtout grâce aux plus jeunes ». Elle précise que l’objec­tif est de « susciter l’envie de lecture et d’information tout au long de l’en­fance et après ».

Mais pour susciter une envie de découverte, encore faut-il savoir se renouveler. C’est peut-être la plus grande difficulté de ces magazines. Les groupes de presse tentent donc de suivre les évolutions de la société. Ils s’emploient à les réinjecter, avec subtilité, dans les récits. Notamment, la vision de la famille a changé depuis l’époque des premiers numé­ros. Les enfants ont des repères dif­férents et pourtant il faut continuer à leur parler d’une manière très directe. « Nous, nous leur parlons avant tout du quotidien qui les touche eux, pour leur donner les premiers repères. Ils ne sont pas en mesure de comprendre autre chose à cet âge », analyse Béne­dicte Fauvarque.

Trop vieux jeu Petit 0urs brun ?

Évidemment, il n’est pas questions de s’emparer de théma­tiques d’actualités fortes, comme les attentats ou le mariage pour tous. Mais quelques changements sont ob­servables. Petit Ours brun, le person­nage le plus emblématique de cette presse, en est l’exemple. Il a été la cible de virulentes critiques de la part des parents, comme nous le révèle la responsable éditoriale Sylvie Ladouce. « Les parents sont de plus en plus choqués par le modèle familial de Petit Ours brun. Ils y voient une vision sexiste et dépassée du couple », révèle t-elle. Alors dans les derniers numéros, Ma­man ours s’émancipe. Son indéboulonnable tablier a enfin disparu et elle sort désormais de la maison ou, devrait-on dire, de la cuisine. Une ré­volution par la force des choses.

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Il est tentant de mettre ici en cause l’iden­tité des groupes de presse face à cette pointe de conservatisme. Seul Milan s’est toujours revendiqué laïc. Son fondateur Patrice Amen avait volon­tairement mis en avant la laïcité de sa ligne éditoriale en opposition à ses deux autres concurrents de tradition catholique. Mais en 2004, le groupe est racheté par Bayard, avec la garan­tie que sa ligne éditoriale ne serait pas bouleversée.

Petit à petit la maison Bayard, fondée par la congrégation religieuse des Augustins de l’Assomp­tion, se défait, elle aussi, de cette image traditionaliste. Les rédactions des magazines Pomme d’Api et de Pomme d’Api Soleil (support d’éveil à la foi) ont été clairement séparées. À Pomme d’Api, on affirme : « Peu d’entre nous sont croyants, cet héritage n’affecte en rien notre contenu et nos proposi­tions. » Seul Fleurus reconnaît encore entretenir des partenariats, par tradi­tion, avec des associations catholiques comme l’Action catholique des enfants (ACE).

Bien que cette histo­rique ne soit pas incompatible avec la mo­dernité, les parents veillent au grain. Comme des piqûres de rappel, pour éviter de prendre la poussière.

La part belle aux bonus

Enfin, le dernier facteur nécessaire à la sérénité de tout titre de presse est celui de l’économie. La majorité des magazines doit aujourd’hui jon­gler avec des budget plus que serrés. La presse des tout petits n’échappe pas à la règle. Pourtant, voilà près de vingt ans que le trio Papoum, Popi, Picoti maintient sans interruption sa présence dans les kiosques. Comme évoqué précédemment, la dimension émotionnelle et la transmission assure une continuité des ventes.

Mais l’ex­plication tient ailleurs. Si ces maga­zines ont toujours gardé la tête hors de l’eau, c’est avant tout grâce à une stratégie d’abonnement très rodée. La fidélisa­tion du client par les pro­messes d’éveil permet d’éviter la banqueroute. Les enfant attendent avec impatience de pouvoir aller à la boîte aux lettres, comme les grands, chercher leur courrier à eux. Le rapport entre le nombre d’exem­plaires tirés et ceux distribués aux abonnés parle de lui-même. Popi est le titre le vendu. Tiré à 80 000 exem­plaires, 37 000 partent directement chez les abonnés et 20 000 sont ven­dus en kiosque. La formule de l’abon­nement représente donc 66% des ventes.

Ce pourcentage est similaire pour les autres groupes qui affinent tous leur stratégie pour conquérir un public plus large. Ces revenus fixes entretiennent le chiffre d’affaires et évitent ainsi la catastrophe écono­mique. Seul Fleurus connaît des dif­ficultés grandissantes. Là où les sala­riés se comptent chez la concurrence au nombre de 5 ou 6, Fleurus, après une réorganisation interne, n’en a conservé que deux. Une stratégie à court terme, qui est loin d’être payante. Le manque de moyens hu­mains et fi­nanciers ne permet plus de proposer des numéros aux contenus originaux. « Nous sommes obligés de faire de la redite, de la rediffusion dans les his­toires proposées aux lecteurs », re­grette Bénédicte Fauvarque. La sanc­tion est directe. Les ventes s’effritent et les abonnés quittent le navire petit à petit. Toujours selon la rédactrice en chef de Papoum, les courriers des lec­teurs sont devenus des lettres de pa­rents en colère, se sentant floués par ces redites. Il semble que le groupe ait raté le coche du renouvellement.

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La perte des abonnés est aux groupes de presse pour enfants ce qu’un trou est à la coque d’un navire. S’en remettre au kiosque n’est pas non plus la solution. Toutes les ré­dactions interrogées le reconnaissent, ce type de ventes se fait à perte d’un point de vue financier. Le kiosque sert essentiellement de vitrine à ces maga­zines pour attirer de futurs abonnés. Mais la concurrence féroce qui sévit en rayon ruine les titres. Pendant de longues an­nées, les groupes ont misé sur les « plus-pro­duits ». Ce sont ces gad­gets offerts à l’achat pour attirer les enfants. « Tout le monde souhaite arrêter d’en faire fabriquer car ils coûtent très chers, mais il n’y a jamais eu de décision commune à ce sujet », reconnaît-on chez Fleurus. Depuis, les magazines ont inventé un nouveau type de bonus. Popi a, par exemple, cessé de commander des jouets en plastique et préfère proposer des tra­vaux manuels à base de papier. Une réorientation qui a l’avantage d’ajou­ter un possibilité d’échange et de par­tage supplémentaire entre parents et enfants en bas âge.

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Un autre phénomène pointe le bout de son nez et risque de redistribuer les cartes. Les licences, ces histoires d’un seul personnage star, s’introduisent sur le marché de la presse jeunesse. Leur impact n’est pas encore mesu­rable. L’exploitation exclusive par le groupe Lagardère des aventures de T’choupi, ce petit pingouin très popu­laire chez les tout petits, pourrait no­tamment changer la donne. Des nou­veaux venus inattendus sur un secteur déjà bien fourni.

La presse des pe­tits s’affiche comme une valeur sûre. Elle rentre dans l’intimité des foyers et par les souvenirs qu’elle crée, elle raconte une autre histoire que celle contenu dans ces pages.

« Travailler pour ces magazines, est une consécration »

Diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs en 2006, Pauline Kalioujny est aujourd’hui une illustratrice prisée. Repérée par la rédaction du magazine Popi, l’artiste de 32 ans collabore avec les groupes de presse petite enfance. Une professionnelle aussi exigeante que son public. Elle vient de faire l’acquisition de son premier atelier à Ivry-sur-Seine. Un lieu où elle s’adonne à sa passion, nourrie par l’imaginaire des petits.

D’où vient votre goût pour le dessin jeunesse?

Pauline Kalioujny. J’ai toujours été pas­sionné par ce type d’illustration. Moi-même, j’ai été lectrice de ces magazines étant en­fant. C’est un univers qui laisse une grande place à l’imaginaire. Pour travailler dans le domaine de l’illustration jeunesse, je crois qu’il est recommandé d’avoir la fibre tout-petits. Ils faut passer du temps à ana­lyser leur réaction pour comprendre leur lecture de l’image et sans cesse s’améliorer. C’est très stimulant.

Vivre de l’illustration, un parcours du combattant ?

P. K. Oui, c’est un peu ça (rires). Cela fait maintenant dix ans que je suis sortie de l’école. Se faire une place dans ce petit mi­lieu où tout le monde se connaît n’est pas une chose évidente. Il faut être patient. Mais c’est aussi une période nécessaire pour dé­velopper son identité artistique, trouver sa patte. Cela fait peu de temps que je com­mence à trouver ma place dans ce micro­cosme. Il faut s’accrocher.

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Quelles sont les qualité d’une bonne illustration jeunesse ?

P. K. Il faut les capter au premier coup d’œil. Avec les tout-petits la sanction est immédiate. Ils ne cherchent pas à comprendre, ils voient. Leur attention est très fragile. Il est nécessaire de les accrocher très vite. Cela passe par des images très directes, efficaces. Le coup de crayon est spontané. Le choix des couleurs est primordial. Tout doit être identifiable dans la composition. Il faut être très premier degré pour séduire ce public exigeant. Très vite j’ai dû adapter mon style. Je trouve dommage que ce type de production soit sous-estimé car c’est presque ce qu’il y a de plus dur dans l’illustration. Il faut être vigilant dans les propositions car ces créa­tions font une partie de l’éducation à l’image de l’enfant. On se souvient tous de ces ma­gazines en tant que lecteur. Ils laissent une trace.

Présentez-vous vos œuvres à des professionnels de la petite enfance, comme des pédopsychiatres ?

P. K. Je m’en remets surtout à ce que j’ai l’occasion d’observer régulièrement, c’est à dire des lectures dans les crèches. J’ai aussi régulièrement des retours de médiathèques. Elle me donnent un avis sur mon travail. Lorsque je réalise un livre, c’est l’éditrice qui se charge de montrer mes dessins à des pédopsychiatres. Dans la presse le temps de création est beaucoup plus court et le dessin ne peut pas passer par toutes ces étapes. En général, l’expérience des groupes de presse suffit pour repérer ce qui cloche.

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En presse, quelles sont les différentes étapes entre les premiers coups de crayons et la publication ?

P. K. D’abord le texte nous est envoyé. C’est lui qui guide le dessin. Le texte des auteurs vient toujours en premier. A partir de là, nous envoyons un crayonné aux rédactions, un brouillon perfectible. Après leur retours vient la réalisation de l’œuvre, les dernières retouches et enfin la publication. Le plus souvent, tout cela se passe en deux semaines. En comparaison, j’ai pris trois ans pour travailler sur mon dernier livre. Les contraintes dans l’édition et dans la presse ne sont pas compa­rables.

Cependant ces collaborations avec la presse vous assure des revenus plus réguliers ?

P. K. Oui bien sûr. Énormément d’illustra­teurs jeunesse frappent aux portes de ces groupes. Ils assurent une base de revenu. Mais les illustrateurs savent aussi et surtout que cette presse est un formidable lieu d’ex­position de leur savoir-faire. Travailler pour ces magazines, est presque une consécration. Nous ne faisons pas cela pour l’argent, les rétributions sont d’ailleurs très fluctuantes. Elles se font au forfait. Pour une vignette le tarif de départ est d’environ 70 euros mais pour une histoire sur plusieurs pages cela monte à plusieurs centaines d’euros. Tout dépend du groupe de presse et de la noto­riété de l’artiste. Avec la démocratisation de la photographie, l’illustration ne retrouvera plus l’âge d’or des années soixante. Les titres de presse y avait bien plus recours qu’au­jourd’hui. Les tarifs bas font râler certains d’entre nous mais ces opportunités sont à sai­sir et puis personne ne souhaite se confron­ter aux services juridiques bien rodés des groupes (rires).

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Les lignes éditoriales des ces maga­zines, notamment leurs connotations religieuses chez Bayard et Fleurus, sont elles une contrainte supplémen­taire ?

P. K. Je n’apprécierais pas qu’on passe un message différent de mes valeurs au tra­vers de mes créations. Des amis m’avaient prévenue de l’identité de certaines maisons comme Bayard et Fleurus. Certains d’entre nous font un principe de ne pas collaborer avec ces groupes en contradiction avec leur éthique personnelle. Fleurus, par exemple, a la réputation de proposer des contenus for­matés et même un peu sexistes. J’avais donc une petite appréhension avant de travailler avec Bayard et je pensais que tout ne serait pas proposable. Cela c’est vite atténué. J’ai senti que je jouissais d’une grande liberté dans la réalisation. Même si des magazines comme Popi ont parfois un discours plutôt traditionaliste, il y avait une belle qualité d’échange et d’écoute entre la rédaction et moi. L’expérience m’a surprise, dans le bon sens du terme.

Avez-vous pour projet de travailler de nouveau et plus régulièrement pour ces magazines ?

P. K. J’aimerais beaucoup ! Les places sont chères. Les rédactions travaillent beaucoup à la confiance et font très souvent appel à des illustrateurs qu’elles connaissent déjà. Certains occupent une bonne partie des pages. Ce sont ceux qui ont eu la chance de se faire acheter une série à succès, des aven­tures de personnages stars et récurrents. C’est un rêve que nous avons tous. Dessi­ner pour cette presse est considéré comme du bon travail alimentaire dans notre mi­lieu. Enfin, je sens que la mode change ces derniers temps. Les artistes qui travaillent comme moi, à la main, sont plus recherchés (elle grave ses œuvres sur des plaques de li­noleum, NDLR). Enfin, je tente de proposer des créations plus complètes en me lançant en parallèle dans un travail d’auteur, pour lier mes images et mes propres textes. C’est un travail de longue haleine mais je suis pas­sionné et je ne vois aucune raison de baisser les bras.

Popi, garanti fait maison

Au dernier étage d’un immeuble du XIIIe arrondissement, à Pa­ris, une partie de l’équipe de la rédaction du magazine Popi s’active. Aujourd’hui, ce n’est pas dans les locaux de Bayard qu’a lieu la réalisation du cha­pitre principal du titre. La créa­tion a lieu à domicile, chez la responsable éditoriale. Après plusieurs semaines de prépa­ration, une nouvelle histoire de Popi le petit singe va bientôt voir le jour. Un rendez-vous très attendu par le million de lec­teurs du titre petite enfance le plus vendu en France.

Sur la porte d’entrée de Sylvie Ladouce, respon­sable éditoriale du maga­zine Popi, des autocollants donnent le ton : « Rendez l’argent ! » « On vous prend tous !» Rien de très ca­tholique en somme, ni très enfantin. Le contraste tord le cou aux idées reçues. Le seuil franchi, un salon lumineux à la décoration sobre s’offre au regard. Le parquet de l’appartement pari­sien craque sous les pieds. Autour d’une table en bois, ils sont trois, en pleine discussion. Devant eux, le café fumant vient juste d’être servi.

Der­rière ses grandes lunettes violettes, Sylvie Ladouce dirige ce brainstorming matinal. À ses côtés, Hélène David, photographe et reporter indépen­dante mais aussi Robin, de son nom d’artiste, directeur artistique de la publication. Les échanges sont francs, le ton est direct. Ils ne craignent pas de se froisser. Tous se connaissent de longue date. « Je vois bien un coffre au trésor au fond de l’eau avec un poisson qui s’en échappe », lance la responsable éditoriale. Tout de suite, elle est reprise par la photographe qui rappelle « qu’introduire une telle part d’imaginaire est un trop gros changement. Popi c’est d’abord le quotidien, le réalisme ».

Voilà déjà près d’une heure qu’ils débattent des scenarii des prochains numéros. Sur la table sont ensuite déroulés des plans grandeur nature. Les premières idées de composition y sont dessinées. C’est l’instant des dernières retouches. Ce temps préparatoire est essentiel car les aventures de Popi représentent pas moins de quatre pages d’un maga­zine qui n’en compte que vingt. C’est donc un gros morceau qui est au programme aujourd’hui. La journée s’annonce longue pour la responsable du titre et ceux qui l’assistent.

Popi superstar

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Tout le monde met la main à la pâte pour déplacer les meubles du salon.

Le temps défile et le planning est chargé. La séance photo du jour oblige à accélérer les choses. Tout le monde met la main à la pâte pour déplacer les meubles du sa­lon. Pas de studio photo pour le petit singe qui prête son nom au magazine. L’appartement de sa « maman », comme elle se sur­nomme avec humour, sert d’écrin à la nouvelle histoire. Une ma­man qui aime rire et raconter les anecdotes qui font son quotidien.

Sur la table, une petite brosse à dent en est l’exemple parfait.« Je reviens de la pharmacie, j’ai de­mandé une brosse à dent pour une marionnette », s’amuse t-elle. Elle ajoute en sourant : « Le visage de la vendeuse s’est illumi­né lorsque je lui ai dis que c’était pour Popi. Elle m’a avoué dormir encore avec la peluche. » Une histoire aussi distrayante que révélatrice. Cette mascotte est la garante de l’identité du magazine, une madeleine de Proust pour plu­sieurs générations.

Au fond d’un sac de voyage, la voici qui attend que le décor se monte. À quatre pattes, les trois adultes s’inter­rogent sur la bonne combinaison des cubes co­lorés et le choix des angles de vue. Diverses mises en scène sont ten­tées avant de trouver la position adéquate. Enfin, le personnage fait son entrée. Coincée entre le cana­pé et la table basse Hélène David réalise les premiers clichés. La lu­mière est changeante, ce qui ne fa­cilite pas la tâche. D’abord accrou­pie puis allongée sur le parquet, la photographe donne ses directives au rythme du déclenchement de l’appareil. Voilà plus de dix ans qu’elle travaille pour le magazine. « C’est une parenthèse pour moi, un moment à part et jouissif par rapport à mon quotidien de pho­to-reporter » reconnaît-elle.

Un éternel recommencement

Ce n’est pas la première fois que l’appartement de Sylvie Ladouce, quadragénaire virevoltante, sert de cadre pour ce type de séance. Elle évoque ces souvenirs tout en cherchant d’anciens numéros de Popi pour illustrer ses propos. La décision est prise de poursuivre à l’étage. Direction la chambre de Pénélope et Gabriel, ses enfants. Le cadre est idéal, les jouets des petits et les dessins aux murs composent un décor plus que réaliste.

Robin, le di­recteur ar­tistique s’efforce de faire tenir à la mascotte des poses enfantines. Il noue puis tend un fil de pêche au­tour du cou du petit singe pour qu’il tienne sur ses genoux. De la Patafix est mise sur les cubes pour qu’ils restent accrochés à ses mains. L’équilibre est fragile, alors c’est avec beaucoup de pru­dence que se font les manipulations.

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Mais soudain, nouvel arrêt, la tenue vestimentaire de la marionnette ne convient plus à Sylvie Ladouce. Elle dépose un petit sac sur le lit d’en­fant. À l’intérieur, plusieurs tenues aux couleurs vives sont soigneuse­ment pliées. « Ce sont des vêtements de bébé que nous avons récupéré au fil des années et sur lesquels nous faisons quelques points de couture pour qu’il s’adaptent parfaite­ment », indique-t-elle. Difficile de renouveler en permanence une for­mule qui marche, alors les moindres détails sont exploités. En changeant une paire de chaussures, une salo­pette ou un gilet, l’équipe veut évi­ter le sentiment de redite.

Malgré les apparences, personne ici ne joue à la poupée. Plus le temps avance et plus le sérieux l’emporte sur les rires. Pour obtenir les meilleurs clichés les positions acrobatiques s’enchaînent au milieu des figurines et des cahiers d’école. La matinée passe et l’équipe rivalise de solu­tions pratiques pour donner vie au sujet. « Dans un titre qui fait la part belle à la création visuelle, il faut faire preuve de bon sens et avoir le goût des travaux manuels », analyse la responsable éditoriale.

Toutes les étapes en photo

Un travail dans le plaisir associé à une orga­nisation rigoureuse qui garantissent le respect des délais de bouclage. Jusqu’au bout, la production à flux tendu obligera le trio à sauter d’une tâche à l’autre. Première victime de ce rythme effréné, le café oublié a depuis longtemps refroidi.

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La une de Popi telle que les enfants l'ont découverte en septembre.

Bayard