Cap sur l’Afrique
Une nouvelle ruée vers l’or a commencé pour les médias français, vers un territoire en pleine mutation : l’Afrique. Si la presse va mal, l’Hexagone possède un trésor : sa langue française. Avec comme arme le numérique, comme bouclier la francophonie, les médias français ont jeté l’ancre sur le continent. De quelles ruses jouent-ils pour s’y installer ?
« L’Afrique, le réveil » titraient The Economist puis le Time en 2011 et 2012. A cette époque, le continent apparaît comme le nouvel eldorado des entrepreneurs étrangers. Les groupes de presse, français en particulier, ne dérogent pas à la règle et misent sur le public africain. Jusqu’à récemment, Jeune Afrique était le seul média écrit panafricain (voir frise chronologique en fin d’article). Le pure player Slate a créé, dès 2011, le site internet slateafrique.com. Le Point a suivi en 2014, lançant son site afrique.lepoint.fr. Dernier à tenter l’aventure, Le Monde a lancé lemonde.fr/afrique en janvier dernier.
C’est le nouveau credo des médias français : se présenter comme un média francophone, sur la Toile, pour être présent sur le marché quand la totalité de l’Afrique se connectera. Tous veulent croire à la prophétie de Franz-Olivier Giesbert dans son édito publié à l’occasion du Point Afrique : « le XXIe siècle sera africain. » La presse écrite française, en perte de lectorat, surfe sur cette vague. Car si le développement de la presse papier est limité (la distribution y est trop compliquée), Smartphones et tablettes se vendent de plus en plus. Pour Alain Aka, chef de projet numérique au Point Afrique franco-ivoirien, développer l’information sur le Web est essentiel. Et avant tout sur Smartphones, car les ordinateurs coûtent encore trop cher. C’est pourquoi Le Monde Afrique a créé un site « responsive », c’est-à-dire adaptable sur tous les supports : ordinateur, tablette, Smartphone.
L’Afrique comptera 350 millions de Smartphones en 2017, contre environ 100 millions aujourd’hui
Etude Deloitte
Les médias français misent sur la francophonie. C’est pour eux un avantage certain. En effet, un rapport de l’Organisation internationale de la Francophonie prédit qu’en 2050, 85 % des Francophones vivront en Afrique. La géographe Sylvie Brunel met un bémol à cet enthousiasme. En effet, si ces pays sont considérés comme francophones, la pratique de la langue de Molière est inégale selon les populations. Les médias s’adressent plutôt aux classes les plus éduquées, celles qui bénéficient de l’outil internet et d’un bon niveau de français. La plus grande partie de la population est donc laissée de côté.
Cible en vue, ramez moussaillons !
Le but est le même pour tous : créer un média panafricain qui s’adresse aux francophones des pays d’Afrique, mais aussi de la diaspora. Alexis Adele, correspondant ivoirien du Monde Afrique, estime que le projet « vient combler un vide qui existait ». Il permet aux lecteurs africains de « disposer d’une autre information » qui rompt le monopole de Jeune Afrique. Alain Aka aurait préféré que l’initiative vienne d’un média africain. « C’est français, mais tant pis ! on y va. » Le hic, c’est qu’il n’est pas simple de couvrir un territoire si étendu. La diversité en Afrique est une évidence : il y a un monde entre un Nigérian et un Sierra-Léonais, un citadin et un rural, un jeune et une personne âgée.
Autre ambition de taille, donner une nouvelle image du continent, tellement décrié jusqu’à aujourd’hui. Quand la presse traditionnelle parle de guerres, de famine ou de pauvreté, les médias consacrés à l’Afrique refusent de les suivre sur ce thème. Au Point Afrique, on met en avant « la nouvelle Afrique, celle qui crée et qui innove ». Quand on veut traiter une actualité, Alain Aka estime qu’un certain nombre de questions s’imposent : « Est-elle utile ? Fait-elle avancer l’Afrique ? Donne-t-elle envie d’y investir ? » Donner de l’information qui a du sens, voilà le défi à relever. Il faut miser sur le développement de cette Afrique en mouvement et, pourquoi pas, essayer d’influer sur les populations en créant un effet « boule de neige ». Ce que confirme Raoul Mbog, journaliste au Monde Afrique : « Si on touche un petit groupe de personnes, celles-ci pourront ensuite en toucher d’autres et contribuer à changer les choses. »
Si le regard est afro-optimiste, le projet n’est pas toujours accueilli à bras ouvert de l’autre côté de la Méditerranée. Même chez les populations les plus éduquées. En témoigne Augustin Emmanuel Ebongue, chercheur en information-communication au Cameroun : « À vouloir à tout prix innover en montrant une image qui ne reflète pas l’Afrique, la classe dirigeante occidentale, française en particulier, risque de tromper les opinions publiques, voire la communauté internationale. » Jeff El Renega, un Franco-Camerounais qui étudie en France, ne dit pas autre chose : « Ce qui se dit dans ces médias est éloigné de ce que nous vivons. » Il prend pour exemple les articles sur l’homophobie du Cameroun. « Il y a des agressions homophobes, je ne peux pas le nier. Mais cela reste très marginal. Les homosexuels ici se baladent sans problème. » Pour lui, les médias français trahissent la réalité. Pourtant, il lit, entre autres, Le Monde Afrique, et regarde France 24. Même si elle les critique, la classe moyenne africaine reste très friande des médias français. Un paradoxe que ces derniers devront résoudre.