À chaque école son Montessori

Maxime Buchot, Lénaïg Le Vaillant et Lucie Martin

À chaque école son Montessori

À chaque école son Montessori

Maxime Buchot, Lénaïg Le Vaillant et Lucie Martin

Certains parents sont séduits par cette pédagogie alternative. Mais ils ignorent souvent que chaque établissement est libre d’interpréter la méthode comme bon lui semble.

À cinq minutes du centre de Saintes, en Charente-Maritime, se trouve l’école alternative L’île aux enfants, à la lisière d’une forêt et d’un champ. Ici, trente élèves de 3 à 10 ans sont répartis dans des classes qui ne ressemblent pas vraiment à celles des écoles traditionnelles. Avant d’entrer, les élèves se déchaussent. Des tapis jouxtent les pupitres pour les temps d’autonomie. Sur les étagères, des objets étiquetés Montessori sont mis à disposition. Chez les plus petits, certains écoliers manipulent des perles pour apprendre à compter. Tandis que d’autres s’exercent à l’écriture avec des lettres rugueuses.

Les pédagogies alternatives sont de plus en plus privilégiées par les parents qui ne font plus confiance à l’Éducation nationale. Le site Créer son école a recensé 93 nouveaux établissements scolaires (écoles maternelles et/ou élémentaires, collèges et lycées) à la rentrée 2016. Soit une augmentation de 12 % par rapport à l’année précédente. Parmi ces méthodes, une a le vent en poupe. Celle de l’Italienne Maria Montessori . Elle prône une éducation qui s’adapte au rythme de chacun et qui favorise l’autonomie de l’enfant.

Contrôlées en théorie, libres en pratique

Pour apprendre à compter, les enfants utilisent des perles. Photo : Lucie Martin/EPJT

L’Italienne Maria Montessori fut médecin et pédagogue au XXe siècle. Sa pédagogie, qui porte son nom, propose des exercices qui tiennent compte des besoins de l’enfant à chaque stade de sa croissance. Selon sa théorie, le potentiel de chaque enfant se développe à condition qu’il évolue dans un environnement approprié. Cela suppose de respecter son histoire, sa personnalité et son propre rythme. Pour ce faire, les enseignants doivent laisser à l’enfant une certaine liberté que ce soit dans ses mouvements ou dans ses choix d’activités. Cette liberté est censée lui permettre de développer son autonomie et de se responsabiliser.

Cette pédagogie suppose de s’appuyer sur un matériel spécifique qui a pour but de stimuler l’activité sensorielle des enfants. Ils utilisent par exemple des billes et des perles pour apprendre à compter ou des lettres rugueuses pour apprendre à lire et à écrire. « En me formant à la pédagogie Montessori, j’ai compris des choses en mathématiques que je n’avais pas acquises quand j’étais enfant. Grâce aux perles, apprendre à compter devient visuel », remarque Céline Hadet, maîtresse des 3/6 ans à l’école alternative de Saintes.

Alain Sotto, psychopédagogue interrogé dans Les Maternelles sur France 5 pense que cette pédagogie ne correspond pas à tous les enfants : « Les véritables écoles Montessori sont très rigoureuses. Certaines le sont moins. Donc les parents doivent se renseigner auparavant. »

Immersion au sein de l’école alternative l’Île aux enfants de Saintes. Vidéo : Lucie Martin/EPJT

La légère réglementation de l’Éducation nationale

Ces écoles sont des établissements privés hors contrat. Autrement dit, elles n’ont aucun lien avec l’Éducation nationale. Cependant, la loi leur impose tout de même le respect d’un socle commun. L’article L131-12 du code de l’éducation garantit, en effet, l’apprentissage des enfants de 6 à 16 ans. « Il identifie les connaissances et compétences indispensables qu’un élève doit avoir acquises à l’issue de sa scolarité obligatoire. »

Ces écoles peuvent faire l’objet de contrôle. Dans les faits, cela reste rare parce que l’académie n’est pas obligée d’inspecter leurs enseignants, étant donné qu’ils ne sont pas salariés par l’État. Concernant le contrôle des écoles, il est simplement dit que l’académie « peut » les contrôler. Là encore, le Code de l’éducation ne prévoit pas d’obligation. Lorsqu’il est effectué, le contrôle se limite alors « aux titres exigés des directeurs et maîtres, à l’obligation scolaire, à l’instruction scolaire, au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale », d’après l’article L442-2 du Code de l’éducation.

Une charte trop stricte

Parce que n’importe quelle école peut se revendiquer Montessori, l’Association Montessori France (AMF) tente de faire le tri entre les « vraies » écoles et les « fausses » grâce à une charte. Les écoles signataires s’engagent à en suivre les critères. Les enseignants doivent être diplômés de l’Association Montessori internationale (AMI) pour la tranche d’âge du groupe d’enfant dont il a la charge. Il en existe cinq allant de 3 mois à 18 ans. Un quota d’enfants par groupe d’âge doit être respecté. Par exemple, les écoliers de 3 à 6 ans doivent être entre 28 et 35 par classe.

Ils doivent disposer d’un temps de travail autonome de deux heures et demi à trois heures chaque matin et chaque après-midi. Enfin, le matériel doit être agréé par l’AMI et ne doit pas être mélangé à un autre matériel pédagogique.

L’influence de l’AMF est telle que les écoles qui n’ont pas signé la charte ne se sentent pas légitimes. C’est le cas de la Maison des enfants de Tours qui a refusé de nous ouvrir ses portes. Elle craint de voir sa « réputation entachée » étant donné qu’elle s’autoproclame Montessori sans être signataire de la charte.

La charte des établissements Montessori de France by EPJT on Scribd

À l’image de l’AMF, cette charte est jugée trop stricte pour certains enseignants intéressés par la pédagogie Montessori. C’est une des raisons pour lesquelles l’AMF ne compte actuellement que 13 écoles signataires sur les 208 écoles Montessori recensées par le site de l’AMF.

Beaucoup de professeurs regrettent que l’AMF impose un protocole rigide sur le matériel à acheter. D’autant qu’il est possible de le fabriquer soi-même. L’AMI touche-t-elle des bénéfices pour matériel acheté ? D’une association, le mouvement a réussi à créer un business en distribuant des agréments au compte goutte, en proposant ses propres formations en plus du fameux matériel, qui lui aussi doit être agréé.

Une méthode, des pratiques

Les écoliers apprennent à lire et à écrire en utilisant des lettres mobiles. Photo : Lénaïg Le Vaillant/EPJT

Un crépi beige grisonnant, un toit marron et des volets en bois. Difficile d’imaginer que des maîtres d’école font classe dans ce pavillon niché au cœur d’un quartier résidentiel de Maurepas (Yvelines). Et pourtant, dans le Centre de rencontres enfantines Montessori (Crem), sont dispensés des cours allant de la petite section au CM2. Au total, une cinquantaine d’écoliers investissent les bancs de cette école qui affiche complet.

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La directrice, Danièle Viguier Duvivier, 71 ans, n'est pas prête de prendre sa retraite.

Photo : Lucie Martin/EPJT

Au rez-de-chaussée, les enfants ont personnalisé les murs blancs en collant des photos de leurs parents. Pour eux, l’école est une deuxième maison. Pour la fondatrice, présidente et directrice Danièle Viguier Duvivier aussi. Ici, tout le monde la connaît. Les enfants la saluent en l’appelant par son prénom. Ses anciens élèves gardent d’elle le souvenir d’une femme courageuse et attachante. Melvyn raconte que « Danièle était prête à tout pour leur organiser des sorties et des voyages. » Il se souvient aussi du temps qu’elle lui consacrait lorsqu’il était en difficulté

Après s’être cherchée longtemps, Danièle Viguier Duvivier a trouvé sa voie dans la pédagogie de Maria Montessori. À 71 ans, elle a dépassé l’âge de la retraite, mais n’est pas encore décidée à raccrocher. Son école ne lui suffit pas, car elle est aussi administratrice à l’AMF.

Des directrices plus rivales qu’alliées

La pédagogie de Maria Montessori lui tient tellement à cœur, qu’elle en est intransigeante. Pour elle, seule compte la méthode pure et dure. La moindre adaptation semble inacceptable. Elle n’hésite d’ailleurs pas à dénoncer les établissements qui se revendiquent montessoriens sans être adhérents à l’AMF. « Dans certaines écoles, les parents croient payer une pédagogie Montessori mais paient seulement une école privée. » Elle montre du doigt notamment les écoles de Sylvie Desclaibes à Bailly (Yvelines), à Clichy (Hauts-de-Seine) ou à Bordeaux qui n’ont signé la charte de l’AMF.

« Laisser un enfant faire un exercice avec un doudou dans une main et la tétine dans l’autre est contre-productif. Soit on travaille, soit on se repose », dénonce cette rigoriste. Et d’ajouter que les enfants de moins de 12 ans sont dans une période sensible. Ils apprennent vite et sans effort, mais doivent être encadrés. La méthode Montessori permet à l’enfant d’évoluer à son rythme tout en lui garantissant un cadre strict. Pour cette raison, elle lui paraît être la plus adaptée.

Des écoles à l’image de leur créateur

À Saintes, Noëlle Oreac a ouvert les portes de L’Île aux enfants, une école alternative directement inspirée des méthodes Freinet et Montessori. Elle a d’abord accueilli des enfants dans sa maison au Douhet avant de racheter, il y a quatre ans, une ancienne école pour enseigner à sa façon. Sa pratique de la méthode Montessori n’est pas la même que celle de Danièle Viguier Duvivier.

« Ici, nous ne nous enfermons pas dans la pédagogie Montessori. L’essentiel est d’apporter des connaissances aux enfants », explique Marlène Caron, enseignante en charge des CP/CE1. Par exemple, l’école commence tous les jours par un « Quoi de neuf ? » issu de la pédagogie Freinet. Tour à tour, ils répondent à la question : « Comment te sens-tu aujourd’hui ?»

« Ce n’est pas parce qu’une école n’est pas agréée qu’elle n’est pas sérieuse ni bonne pour l’enfant. Il faut analyser au cas par cas. Charte ou pas, ce qui compte, c’est que l’enfant progresse. »

Marie-Laure Billaut est psychopédagogue à Tours. Elle s’occupe du développement des enfants et des adolescents en difficulté ou en échec scolaire, en leur proposant une aide psychologique. Anciennement professeur dans une école Montessori aux États-Unis, elle voit d’un bon œil les écoles qui s’inspirent de plusieurs pédagogies.

« Ce qui compte, c’est que les enseignants proposent une pédagogie cohérente. Que ce soit Freinet, Steiner-Waldorf ou Montessori, elles reposent toutes sur quatre points fondamentaux qui sont l’autonomie de l’enfant, le travail en collaboration, le retrait de l’enseignant et le fait de laisser l’enfant aller à son rythme », explique-t-elle.

L’AMF souhaiterait uniformiser cette pédagogie et garantir sa bonne application. Elle exige des écoles qui signent la charte d’appliquer uniquement la pédagogie Montessori. Mais la plupart des établissements résistent et préfèrent conserver une marge de liberté. Pourquoi s’imposer des règles alors qu’elles ont choisi de ne pas dépendre de celles de l’Éducation nationale ? Noëlle Oreac qualifie d’ailleurs les membres de l’AMF « d’intégristes puisqu’ils souhaitent sortir l’enfant d’un système pour l’intégrer dans un autre ». Et Marie-Laure Billaut de trancher : « Ce n’est pas parce qu’une école n’est pas agréée qu’elle n’est pas sérieuse ni bonne pour l’enfant. Il faut analyser au cas par cas. Charte ou pas, ce qui compte, c’est que l’enfant progresse. »

Montessori se démocratise

À Saintes, l'équipe pédagogique s'appuie sur différentes pédagogies alternatives. Photo : Lénaïg Le Vaillant/EPJT

Paradoxalement, la pédagogue Maria Montessori a testé sa méthode dans une école pour les enfants issus d’un quartier pauvre de Rome. Tandis qu’aujourd’hui, les écoles Montessori ont un coût. Étant donné qu’elles ne reçoivent aucune subvention de l’État, il faut débourser au minimum 2 000 euros – cantine comprise – par enfant au Crem et 3 000 minimum – repas non compris – à Saintes.

La pédagogie Montessori suscite un tel engouement que des instituteurs d’écoles publiques ont choisi de l’utiliser au sein de leur classe. Leur objectif ? Faire en sorte que les gens arrêtent de penser que cette pédagogie est chère et élitiste.

Certains vont jusqu’à fabriquer eux-mêmes le matériel adéquat. « Nous n’avons pas besoin de leur matériel hors de prix pour faire du Montessori », explique Adrien Guinemer, un enseignant. Certains pointent « la récupération du travail de Maria Montessori dans une logique mercantile ». Il faut savoir qu’à son époque, le matériel était offert aux écoles.

Céline Alvarez, ce nom vous dit sûrement quelque chose. Elle a fait parler d’elle à la rentrée 2016 via la publication de son livre Les lois naturelles de l’enfant. Pendant trois ans, elle a expérimenté sa propre pédagogie, influencée par celle de Maria Montessori dans une école maternelle publique à Gennevilliers.

Pour elle, « le système scolaire entrave le fonctionnement naturel de l’enfant. » Elle a cherché à infiltrer le système pour essayer de le changer, pas pour enseigner. « Je voulais proposer un environnement de classe faisant l’effet d’une bombe pédagogique, explique-t-elle, trouver les bons outils permettant de révéler spontanément tout le potentiel des enfants et réussir à les diffuser auprès des enseignants. »

Céline Alvarez, interviewée par Patrick Cohen en août 2016. Vidéo : France Inter

Marie Desbrée, enseignante de l’agglomération d’Orléans, a commencé à introduire la pédagogie « en cachette » dans sa classe pour plusieurs raisons. D’abord, « parce que le financement d’une formation AMI et le matériel sont trop onéreux ». Au début, elle a beaucoup fabriqué de ses propres mains. « J’ai du matériel Montessori acheté au fur et à mesure. Je suis parvenue à obtenir le matériel nécessaire grâce à ma commune. »

Il existe un vrai effet de bouche-à-oreille autour de la méthode. Sur de nombreux forums et sur des groupes de partage sur les réseaux sociaux, des parents échangent leurs conseils et leurs astuces pour faire du Montessori à la maison. Le groupe « Partageons sur la pédagogie Montessori » compte près de 14 476 membres. Son utilité ? Chacun peut conseiller et parler de son expérience sur la pédagogie appliquée à la maison, à l’école ou en ateliers.

Des magasins de jouets reprennent la méthode

Par ailleurs, depuis deux ans, des magasins de jouets commercialisent du matériel Montessori pour répondre à l’intérêt croissant des parents. C’est le cas de Nature Découvertes et d’Oxybul qui proposent des coffrets de matériels à des prix nettement inférieurs au matériel Montessori classique (voir infographie). « Nous restons dans l’univers du jeu avec des produits accessibles en prix et en usage. Il ne s’agit pas de se substituer à l’école, mais de proposer un complément », précise Haby Fuzeau, chargée du développement produit chez Oxybul éveil et jeux.

Rue nationale à Tours, au fond de la boutique Nature & découvertes, dans l’espace enfants, une partie est entièrement consacrée à la pédagogie Montessori. Sur le mur, le ton est donné : « Grandir en confiance : collection d’inspiration Montessori par Nature & Découvertes ». Un panonceau et des flyers permettent d’apporter des informations sur les principes de base de la pédagogie.

Sur chaque boîte est indiqué l’intérêt de l’activité. Un mode d’emploi « Apprends-moi à faire seul » aiguille les parents dans la réalisation de l’activité. Les cloches musicales servent à affiner le sens auditif et à développer la concentration. Et la boîte à couleurs à développer la perception chez l’enfant. À côté de ces coffrets d’activités Montessori se trouvent de nombreux livres sur la pédagogie. Montessori à la maison devient possible avec ce guide qui propose près de 80 jeux pédagogiques à réaliser soi-même par exemple.

Montessori en un clic

Edoki. C’est le nom de la société créée par trois entrepreneures françaises qui proposent une trentaine d’applications payantes – allant de 0,99 euros à 4,99 euros – pour s’exercer à la méthode Montessori. Elles réalisent aujourd’hui 80 % de leur chiffre d’affaires à l’international, notamment sur le marché américain. Ancienne éducatrice Montessori pendant dix ans à Paris, Marilyne Maugin a décidé avec deux amies de transposer la pédagogie sur tablette. « Nous avons voulu démocratiser cette méthode d’éducation. Parce que malheureusement, maintenant, cette pédagogie est réservée à une certaine élite. En moyenne, ça coûte entre 5 000 et 7 000 euros par an. Avec mes amies, on s’est dit, ce n’est pas possible, il faut la rendre accessible », raconte-t-elle pour l’édition de Brest du journal Ouest-France. Elles sont sûres d’une chose : il reste encore beaucoup à inventer dans ce domaine.

Lire aussi : Edoki démocratise la méthode Montessori sur tablette, sur Lopinion.fr

Une chose est sûre : le label Montessori fait vendre. Et cette pédagogie alternative attire les parents qui cherchent à donner une éducation à leurs enfants hors des sentiers battus de l’Éducation nationale. Apprendre autrement aurait un prix. C’est pourquoi des tentatives de démocratisation émergent en France, afin qu’un plus grand nombre puisse y avoir accès.

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