A Beaune-la-Rolande,
voyage dans la France périphérique
Population vieillissante, logements parfois insalubres, disparition des petits commerces, montée de l’extrême droite… Au nord du Loiret, Beaune-la-Rolande partage les maux de nombreuses communes rurales de France.
« Il n’y a rien à faire ici ! » Il est 15 heures et les élèves de terminale de la filière forestière se retrouvent, entre deux cours, dans le foyer du lycée professionnel agricole de Beaune-la-Rolande, près des baby-foot. La plupart d’entre eux, internes, vivent ici depuis deux ou trois ans. Et leur vision de la bourgade n’est pas tendre.
Situé à l’entrée de la ville, dans la rue des Déportés, à l’emplacement même où fut construit un camp d’internement durant la Seconde Guerre mondiale (voir encadré), l’établissement de la petite commune du Loiret accueille 170 élèves de la quatrième à la terminale. Derrière le long portail noir et les murs beiges, les qualificatifs fusent : « C’est une ville de vieux », « petite », « perdue ».

Pour ces jeunes, les mercredis se suivent et se ressemblent. Pour tromper l’ennui « on va au kebab, au lavoir ou au Super U », énumère l’un des lycéens. « Parfois on utilise les équipements sportifs de la ville, pour faire une partie de basket… », ajoute un autre. La ville n’est pas très attractive lorsqu’on a 17 ans. Martin, lui, en a 18. Son arrivée à Beaune, il y a trois ans, a représenté « un grand changement. Je suis originaire d’Ile-de-France. Je viens de la ville », insiste-t-il fièrement.
« Les lycéens viennent de toute la France pour suivre nos formations. De Normandie, de Bourgogne, souligne la documentaliste, Anne Guillard, en poste depuis quinze ans. Mais le combat est constant pour maintenir le nombre d’élèves. »
Dans la salle des professeurs, même son de cloche. On s’amuse durant la pause à imaginer un été dans la campagne beaunoise. « Passer des grandes vacances à Beaune, ça doit être long ! » s’exclame Lucie Norest, enseignante de français et d’anglais. « Quand j’étais enfant, on disait que c’était la loose d’habiter à Beaune-la-Rolande », poursuit la jeune femme, originaire du département.
Manque d’attractivité, population vieillissante, précarité, accès difficile aux services de santé, dynamisme en berne… La petite bourgade de 2 124 âmes souffre de maux communs à de nombreuses villes rurales de France.
Une ville marquée par l’histoire
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« Vous avez vu le tableau de Frédéric Bazille à l’église ? » L’œuvre revient souvent dans les discussions lorsqu’il s’agit, pour les habitants, de parler de leur ville. La peinture, qui représente le mariage mystique de sainte Catherine, a fait le tour du monde. Mais que fait ce tableau de renommée mondiale au cœur du Loiret ? Le peintre, un impressionniste du XIXe siècle, a trouvé la mort ici lors de la guerre de 1870 contre les Prussiens.
Nous sommes le 20 novembre 1870, le 10e corps prussien gagne du terrain et remonte vers Paris. Le 28 novembre, le gouvernement français lève à la hâte une armée de conscrits pour contrer l’avancée ennemie. Les soldats, très jeunes pour la plupart, marchent sur Beaune-la-Rolande la peur au ventre : l’armée prussienne est une des plus puissantes de l’époque. C’est un massacre. L’armée de la République est balayée. Frédéric Bazille tombe sur le champs de bataille. Son père fait alors don à la commune du fameux tableau et d’un monument érigé à l’endroit exact de la mort.
Soixante-dix ans plus tard, la ville est à nouveau atteinte par la marche de l’histoire et par l’un de ses épisodes les plus sombres : la déportation des juifs. Au cours des années 1938-1939, un terrain est aménagé avec des sanitaires à la demande de Daladier, président du Conseil, en prévision de la guerre à venir, pour recevoir des prisonniers allemands. La défaite française en 1940 bouleverse cet objectif. Le camp est en effet réquisitionné par la Wermacht pour y parquer des prisonniers… français.
À partir de 1941, avec l’aide du gouvernement de Vichy, le camp et la gare de Beaune-la-Rolande sont utilisés comme zone de transit vers l’Allemagne. Les prisonniers français sont alors remplacés par des juifs étrangers de sexe masculin. En 1942, après la rafle du Vélodrome d’Hiver, on y voit arriver des familles entières pour de délester le camp de Drancy, alors saturé. Elles y resteront jusqu’à la décision d’Eichmann, haut fonctionnaire du IIIe Reich, de déporter également les enfants.
Il faudra attendre le 15 juillet 1943 pour la fermeture du camp, un an avant la libération de la commune le 21 août 1944.