Photojournalisme la crise d’identité

Anna Lefour

Photojournalisme la crise d’identité

Photojournalisme la crise d’identité

Anna Lefour
11 août 2016

Baisse des commandes, effondrement des taux de rémunérations, augmentation de la concurrence…, les photojournalistes sont les premiers touchés par la crise de la presse papier. Nombreux sont ceux qui ne peuvent plus vivre de la presse et qui s’engagent dans la photo dite « corporate » ou commerciale. S’ensuit un casse-tête : celui de leurs statuts.

« Aujourd’hui, plus aucun photojournaliste ne travaille exclusivement pour la presse. » Tel est le constat fait par Jean-François Leroy, fondateur de Visa pour l’image, le festival du photojournalisme. A Tours, se tiennent les Assises du journalisme 2016. Autour de lui, les autres intervenants à la conférence « Le photojournalisme peut-il se réinventer ? » – tous photojournalistes ou acteurs du monde des médias – hochent la tête en signe d’assentiment.

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Depuis une vingtaine d’années, la presse papier est en crise, crise accentuée par l’arrivée d’Internet. Aujourd’hui, les ventes sont en berne et les soutiens financiers s’amenuisent. Les éditeurs cherchent à rationaliser les coûts et la photographie est la première touchée. Les prix des photos ont baissé, les postes de photographe permanent se font rares et les commandes sont moins nombreuses. Pour alerter le public de la difficile situation des photojournalistes, la Société civile des auteurs multimédia (Scam) a publié fin 2015 une enquête dirigée par Béatrice de Mondenard et intitulée Photojournalisme : une profession sacrifiée. Dans ce rapport, photographes de presse, iconographes ou encore économistes spécialisés dans l’image constatent la paupérisation de la profession.

Des photojournalistes multitâches

Photo Alain Bachellier

Frédéric Stevens a débuté sa carrière en 1982. Il a connu l’âge d’or du photojournalisme qui a duré vingt ans, du début des années quatre-vingt à la fin des années quatre-vingt-dix. Durant cette période, les reporters-photographes pouvaient vivre uniquement de leur métier. Il a réalisé sa carrière à l’agence Sipa Press et a vu les conditions d’exercice de ce métiers se dégrader : « J’ai été victime d’un licenciement économique en 2011, témoigne-t-il. La descente a été assez violente, je n’ai pas eu le temps de m’y préparer. »

Les photojournalistes en CDI sont de plus en plus exclus des rédactions et des agences de presse. Leur nombre est passé de 721 en 2000 à 471 en 2014. Michel Diard, administrateur de la Scam et membre de la commission journalisme depuis 1991, considère que la situation est catastrophique : « Avant il y avait une réelle réflexion, une discussion entre rédacteur et photographe qui partaient ensemble sur un sujet. Maintenant, les rédactions travaillent avec des photographes freelances ou font faire les photos aux rédacteurs qui ne sont pas forcément qualifiés. »

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L’ancien patron de la CGT des journalistes évoque également une autre cause de la crise des photographes de presse : l’importance des archives de photos et les microstocks. Grâce au numérique et au Web, les rédactions ont en effet un accès facile aux banques d’images qui ont proliféré et qui sont souvent utilisées pour d’illustrer les articles. Une solution bien moins coûteuse que de faire appel aux compétences d’un photojournaliste professionnel. Sebastião Salgado, célèbre photoreporter, résumait récemment la situation sur France Inter : « Aujourd’hui, on ne fait plus de photographie, on est passé à l’image. »

Alors, pour joindre les deux bouts, tous les marchés sont bons : photographies dites « corporate » pour des ONG, pour des entreprises, pour des agences de communication et parfois photographie sociale… Ce que confirme l’étude de la Scam : sur un échantillon de 2 600 photographes, 84 % de ceux qui ont répondu déclarent être positionnés sur plusieurs segments de la photographie (agence de presse, édition, exposition, etc.). A cause de cette diversification, ils sont contraints de jongler entre plusieurs statuts et de nombreux modes de paiement, pas toujours conciliables entre eux ou avec leur statut de journaliste.

Des lourdeurs administratives

Photo Laure Colmant

Car un photographe de presse est avant tout un journaliste. Grâce à la loi Cressard (voir encadré ci-dessous) de 1974, le seul statut légalement admis pour un reporter photographe est celui de salarié. Il doit donc être rémunéré en feuille de salaire et ce même lorsqu’il travaille à la pige. Cela lui permet de bénéficier des mêmes avantages sociaux que les autres salariés, comme la cotisation à la retraite, le treizième mois ou les congés payés.

Pour tout travail hors du secteur de la presse, le paiement se fait en droits d’auteur. Ce mode de rémunération est dévolu à la photographie corporate,  de mode ou bien à l’édition. C’est l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa), chargée de la protection sociale des auteurs, qui assure cette fonction. Créé en 1978, cette association loi de 1901 assure la protection sociale des écrivains (dont notamment les illustrateurs du livre, les auteurs de bande dessinées, etc.)

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Cotisations à différentes caisses, précompte, sources de revenus multiples… la diversité des statuts des photoreporters engendre une grande complexité administrative. Il leur faut apprendre à gérer feuilles de piges et règlement en droits d’auteur, ce qui peut s’avérer compliquée. « Lorsqu’on est en freelance il faut savoir faire de la bonne photographie, mais aussi savoir se vendre, maîtriser ses différentes sources de revenus, entretenir son réseau, etc., témoigne le photojournaliste Simon Lambert. Ce ne sont pas toujours des choses que l’on apprend à l’école de photo. »

Simon est diplômé de l’EMI-CFD. Le parcours de formation au photojournalisme de L’école des métiers de l’information est réputé. Parmi les cours proposés : savoir appréhender et lire une image, maîtriser les logiciels photo ou gérer sa lumière… Mais rien sur la gestion. « Les étudiants ont des cours sur les statuts qui comprennent des notions comptables, explique Gilles Collignon, responsable de la filière photojournalisme-iconographie de l’école. Faire un cours exclusivement dédié à la comptabilité est assez compliqué car ce genre d’enseignement mérite d’être mis en pratique rapidement pour qu’il ne soit pas perdu. Et les stagiaires  n’entrent pas forcément tout de suite dans le circuit. » Aujourd’hui, seules quelques formations, parmi lesquelles le diplôme universitaire (DU) de photojournalisme de Perpignan, promettent des cours plus complets sur la communication et la gestion.

L’importance des collectifs

Cet enseignement fait donc défaut à de nombreux photojournalistes freelances, surtout à ceux qui débutent. « C’est un métier solitaire », admet Cyril Chigot, photojournaliste basé à Tours depuis 2000. Pour pallier cela, il est devenu membre de l’association Divergence images. Elle permet à ceux qui en sont membres de stocker leurs photos sur un site « vitrine » accessible aux éditeurs. Mais, à l’inverse des agences de presse qui prélève un pourcentage sur la rémunération des photographes à la vente d’un cliché, l’association leur verse l’intégralité de la rémunération en échange d’une cotisation mensuelle.

Nombreux sont ceux à former des collectifs de photographes de presse. Leur but est alors de s’épauler, de monter des projets communs mais aussi d’avoir plus de visibilité. Ils peuvent également travailler en binôme avec des rédacteurs et ainsi avoir plus de poids auprès des rédactions.

De l’abus côté éditeurs

CC0 Public Domain

En plus des problèmes de gestion, les photojournalistes doivent faire face aux titres de presse qui flirtent avec l’illégalité. Ceux-ci n’hésitent pas, en effet, à proposer de les rémunérer en droits d’auteur. C’est interdit mais avantageux : quand le statut de salarié implique des charges patronales de 46 %, la rémunération en droits d’auteur, elle, n’est chargée qu’à 1,1 %. « Les grands titres rémunèrent les photographes le plus souvent en feuille de salaire lorsqu’ils le souhaitent, explique Frédéric Stevens. Mais les plus petits, qui ont moins de moyens, insistent souvent pour payer en droits d’auteurs. » Et s’il refuse, le photographe n’est plus rappelé pour une commande.

Cette pratique, Michel Diard l’associe à du chantage permanent : le paiement en Agessa est en effet difficile à refuser, surtout pour ceux qui débutent ou « lorsqu’on a besoin d’argent », comme l’admet Cyril Chigot. Elle présente pourtant de nombreux désavantages, car elle ne couvre ni l’assurance chômage ni les accidents du travail et ne permet pas de cotiser pour la retraite.

Simon Lambert a commencé le photojournalisme en 2010. Basé à Paris, on ne lui a jamais forcé la main pour être payé en droit d’auteurs mais il connaît « des confrères à qui c’est arrivé ». Il ajoute : « Une fois, j’ai dû batailler pour être payé en pige car je n’avais pas encore ma carte de presse. J’ai montré une de mes feuilles de salaire pour prouver que d’autres m’avait payé de cette manière et c’est passé. »

Se lancer dans le photojournalisme en autoentreprise, c’est l’erreur absolue

Simon Lambert

Posséder la carte de presse devient alors un argument de poids lors des négociations. Mais à cause de ­l’augmentation des paiements en Agessa, les ­photojournalistes peinent à l’obtenir ou à la ­renouveler. En effet, elle n’est délivrée que si plus de 50 % des revenus proviennent de la presse. Avec la diversification des activités des photojournalistes et les paiements en Agessa de la part des rédactions, cette condition d’attribution est de plus en plus difficile à remplir. Le nombre de photojournalistes encartés est en baisse constante depuis 2008 : en 2014, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) a attribué 36 355 cartes dont seulement 1 222 à des photojournalistes (voir ci-dessous l’interview de Jean-François Leroy).

Pour contourner le problème des piges et des paiements en droits d’auteurs, certains ont trouvé une autre solution : le statut d’autoentrepreneur, normalement réservé aux photographes professionnels. « Se lancer dans le photojournalisme en autoentreprise, c’est l’erreur absolue, s’indigne Simon Lambert. Déjà, c’est illégal. Ensuite, on gagne moins, on est mal assurés. Et surtout, les tarifs que proposent les photographes autoentrepreneurs sont plus bas que la norme. Pour moi, ils contribuent à l’écroulement du marché. » Heureusement, ce statut concerne une minorité de photojournalistes. Il est généralement utilisé par des photographes dont la photo de presse n’est qu’une activité ponctuelle.

« Les photographes ne s’aident pas »

Bien qu’il cautionne toutes les solutions qui permettent aux photographes de s’en sortir, Michel Diard pense qu’ils doivent réinvestir les rédactions et n’avoir qu’un seul statut : celui de permanent. Pour lui, « les pigistes ont une sensation de liberté, mais le fait d’être externe aux rédactions et le travail « corporate » peut présenter un risque de perte des réflexes professionnels et de déontologie ». Cyril Chigot n’est pas du tout de cet avis. Pour lui, tout est « une question d’éthique personnelle ». Lui, par exemple, ne fait pas de photographie pour des partis politiques.

Le rapport de la Scam propose une solution à la multiplicité des statuts : la création d’un statut unique pour tous les photographes de presse. Mais cette idée reste pour l’instant utopique. Comment contenter ceux qui veulent à tout prix garder leur seul titre de journaliste et ceux qui préfèreraient pouvoir travailler librement dans tous les secteurs de la photographie ? « Il faudrait surtout commencer par agir contre la pression des éditeurs et être tous solidaires, commente Simon Lambert. Encore aujourd’hui les photographes ne s’aident pas. Il y a ceux qui cassent leurs prix et ceux qui acceptent d’être payés en Agessa, c’est aussi ça qui tue la profession. Nous devons nous accorder et être solidaires. » Un avis partagé par Cyril Chigot : « Il faut que nous trouvions ensemble des solutions qui prennent en compte les nouvelles formes de développement du photojournalisme, notamment sur le Web. »

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Aux assises du journalisme 2016 à Tours, lors de la conférence sur l’avenir du photojournalisme, Béatrice de Mondenard (micro) a longuement exposé le rapport de la Scam. De g. à dr. : Wilfrid Esteve, photographe et directeur du studio Hans Lucas ; Michel Diard (Scam) ; Molly Benn, chargée de la communauté francophone sur Instagram ; Jean-François Leroy, directeur de Visa pour l'image ; Francis Kohn, directeur de la photographie à l'AFP et Pierre Morel, photojournaliste.

Apolline Merle.EPJT

Si certains voient la diversité des statuts comme un signe de déclin de la profession, d’autres considèrent que cela fait partie de son évolution. La situation des photoreporters est difficile, certes, mais la photo reste un atout de l’information et elle est considérée comme tel par le grand public. De nombreuses initiatives rencontrent des succès qui ne sont pas que d’estime.

Ainsi, Visa pour l’image, créé en 1989 par Jean-François Leroy, a reçu plus de 280 000 visiteurs en 2015. Lancé en 2014, le collectif Dysturb expose des photos de presse dans l’espace public avec succès. Le concept a en effet séduit le grand public et le collectif organise aujourd’hui des interventions dans les écoles et les universités. La presse papier n’a pas dit son dernier mot. La revue biannuelle 6 Mois, créée en 2011, a trouvé son public avec un tirage à 27 000 exemplaires. Polka, créé en 2007, se porte bien lui aussi avec 50 000 tirages mensuels. Sur le Web, le tout jeune site Les Jours fait aussi parler de lui. Lancé le 9 février 2016, ce pure player accorde une large place aux photos. De quoi encourager les photojournalistes qui, faute de pouvoir retrouver l’ « âge d’or », doivent inventer un nouveau modèle économique.

A lire aussi

Photojournalistes : constat et propositions. Rapport Ithaque du ministère de la Culture et de la Communication, Claude Vauclare et Rémi Debeauvais, 2010.
Etre photojournaliste aujourd’hui: Se former, produire et diffuser son travail, Fabiène Gay et Jacob Vial, janvier 2016, éditions Eyrolles.

Photo d’ouverture : Anna Lefour/EPJT

“Il faut réformer l'attribution de la carte de presse”

Photo Laure Colmant

Depuis 2008, le nombre de photographes de presse titulaire de la carte d’identité des journalistes professionnels, ou carte de presse, est en constante diminution. Sur plus de 36 355 cartes délivrées en 2014, 1222 seulement leur ont été attribué. Elle est pourtant un outil de travail indispensable surtout lorsqu’on évolue à l’étranger et, a fortiori, en territoire de guerre. Rencontre avec Jean-François Leroy, fondateur du festival du photojournalisme « Visa pour l’image »

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Photo Cécile Mella

Vous étiez intervenant lors de la conférence « Le photojournalisme peut-il se réinventer » aux Assises du journalisme à Tours. ­Êtes-vous d’accord avec le constat de l’enquête de la Scam, Photojournalisme : profession sacrifiée, discuté ce jour-là ?

Jean-François Leroy. Je le trouve très pessimiste, même s’il a des raisons de l’être car la situation des photojournalistes est difficile. Il y a quand même eu de belles choses cette année sur le plan de la photographie de presse, mais pas de réelles solutions, c’est vrai.

Pour vous, quelles sont les raisons de la baisse du nombre de carte de presse aux photojournalistes ?

J.-F. L. Comme c’est la crise, la photographie est en première ligne pour les réductions de budget dans les médias. Du coup, les photographes de presse font de tout et vendent à droite à gauche, plus seulement à des organismes ayant un numéro de commission paritaire (numéro qui permet aux entreprises de presse et aux agences de bénéficier du régime économique de la presse, NDLR). Or, pour avoir la carte, il faut que plus de 50 % des revenus proviennent de la presse.

Connaissez-vous des photographes de presse qui ont perdu leur carte car ils ne remplissaient pas cette condition ?

J.-F. L. Bien sûr, plein. Il me faudrait quatre heures pour faire la liste complète. Mais prenons un cas au hasard, le mien. J’ai perdu ma carte de presse le jour où j’ai fondé le festival Visa pour l’image (en 1989, NDLR) car cela n’entre pas dans les critères d’attribution même si c’est en relation avec la presse. Et « Le Grand incendie », un superbe reportage du photographe Samuel Bollendorff, n’entre pas dans la catégorie « presse » car c’est un webdocumentaire et qu’il a été financé par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée, NDLR). C’est n’importe quoi.

Quand je vois les critères d’attribution de la carte, j’ai envie de dire « Eh oh ! il faut se réveiller »

Les critères d’obtention de la carte de presse seraient donc dépassés, en tout cas pour les photographes de presse ?

J.-F. L. Ils n’ont pas changé depuis cinquante ans. Depuis, il y a eu Internet avec Facebook, les ­webdocumentaires, Twitter, les blogs et j’en passe. Quand je vois les critères d’attribution j’ai envie de dire « Eh oh ! il faut se réveiller. » Ça fait des années que je me bats pour que que la CCIJP évolue et prenne en compte les évolutions du marché. Un exemple avec le site d’information Médiapart qui se voit réclamer plus de 4 millions d’euros parce qu’il a déclaré être un organisme de presse et qu’il n’est pas considéré comme tel. Je trouve ça scandaleux. Tout le monde se refile la patate chaude. La presse et la photographies relèvent du ministère de la Culture et de la Communication. Vous appelez ce ministère, il vous dira d’appeler celui de l’Intérieur, où on vous dira de contacter les affaires sociales… On n’en finit jamais.

Des photographes galèrent en terrains dangereux car on ne leur a pas donné leur carte de presse

Quelles sont les conséquences de la perte de carte de presse pour les photographes ?

J.-F. L. Quand j’étais à la conférence des Assises du journalisme à Tours, on a parlé de la carte et j’ai poussé un coup de gueule. Quelqu’un a dit : « On peut entrer dans les musées grâce à la carte. » Mais on n’en a rien à foutre d’entrer dans les musées. Il y a des photographes qui galèrent en terrain dangereux, qui ne peuvent pas recevoir d’accréditation de la part des ambassades françaises parce qu’on ne leur a pas donné leur carte. Mais ils doivent continuer d’exercer pour vivre et ils sont privés d’un outil précieux pour leur sécurité.

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La Commission de la carte affirme que les dossiers des journalistes en territoire de guerre sont traités en urgences.

J.-F. L. Ce sont des conneries. Ils disent ça mais ça n’a dû arriver qu’à de rares occasions. Même si c’était le cas, ce genre de solution c’est de la rustine et ça ne règle en rien le fond du problème. Aujourd’hui, on fait des commissions sur tout et sur rien. Je voudrais que l’Europe, qui s’occupe si bien de mesurer la courbure des bananes et le diamètre des concombres, détermine les conditions d’attribution de la carte de presse à un niveau européen. Il faut vraiment tout réformer.

Pierre Morel, l’engagé

Manifestation altermondialiste contre le G8 en Allemagne (2007). Pierre Morel n'avait que 19 ans quand il a réalisé ce reportage. Photo : Pierre Morel

Pierre Morel est photojournaliste freelance. À 28 ans, il vend ses clichés à de grands titres de presse comme Paris Match ou Libération. Engagé et optimiste, il a publié le 12 avril un article dans lequel il donne sa vision de la profession.

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Pierre Morel dans son bureau du 20e arrondissement de Paris. Il partage les locaux avec un collectif de journalistes freelances, mais pas de photojournalistes.

Anna Lefour/EPJT

« Je suis une petite souris. Quand je suis en reportage, j’ai l’art de me faire oublier », explique Pierre Morel en souriant. Et de raconter une de ses petites victoires : il a photographié Barack Obama lors de la COP21. Il avait toujours voulu l’avoir dans son viseur. « Je n’étais pas accrédité pour entrer dans l’espace où se trouvait le président des États-Unis. Je me suis dis­crètement mêlé à une délégation mexicaine qui entrait. Les vigiles n’ont pas contrôlé mon badge et, une fois dans la salle, je me suis fait tout petit. »

Yeux marron, che­veux châtains, de taille moyenne et habillé sans ostentation, Pierre Morel a la physionomie de celui qui ne veut pas se faire remarquer. Un plus lorsqu’on est photographe. Pourtant, quelques recherches sur le photojournalisme actuel et il vous sera impossible de ne pas tomber sur son nom.

Car, malgré son apparente discré­tion, Pierre Morel n’est pas avare de paroles lorsqu’il s’agit de défendre sa profession. Le 12 avril dernier il publiait sur le site Medium un article intitulé « Devenir photojournaliste » et dans lequel il espérait que « les aspirants à cette profession trouve­ront des clés pour devenir photo­journaliste et vivre décemment de ce métier ». Il partageait tous les éléments de la réussite d’après son expérience. Une initiative qui n’étonne pas son amie Elodie Sueur, également photographe, qu’il a aidée à prépa­rer les concours de l’EMI : « C’est quelqu’un de très ouvert sur les autres, il est beaucoup dans la transmission, décrit-elle. Pour son âge il a une grande conscience de la situation dans le métier et il veut faire bouger les choses. »

Le jeune photographe est freelance depuis 2008. S’il fait de la photo pour des entre­prises, des ONG et parfois pour des particuliers, il est avant tout pho­tojournaliste. On peut notamment voir ses clichés dans Paris Match, La Croix ou encore Grazia. Il vit de sa profession depuis environ quatre ans. Ses revenus varient de 1 500 à 2 500 euros par mois. De quoi tordre le cou aux discours pessimistes sur le photojournalisme actuel, qui ne l’ont cependant pas empêché de se lancer dans ce qu’il appelle un « métier passion ».

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En 2012, Pierre Morel est en Serbie. Il immortalise Boris Tadic alors qu’il insère son bulletin dans l'urne dans un bureau de vote du centre-ville de Belgrade.

Pierre Morel

Car la photographie, c’est avant tout sa passion. En 2007, il rate sa pre­mière année de licence de Science de la vie et de la terre à Grenoble parce qu’il passe le plus clair de son temps à photographier. Il décide alors de parti­ciper à la bourse Tremplin Photo. Aujourd’hui disparue, elle permettait au lauréat de suivre la formation de photojournalisme à l’EMI-CFD (Ecole des métiers de l’information), de bénéficier de 15 000 euros de maté­riel photo professionnel et d’exposer à la Maison des photographes, entre autres.

Pierre Morel remporte le prix avec un sujet sur le G8 de 2007 à Rostock : « Grâce à cela, je suis entré dans le milieu par la grande porte », reconnaît-il. A 20 ans seulement, le voilà photographe de presse. Il accepte tout genre de contrats et exerce sans que les revenus ne soient sa priorité. Il y a quatre ans, de retour en France après avoir vécu en Serbie, il fait le tour des rédactions. « Je suis allé voir plein de journaux et j’ai élargi mon cercle de connaissance petit à petit », explique-t-il.

Premier G8 à 15 ans

L’envie de devenir photojourna­liste lui est venue naturellement. Sa mère, Marie Morel, est peintre. Il grandit donc dans un atelier et veut, lui aussi, trouver un moyen de s’exprimer. Son père, Jean-Ma­rie Vaulot, achète régulièrement Le Monde que Pierre adore lire. A seulement 10 ans, il crée lui-même un petit journal qu’il vend aux membres de sa famille et aux habitants de son village. « Il a été engagé politiquement très tôt, se souvient son père. Petit, il faisait partie d’une sorte de syndicat, la Souris Verte. Et en 2003, nous l’avons emmené à son premier G8 à Evian. » Près de quinze ans après, Pierre Morel n’a rien perdu de sa fibre militante. Il l’exprime maintenant à travers la photogra­phie. Il écrit d’ailleurs sur son site internet : « Je considère la photogra­phie comme un moyen d’engage­ment et d’activisme

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« Je photographie depuis 2005 ma mère, Marie Morel, artiste peintre. Je photographie épisodiquement, au fil des retrouvailles et des moments partagés. (…) Ce travail personnel est toujours en cours. Il devrait faire l'objet d'un livre. »

Pierre Morel

Tantôt cité dans un article, tantôt auteur, il va contre les discours pes­simistes et les éternels « c’était mieux avant » et autres « la photo de presse est morte ». Pour lui, le photojournalisme n’est pas destiné à disparaître. Le monde évolue, une nouvelle génération arrive et le modèle actuel ne fonc­tionne plus : « On entend toujours plus ceux qui se plaignent que ceux pour qui tout va bien, alors que beaucoup d’entre nous s’en sortent et trouvent des solutions. Eux aussi devraient parler et s’engager plus pour tirer la profession vers le haut, s’agace-t-il avant d’ajouter. Je fais du corporate mais j’ai tout de même ma carte de presse. On peut donc trouver un équilibre. »

Pour lui, il est possible de percer à condition de faire la différence. Il faut savoir trouver des sujets origi­naux, inédits : « Le marché est satu­ré. Quand les rédactions reçoivent toujours les mêmes travaux, sur les migrants par exemple, avec toujours le même angle, c’est normal que ça ne fonctionne pas », déplore-t-il.

Pour moi, la règle d’or est d’être curieux du monde et avoir de l’intérêt pour les autres

Il n’aime pas l’image romantique de la profession, souvent source de désillusion pour les plus jeunes. « Un photojournaliste n’est pas un baroudeur sans attaches, avec une barbe de trois jours, qui part pho­tographier le monde avec un sac à dos et un appareil autour du cou. On fait beaucoup de choses plus terre à terre. » Son quotidien à lui est en effet bien loin de cette réputa­tion. Il partage son temps entre son bu­reau du 20e arrondissement de Paris, ses reportages et son domicile. Il s’est formé sur le tas au statut d’indépendant, en lisant des articles et des livres sur le sujet.

A présent, c’est lui qui partage son expérience : « Pour moi, la règle d’or est d’être curieux du monde et avoir de l’intérêt pour les autres. De là vient tout le reste. »

Aujourd’hui, Pierre Morel a d’autres projets, notamment l’écri­ture : « C’est rare de photographier et écrire très bien à la fois, mais c’est une compétence qu’il a tou­jours su manier », rappelle son père. Discrètement mais sûrement, la « petite souris » fait son trou.