Les oubliés

du logement social

Cindy espère que son bailleur social interviendra pour régler ses problèmes d’isolation et d’humidité.

La Fondation Abbé Pierre a publié le 31 janvier son rapport annuel sur le mal-logement en France. Il pointe l’insuffisance du nombre de logements sociaux mais aussi la nécessité de faire des rénovations. Nous avons été enquêter en milieu rural et dans les petites villes. Le constat est alarmant : humidité, mauvaise isolation, lenteur des travaux… Des problèmes que l’isolement et l’éloignement rendent difficiles à régler.

Par Sophie Jeanneteau, Roméo Marmin et Léo Segura
Photos : Roméo Marmin/EPJT

J’ai toujours vécu dans des logements sociaux. En ville, je n’ai jamais eu de problèmes. Ça fait sept ans que je suis ici et je n’ai qu’une envie : partir. » Fanny Chesnot-Mauduit et sa famille habitent à Château-Renault, une petite ville d’Indre-et-Loire de 4 920 habitants. Ils vivent dans un HLM du quartier de la gare, que Fanny considère comme « le coin le plus délaissé de la commune »

Selon la définition donnée par le site du gouvernement, un logement social ou un HLM est un logement construit avec l’aide de l’État et qui est soumis à des règles de construction, de gestion et d’attributions précises. Les loyers sont réglementés, l’accès au logement conditionné à des ressources maximales.

Fanny Chesnot-Mauduit fait partie des 10 millions de locataires de logements sociaux en France. Mais elle fait partie de ceux qui, isolés, souffrent de cette situation. La moisissure envahit les murs de sa chambre où son bébé dort également. Il y a pourtant quatre couches de tapisserie sur chaque mur et dans toutes les pièces. «Nous avons beau repeindre par-dessus, tous les deux ans, la moisissure revient. Nous avons sollicité le bailleur social, Touraine Logement, à plusieurs reprises. Mais ça ne change rien. »

Quelques étages plus haut, Bruno Pichot, 64 ans, a vu le parc immobilier se construire. Pour lui aussi, « la situation n’arrête pas de se dégrader ».

Michelle Davidas loue un logement Val Touraine Habitat (VTH) à Chouzé-sur-Loire. Chez elle, le problème du froid s’ajoute à celui de l’humidité. «Mon thermostat est à 20 °C mais mon thermomètre indique 17 voire 13 le matin. Non seulement c’est cher mais en plus on a froid. Je ne dis pas que VTH est pire que les autres bailleurs sociaux. Mais au niveau de l’isolation, il faudrait faire quelque chose», se désole-t-elle.

Infographie : Roméo Marmin/EPJT

Le cas de ces trois locataires est loin d’être isolé. En France, 6,1 % des logements sociaux se situent dans une ville de moins de 5 000 habitants (Insee, 2018). En 2012, un rapport sénatorial pointait déjà les problèmes liés aux spécificités du HLM rural. Il déploraitun parc de logement plus vétuste et plus inconfortable que celui du milieu urbain. « Dix ans après sa publication, ça ne s’est pas vraiment amélioré, soupire Jérôme Bignon, ancien sénateur et co-auteur du rapport. Comment peut-on encore laisser des gens dans cette situation ? »

Ceux qui vivent dans ces HLM sont confrontés à un cumul de problèmes : le mauvais état de leur logement mais aussi les inconvénients de la vie loin des grandes villes.

Bruno Pichot occupe avec ses deux chats un appartement au dernier étage de son immeuble. Derrière son air goguenard se cache une situation compliquée. Il n’allume plus le chauffage depuis l’augmentation du prix de l’énergie, l’année précédente. « Les gens ont froid et le montant des factures explose », constate-t-il. 

La Fondation Abbé-Pierre a initié plusieurs études sur les liens entre précarité énergétique et santé. Le constat est préoccupant : « Dans les logements des personnes exposées à la précarité énergétique, les salles de bains sont moins souvent équipées de bouches de ventilation et, quand celles-ci existent, elles sont plus souvent obstruées. Les fenêtres sont moins souvent équipées de double vitrage. Les traces d’humidité ou les moisissures sur les murs sont également plus fréquentes. » 

Les enfants sont particulièrement exposés aux problèmes de santé liés à l’insalubrité.

Cindy élève seule ses quatre enfants dans un appartement de Val Touraine Habitat (VTH) à Bourgueil, en Indre-et-Loire. Tous avaient de l’asthme avant même leur entrée dans ce logement. Mais leur état ne s’est pas amélioré. L’une de ses filles dort dans une chambre humide pleine de moisissure, une situation qui préoccupe la mère de famille. 

Vivre dans un logement touché par des problèmes d’isolation et d’insalubrité peut impacter la santé des locataires. Lorsque les moisissures se développent de façon importante, elles dispersent dans l’air ambiant des particules qui peuvent être inhalées. Celles-ci sont susceptibles d’entraîner toux, allergies, asthme, maladies respiratoires et même infections pulmonaires.

Les nourrissons et les personnes âgées sont particulièrement à risques. De plus, les enfants exposés à des moisissures présentent un risque accru de développer de l’asthme ou de souffrir d’une aggravation des symptômes. C’est le cas des enfants de Cindy.

Éric Bédoyan, directeur de la communication de VTH, explique que des locataires font sécher leur linge dans leur salon, faute de place. Cela augmente l’humidité et favorise l’apparition de moisissures. Ces problèmes seraient donc liés, selon lui, à une mauvaise utilisation des logements. Mais faire sécher son linge dans un logement ne provoque pas de moisissure si celui-ci est correctement construit. Ici, les immeubles ont été isolés par l’extérieur, sans VMC, ce qui empêche une bonne aération. S’ils étaient plus grands ou mieux construits, les problèmes de moisissure seraient moins nombreux.

Infographie : Léo Segura/EPJT

Face à cette situation, de nombreux habitants évoquent une impuissance et une lassitude : manque de temps, d’argent et de motivation… Entamer une procédure contre son bailleur social requiert du courage et de la patience. « C’est difficile de les faire venir ici. Mais même quand ils viennent, c’est juste pour prendre des photos. Après, je suis sans nouvelles », confie Elise Poupeau, le regard fixé sur le papier peint partiellement décollé de la chambre de sa fille. Cette habitante de Chouzé-sur-Loire, ville de 2 000 habitants, vit depuis sept ans dans un lotissement situé à quelques mètres des champs. 

Bruno Pichot résume le sentiment de nombreux locataires : « J’ai l’impression qu’ils s’en foutent, j’essaye d’être patient. » 

Ce manque de considération se superpose souvent à une souffrance psychologique, inhérente à la vie dans un logement insalubre. Fatigue mentale, anxiété, honte, voire isolement social, ces maux sont peu visibles mais n’en gardent pas moins leur importance.

« Javais limpression dêtre couverte de cafards »

Depuis qu’elle a emménagé à Château-Renault, Fanny Chesnot-Mauduit a vu sa santé psychologique se détériorer. Des soirs durant, elle et sa voisine de palier se sont retrouvées pour empêcher les cafards de rentrer chez elles. « La nuit, quand je fermais les yeux, j’avais l’impression d’être couverte de cafards. Je dormais deux heures, j’étais sous antidépresseurs », confie-t-elle aujourd’hui, son bébé dans les bras. La situation a depuis été réglée. Mais la fatigue est toujours là.

D’après une étude de 2013 lancée par la Fondation Abbé-Pierre, « parmi les pathologies chroniques étudiées, une seule apparaît plus fréquente chez les adultes exposés à la précarité énergétique : il s’agit de l’anxiété et de la dépression. » 

Au-delà des conséquences sur la vie sociale des locataires, ces maux peuvent entraîner d’autres problèmes de santé. À court terme, de la fatigue, des vertiges ou encore des douleurs musculaires peuvent se manifester. Mais sur un temps plus long, des pathologies plus graves sont susceptibles d’apparaître, comme des insomnies, des ulcères voire même des difficultés cardiaques.

Infographie : Sophie Jeanneteau/EPJT

Pour comprendre la situation des locataires rencontrés, il faut s’intéresser aux origines des logements sociaux.

Historiquement, ces derniers sont destinés aux travailleurs et s’établissent en grande majorité dans des unités urbaines de plus de 20 000 habitants. La présence de ce type d’habitation en zone isolée ou peu peuplée constitue alors une exception.

Les bailleurs sociaux sont peu enclins à prendre en compte les spécificités d’un tel cadre géographique. Ils uniformisent leur traitement et prennent comme étalon le logement urbain. Délaissés, ces parcs ruraux sont moins attractifs et moins dynamiques. On y trouve surtout du logement en location-accession, peu adapté aux jeunes actifs qui souhaitent s’installer temporairement.

« On ne peut pas dire que le gouvernement arrivé au pouvoir en 2017 soit favorable au logement social », commente Pascal Longein, président de l’Opac 36, un bailleur social de l’Indre. Il en veut pour preuve l’instauration de la réduction de loyer de solidarité (RLS), une mesure qui contraint les bailleurs sociaux à financer une partie des APL.

Dans un référé publié le 4 mars 2021, la Cour des comptes s’inquiète de la baisse des dépenses d’entretien, en diminution de 7 % depuis l’instauration de la RLS. Elle considère néanmoins que cette dernière ne peut être considérée comme la seule raison de cette diminution.

Quand survient un problème, les locataires se tournent naturellement vers leur bailleur social. En général, leurs plaintes sont entendues et leur situation réglée. Mais il arrive que les signalements n’aboutissent à aucune solution convenable : rejet de la responsabilité sur les habitants, travaux superficiels ou tout simplement absence de réponse. Interrogés, la plupart des locataires mentionnent des travaux « cache-misère ».

Infographie : Sophie Jeanneteau/EPJT

Bruno Pichot est fatigué de solliciter son bailleur pour des réparations. « Les travaux sont faits à la va-vite, un simple coup de peinture sur mon radiateur ou une réparation du tuyau au ruban adhésif pour mes toilettes », regrette-t-il. Nathalie Bertin, directrice générale de Touraine Logement, réfute l’idée selon laquelle certains prestataires bâcleraient leurs travaux. « Nos techniciens prennent en compte les spécificités de chaque logement : son ancienneté, les matériaux utilisés, sa potentielle vétusté. »

Lionel Lavergne, président d’une association départementale dans les Hautes-Pyrénées, défend les intérêts des locataires. Il observe que pour les logements éloignés du centre urbain, il y a un temps de latence par rapport à la ville. Certains prestataires rechignent à intervenir car le coût de déplacement est plus important.

Eric Bédoyan préfère, lui, relativiser. « Les gens le perçoivent comme cela mais on investit surtout sur les économies d’énergie et sur l’embellissement des logements ou des extérieurs. Après, on peut regretter, dire qu’il faut faire plus… Mais quel bailleur privé fait autant ? Je n’en connais pas. »

Infographie : Roméo Marmin/EPJT

Devant l’immobilisme, certains locataires décident de mutualiser leurs réclamations. En 2016, le groupe FacebookLocataires Val Touraine Habitat extrêmement très en colère voit le jour. Il compte aujourd’hui près de 250 membres qui exposent régulièrement les difficultés rencontrées avec leur logement. 

Patricia, administratrice du groupe, estime que dans le département, « tout le monde est concerné. Beaucoup de gens ont des problèmes mais peu engagent des procédures ». La créatrice de cette communauté virtuelle s’en sort mieux. Il y a trois ans, après un passage dans l’émission de Julien Courbet « Ça peut vous arriver » sur RTL, Val Touraine Habitat (VTH) a presque totalement refait son appartement. « C’était mon dernier recours », ajoute-t-elle. 

Une stratégie originale mais qui illustre la détresse dans laquelle certains locataires peuvent se retrouver. Pour le directeur de la communication de VTH, pas de lien entre cette émission et la rénovation. « Les démarches étaient déjà amorcées. »

Un parc immobilier laissé à l’abandon

La mise en commun des plaintes peut aussi prendre une forme plus concrète. Les habitants de la cité des Pelouses, à Chouzé-sur-Loire, estiment que leur parc immobilier est laissé à l’abandon par VTH. Ils lancent une pétition en 2018. Le maire de la commune et un représentant de l’OPH se rendent alors sur le site pour recueillir les griefs des occupants et leur proposer des solutions. « C’est suite à cela qu’il y a eu le changement de fenêtres. Ils nous ont dit qu’en 2022-2023 tous les travaux seraient finis, mais c’est loin d’être le cas », constate Elise Poupeau, l’une des signataires de la pétition.

Plusieurs recours existent mais les personnes interrogées pensent, souvent à tort, que la seule solution est de passer par leur bailleur. À ce manque de connaissance des recours s’ajoute parfois une crainte. Celle de se lancer dans une démarche qui serait plus nuisible que salvatrice. Pour certains locataires, en grande précarité, la peur de se retrouver sans rien prend le dessus sur la légitimité du combat. 

L’État continue d’investir dans le logement social. Chaque année, de nouveaux projets sont mis en œuvre pour améliorer le parc français.  D’après le rapport 2024 de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France, 378 000 logements ont été autorisés entre novembre 2022 et novembre 2023 tandis que 133 000 ont été réhabilités en 2022. L’État souhaite renforcer les contraintes des bailleurs en interdisant, depuis le 1er janvier 2023, la location de passoires thermiques.

Les logements qui ne respectent pas les normes sont donc considérés comme non décents au sens de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989. Le locataire peut demander une baisse de loyer, le bailleur peut être condamné à réaliser des travaux. Toutefois, des personnes vivent dans des logements sociaux à la limite de l’insalubrité sans que des travaux ne soient engagés, malgré leurs relances.

Il faut toutefois souligner que les bailleurs sociaux ne sont pas responsables de tous les problèmes. Un organisme de logement social ne peut pas apporter des réponses à l’éloignement du service public. Les professionnels du logement social ne se sentent pas

Chez Fanny Chesnot-Mauduit, la moisissure s’infiltre même sous le papier peint.

soutenus par l’État. En effet, la réforme de la RLS n’est pas sans conséquences.

Les bailleurs sociaux ont moins de recettes et peuvent moins investir. « Au niveau d’un établissement comme l’Opac 36, c’est un peu plus de 2 millions d’euros de pertes, soit 4 % du chiffre d’affaires, précise Pascal Longein. Il faut qu’on se réinvente. Je crois qu’il faut qu’on travaille sur un modèle économique qui nous permette non pas d’être complètement autonomes mais de l’être partiellement. Il ne faut pas attendre que l’État vienne renflouer les bailleurs. Nous sommes soutenus comme la corde soutient le pendu. »

Cette absence de soutien est d’autant plus problématique que le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre alerte sur la nécessité d’investir davantage dans le parc social. La situation des logements sociaux des petites villes, déjà fragilisés, est préoccupante lorsque 2,4 millions de ménages étaient dans l’attente d’un logement en 2022.

Léo Segura

@leosegura_j
23 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passé par Ouest France et France Inter.
Adore la politique, l’investigation et les coccinelles.
Souhaite être journalisme web vidéo ou travailler pour la télévision.

Sophie Jeanneteau

@Reformed_Fisso
23 ans
Étudiante en journalisme à l’EPJT.
Passée par Le Type, Akki, Sud-Ouest, Charente Libre et Télérama.
Passionnée par la mode, le rap et l’actualité sociétale.
Se destine à la presse magazine, féminine ou culturelle.

Roméo Marmin

@RomeoMarmin
22 ans
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passé par Phosphore, La Nouvelle République et TV Tours.
Passionné par le crime organisé et par la gastronomie.
Souhaite devenir journaliste reporter d’images.