Pages internationales en PQR

Tenir la distance
Des actualités internationales se glissent dans les journaux de presse quotidienne régionale. Mais selon les quotidiens, elles ne sont pas logées à la même enseigne. Photo : Marie Désévédavy/EPJT

De quelques pages à la une, l’actualité internationale existe de manière irrégulière selon les journaux de presse quotidienne régionale. Si les moyens humains et financiers régissent ces divergences, l’importance donnée à l’international est aussi une question de volonté. 

Par Marie Désévédavy

I  rak – Plus de 80 morts dans l’incendie d’un hôpital », « Italie – un nouveau plan de relance »…, c’est seulement en page 32 de La Nouvelle République que sont publiés ces titres. Quotidiennement, les nouvelles internationales sont reléguées à la fin du journal, après les résultats sportifs. Elles sont réunies avec l’actualité nationale sous le bandeau « France & Monde », sur trois à quatre pages. 

À l’inverse, Ouest-France casse les codes du journalisme de proximité et n’hésite pas à réaliser ses unes sur l’étranger. Journal francophone le plus lu au monde, il s’ouvre sur deux à trois pages d’actualité internationale, sous les bandeaux « Monde », « Monde/Europe » ou « Monde/France ».

« Nous ne pouvons pas comprendre la vie locale si nous ne comprenons pas la vie du monde. Tout est lié », martèle François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef de Ouest-France. C’est pourquoi, lors de sa prise de poste en 2015, il décide de créer un service dédié à l’actualité internationale. Six personnes composent cette rédaction basée à Chantepie (Ille-et-Vilaine). 

Les dépêches d’agence comme matière première

Pour raconter l’actualité internationale, il est coutume de penser que les journalistes de presse quotidienne régionale (PQR) s’appuient sur les productions d’agences de presse. Maria Holubowizc, enseignante-chercheuse à l’université de Grenoble Alpes, le souligne. Et pour elle, c’est le signe d’un désintérêt pour cette thématique : « L’international n’appartient pas au cœur du métier de la PQR, donc il est traité en conséquence. » C’est-à-dire en portion congrue.

Exemple d’une reprise de dépêche AFP par les titres de PQR
Les dépêches sont reprises, rarement modifiées, par les différents journaux puis publiées sur leur site web. Car ce qui prime, c’est la rapidité. À Ouest-France, le processus est un peu différent. Alexandra Turcat, responsable du service monde, précise : « L’appui des dépêches est essentiellement web car il faut être présent sur le “temps 1”. » Par contre, les journalistes, qui travaillent comme elle pour le papier, s’en servent avant tout comme matière première ou pour les brèves : « Ce que nous allons mettre en “temps 2 ou 3”, c’est le travail des journalistes du service et de nos correspondants. »

Même fonctionnement à La Nouvelle République. Olivier Pirot, responsable adjoint au service des informations générales (IG) à Tours (Indre-et-Loire), s’occupe des contenus pour le journal. Il reconnaît que les dépêches de lAgence France-Presse (AFP) sont reprises par tous les sites d’informations de la même manière. Et que l’intérêt de cette méthode de travail, pour le lecteur, est faible. Alors, pour le print (le journal imprimé), « nous cherchons des experts et nous faisons du décryptage pour le quotidien ».

« Nous ne voulons pas livrer que de l’actualité brute »

Olivier Pirot

Ni l’AFP ni les journaux ne disposent de données relatives au nombre de dépêches reprises. Brigitte Gaborit, secrétaire à la direction de la rédaction de l’agence, précise toutefois qu’il « est clair que la PQR reprend davantage d’informations françaises que venant de l’étranger ».

C’est donc par le décryptage que La Nouvelle République choisit de traiter l’actualité internationale : « Nous ne voulons pas livrer que de l’actualité brute. Nous prenons du recul pour apporter du temps long. Par exemple, lors des tensions entre la Turquie et la Grèce, nous avons cherché une personne qui travaillait dans la prospection minière pour expliquer l’histoire des zones économiques exclusives (ZEE) », reprend Olivier Pirot. 

Aux Dernières Nouvelles dAlsace (DNA), les nouvelles internationales sont rédigées depuis un bureau parisien. « Avec la création du groupe Ebra, un bureau d’informations générales (BIG) a été fondé. Près de 40 personnes composent cette rédaction », explique Frédéric Vézard, rédacteur en chef du journal alsacien. Comme à La Nouvelle République, ces journalistes produisent l’intégralité des articles de l’actualité nationale et internationale. Mais eux écrivent pour l’ensemble des titres du groupe.

Les journalistes des services International réalisent aussi un travail de veille ou de curation. Cela passe par le suivi de l’actualité sur les réseaux sociaux et par la lecture de la presse étrangère. « Le matin, notre premier boulot est d’aller voir ce qui fait l’actualité dans le New York Times ou dans El País. Nous évitons de tous lire les mêmes titres », explique Bruno Ripoche, spécialiste des Amériques pour Ouest-France. À cet égard, la chercheuse Marie Holubowizc regrette qu’avec cette organisation « l’international équivaut à faire du journalisme assis ». Certes. Mais pas que.

« Les correspondants sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain »

Bruno Ripoche

Car pour éviter une uniformisation des contenus liés à la reprise de dépêches AFP, certains quotidiens ont recours à des correspondants basés à l’étranger. À l’image du groupe Ebra (L’Alsace, Le Bien public, Le Dauphiné libéré, Les Dernières nouvelles d’Alsace, L’Est républicain, Le journal de Saône-et-Loire, Le Progrès, Le Républicain lorrain, Vosges matin) qui dispose d’une dizaine de pigistes hors Hexagone.

De même Ouest-France peut compter sur sa cinquantaine de correspondants répartis aux quatre coins du monde. « Ils sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain. Ils participent au travail de veille, ils nous alertent, ils nous font des propositions de sujets que nous discutons ensuite entre nous », rapporte Bruno Ripoche.

Elie Courboulay, correspondant pour Ouest-France à Baltimore (États-Unis), confirme : « Le traitement de l’actualité internationale en PQR, c’est réussir à aborder les incontournables et, en même temps, parler de choses que les gens ne liront pas ailleurs. C’est l’objectif des correspondants. »

Parfois, les rédactions envoient même des journalistes à l’étranger à l’occasion de grands événements. À La Nouvelle République, ce format remonte au Brexit, en 2016. Pour les DNA, c’est plus récent : « Nous avons couvert les obsèques du prince Philip à Londres et l’élection américaine. Deux ou trois journalistes du BIG ont l’habitude d’aller à l’étranger », détaille Frédéric Vézard

À Ouest-France, les reportages à l’étranger se multiplient : Samuel Nohra, journaliste à la rédaction de Rennes, s’est rendu au Liban à la suite des explosions d’août 2020. Patrick Angevin, du service monde, a été envoyé en Allemagne afin de réaliser un dossier sur les réfugiés syriens, en février 2021. Au printemps de la même année, Philippe Chapleau, également journaliste au service monde, s’est envolé pour l’Estonie pour un reportage sur les questions de défense.

Envoyer sur place des spécialistes permet de ne pas se contenter d’une vision stéréotypée sur l’actualité internationale. Une vision rétrécie que critique la chercheuse Maria Holubowizc : « Stéréotypé ne veut pas dire que c’est faux : ça veut dire simpliste. C’est ce qui a été dénoncé pour l’Afrique où nous ne parlons que de famine et de guerre. »

Pour pallier l’absence de professionnels sur le terrain, les journalistes de La Nouvelle République s’appuient sur des témoignages de locaux. Ces différents acteurs permettent de décentrer le regard et de donner à voir la réalité de terrain. « Pour parler du déconfinement en Israël, j’ai eu une journaliste sur place et j’ai contacté l’ambassade. Cela donne du vivant et du réel », explique le responsable adjoint du service IG.

« Parmi nos lecteurs, nous avons beaucoup de travailleurs transfrontaliers »

Frédéric Vézard

Même quand il s’agit de rapporter l’actualité internationale en PQR, le critère de la proximité géographique entre en jeu. C’est ce que soulignent les chercheurs Laurent Beauguitte, Marta Severo et Hugues Pecout : « Si l’on se fie à la loi empirique et journalistique du « mort-kilomètre » (plus un événement est lointain, plus il doit être meurtrier pour intéresser le lectorat, NDLR), les médias favoriseraient ce qui se déroule à proximité de leurs lecteurs. » L’effet de voisinage entre alors en ligne de compte. 

Une théorie confirmée par Frédéric Vézard : « Le groupe Ebra est frontalier avec la Suisse, l’Allemagne, le Luxembourg, la Belgique et l’Italie. Nous sommes attentifs à ces pays que nous traitons de manière un peu plus systématique. Car dans nos lecteurs, nous avons beaucoup de travailleurs transfrontaliers. »

À l’inverse, cette spécificité n’est pas envisageable pour La Nouvelle République. Olivier Pirot affirme : « Avec Centre-France, nous sommes le seul gros groupe de presse à ne pas avoir de frontières avec l’étranger. »

Le poids des histoires locales

L’identité d’un journal et sa volonté de traiter l’international peut être chamboulée par le poids du groupe de presse auquel il appartient. Le sociologue Jean-Marie Charon constate : « Les contextes locaux au sein d’un même groupe sont importants. Ebra a regroupé des titres qui renvoient à des identités régionales très fortes. L’international vu d’Alsace et l’international vu de Lorraine, ce n’est pas la même chose. »

Les DNA ont rejoint le groupe Ebra en 2012. Une mutualisation qui n’est pas sans conséquence sur le traitement de l’international. « La place de cette actualité a un peu diminué dans nos pages. Aux DNA, il y a toujours eu de l’information internationale. Et pour cause, le journal est d’abord paru en allemand car l’Alsace appartenait alors à l’empire germanique. Mais cette tradition internationale n’est pas partagée par les autres journaux du groupe », confirme Frédéric Vézard.

La localité strasbourgeoise permet aux journalistes de continuer à réaliser des reportages en Allemagne ou relatifs aux affaires européennes pour ses propres pages. Une manière, pour lui, de conserver son identité propre.

« Nous ne payons pas un réseau de plus de 50 correspondants dans le monde et un service de 6 journalistes à temps plein juste pour bâtonner des dépêches »

Alexandra Turcat

Jean-Marie Charon souligne également une hétérogénéité plus forte entre les quotidiens régionaux, depuis les années quatre-vingt-dix. Les appréciations entre propriétaires divergent : « Un groupe comme Rossel (La Voix du Nord, Courrier Picard, Nord Eclair, Nord Littoral, L’Union, L’Est éclair, Libération Champagne, NDLR), à cheval sur la frontière, peut avoir une autre appréhension de la question de l’international que des titres qui vont avoir un ancrage historiquement plus local, comme La Dépêche ou La Montagne. »  

En plus de la ligne éditoriale du journal, l’aspect économique régit l’importance donnée ou non au traitement de l’actualité internationale. À Ouest-France, les productions originales sont encouragées et valorisées. Alexandra Turcat, la responsable du service monde, insiste : « Nous ne payons pas un réseau de plus de 50 correspondants dans le monde et un service de 6 journalistes à temps plein juste pour bâtonner des dépêches. Ce n’est pas ça un service international. »

Un difficile équilibre entre les actualités locales et internationales

À ce modèle économique vient s’ajouter l’importance du lectorat. François-Xavier Lefranc, le rédacteur en chef, précise : « Sur la plateforme numérique du journal, 70 % de l’audience se fait hors de l’Ouest. » Ouest-France s’adresse de plus en plus à des lecteurs étrangers au territoire de diffusion. Et ce qu’ils viennent chercher, ce sont des informations de qualité relatives à l’actualité internationale.

Mais tous les journaux de PQR ne disposent pas de moyens humains et économiques équivalents. À titre d’exemple, « en raison des ressources financières, le service des IG est passé, en dix ans, de 17 à 6 personnes », précise Olivier Pirot de La Nouvelle République. Car rendre compte de ce qui se passe hors Hexagone demande de lourds investissements économiques. Le coût de production élevé du traitement de l’actualité internationale et l’attention répétée donnée aux mêmes État s’entraînent une « uniformisation de l’information observable à l’échelle mondiale », selon les chercheurs Laurent Beauguitte, Marta Severo et Hugues Pecout. Alors, certaines rédactions préfèrent consacrer leurs moyens et leurs effectifs au traitement de l’actualité locale. Car l’information de proximité reste le principal fond de commerce des journaux de PQR. Comme le souligne Frédéric Vézard, le rédacteur en chef des DNA :  

Les journaux de PQR s’accordent à dire que le traitement de l’actualité internationale est essentiel pour comprendre et analyser le monde dans lequel le lecteur vit. Pourtant, les ressources humaines et économiques viennent à manquer. Résultat : le nombre de pages consacrées à l’international dans le journal diminue. Seul Ouest-France entend encore s’appuyer sur cette thématique. Comme l’assure François-Xavier Lefranc, son rédacteur en chef : «  L’international est un levier de développement aussi important que l’information locale ou l’information sportive. »

Pour aller plus loin…

Marie Désévédavy

@mariedsvy
24 ans

Journaliste à Ouest-France.

Diplômée de l’Ecole publique de journalisme de Tours, cette enquête est son travail final pour l’école.
A effectué sa deuxième année en alternance à Ouest-France.
Passionnée par l’Amérique latine, les thématiques migratoires, sociétales et internationales.
Passée par Irish Daily Mirror et La Nouvelle République du Centre-Ouest.