Les naturistes sans droits ni loi
Photo : Régis Duvineau
La France est la première destination mondiale pour le naturisme. Pourtant, croiser un adepte de la tenue d’Adam en liberté dans l’espace public relève de l’inconcevable. La raison ? La loi française associe la nudité à l’exhibition sexuelle. Certains n’hésitent pas à enfreindre les règles et prennent le risque d’être condamnés. En septembre 2016, la proposition de créer un espace ouvert aux naturistes en plein cœur de Paris a ranimé de vieilles polémiques sur la nudité.
Par Bastien Bougeard, Hugo Noirtault et Léna Soudre
Le 26 septembre, le vœu proposé par les écologistes pour l’ouverture d’un espace mixte pour naturistes et personnes habillées a été accepté au conseil de paris. Le projet représente un vrai espoir pour ceux qui souhaitent vivre nus hors des campings ou des plages. Cette décision suscite l’émoi. Des craintes qui témoignent de blocages à propos de la nudité.
Le naturisme incompris
Des naturistes sur une plage allemande au XXe siècle. Photo : Settnik, Bernd.
La nouvelle n’a pas échappé pas à la presse. « […] Une faute de la mairie plus lourde et plus sérieuse qu’il n’y paraît » pour Le Journal du dimanche, « […] Est-ce une bonne idée ? » s’interroge Libération et carrément « Un camp naturiste verra bientôt le jour à Paris » pour Le Figaro. La décision a monopolisé un temps l’espace médiatique. Pourtant, pour l’instant, « le projet est encore embryonnaire » si on en croit David Belliard, co-président du groupe écologiste à la mairie de Paris et coordinateur du projet.
La polémique indigne Jérôme Gleizes, conseiller écologiste à la mairie de Paris : « Pour moi, il faut faire retomber la pression. Ce n’est pas nouveau. Il y a tout un débat autour de la nudité qui n’a pas lieu d’être. Les naturistes ne font pas une fixation sur le corps des autres ou le leur. Il s’agit d’être en harmonie avec la nature et de se départir de toute connotation sexuelle. » Le naturisme se définit d’ailleurs, depuis le Congrès international du naturisme au Cap d’Agde en 1974, comme « une manière de vivre en harmonie avec la nature […] caractérisée par une pratique de la nudité en commun qui a pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et celui de l’environnement ».
Début septembre 2016, vous les avez peut-être croisés à la Fête de L’Humanité. Invités pour la première fois, ils en ont profité pour faire découvrir leur mode de vie. Une réussite à en croire Yves Leclerc, vice-président de la Fédération française de naturisme : « À notre grande surprise, les organisateurs et les passants ont été très chaleureux. Certains se sont même spontanément déshabillés dans notre stand.
Ces initiatives ne sortent pas de nulle part. Les adeptes du naturisme sont plus de 2,6 millions en France. Il faut dire qu’ils ont l’embarras du choix. L’Hexagone compte plus de 460 espaces : des plages, des campings, des gîtes et des centres de vacances. Certaines rares piscines proposent même des créneaux naturistes, à l’image du complexe Roger-le-Gall à Paris.
Le naturisme a toujours intrigué. Vous-mêmes, vous ne lisez pas cette enquête par hasard. Les reportages se multiplient sur nos écrans. Mais cette surmédiatisation est, en fait, à double tranchant. « Chaque année, une certaine presse écrite et quelques chaînes de télévision annoncent, avec force publicité, la divulgation de reportages “exclusifs” sur les pratiques étranges des “naturistes” […] Un même sujet est chaque année de retour : les naturistes/échangistes du Cap d’Agde », dénonce Marc Bordigoni, anthropologue à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative, dans son livre Les Naturistes. Certaines émissions – aussi rares sont-elles – informent et tentent de présenter le sujet sous un prisme sérieux. La plupart préfère rendre le sujet sensationnel, annoncer des conditions de tournage difficile et ainsi faire de l’audience.
De plus, même si les naturistes trouvent beaucoup d’espaces en France, ils restent confinés, à l’écart de l’espace public. Ils doivent se limiter à des centres, des campings ou des plages. Jacques Frimon, vice-président de l’Association pour la promotion du naturisme en liberté (Apnel) souhaite sortir des camps : « Nous voulons éviter ce côté communautaire qui nous a été imposé. Nous sommes la dernière population en France à devoir nous enfermer. » En ce sens, le projet parisien est une aubaine. Parce que vivre naturiste représente un budget. « Tout le monde n’a pas les moyens d’aller dans des centres naturistes », poursuit Jacques Frimon.
Depuis une décennie, certains militent pour que la nudité soit considérée comme un droit fondamental. Ces revendications ont donné naissance à l’Apnel. Cette association se bat aussi pour une dépénalisation de la nudité dans l’espace public.
Les naturistes ne sont pas obsédés par la sexualité
La jeunesse de Bacchus, du peintre William Bouguereau (1884).
Se dévêtir en public, en dehors des zones réservées, n’est pas sans risque. La loi punit sévèrement ceux qui oseraient braver son interdit car, pour elle, il s’agit là, ni plus ni moins, d’exhibition sexuelle. L’article 222-32 du Code pénal est sans ambiguïté : « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » À ce prix-là, autant s’offrir de belles vacances dans un camping dédié à la pratique… Si pour les principaux concernés, exhibition sexuelle et naturisme n’ont rien à voir, une grande partie de nos compatriotes, et notamment les législateurs, ont du mal à dissocier sexualité et nudité. D’ailleurs, Woody Allen ne disait-il pas : « On n’a jamais vu un aveugle dans un camp naturiste ? »
Heureusement pour eux, la circulaire du 14 mai 1993 écarte « toute possibilité de poursuite à l’encontre de personnes se livrant au naturisme dans des lieux spécialement aménagés à cet effet ». Voilà pourquoi certains campings peuvent accueillir des naturistes. Concernant l’espace public, comme les plages, ce sont les arrêtés municipaux qui l’autorisent. Mais si un naturiste est aperçu hors des lieux prévus, la situation peut vite s’envenimer. Ce qui n’empêche pas certains de s’aventurer, seuls et nus, dans des forêts par exemple.
En 2005, Bernard* est en cure médicale dans le Sud-Ouest. Depuis qu’il a épousé le mode de vie naturiste, ce quinquagénaire se débarrasse dès qu’il peut de ses vêtements. Un après-midi, il décide de partir nu en forêt. Sa promenade se passe sans encombre, jusqu’à ce que des promeneurs l’aperçoivent. Bernard s’empresse d’enfiler un short. Mais, choqués, les passants rebroussent chemin, sourds aux explications que tente de fournir le malheureux Bernard.
Ils relèvent le numéro de sa plaque d’immatriculation et préviennent la police. Bernard n’a pas le temps de quitter la forêt qu’il est interpellé par les forces de l’ordre. « Pour eux, c’était de l’exhibition sexuelle, explique-t-il. C’était la première fois de ma vie que je me faisais arrêter. » Son ami, Jacques Frimon le sort de cette situation grâce à un coup de fil passé au commissariat. Bernard ne reçoit qu’un simple rappel à la loi.
Cette mésaventure ne l’empêche pas de réitérer l’expérience l’année suivante dans la forêt de Marcoussis, en Île-de-France. Cette fois-ci, un garde-chasse le surprend. « J’ai été traité comme un obsédé sexuel », dénonce-t-il. Convoqué au commissariat, il signe une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), qu’on appelle aussi « plaider-coupable ».
Il échappe ainsi au procès mais se retrouve tout de même fiché dans la base de données des forces de police. En clair, un naturiste verbalisé dans l’espace public a deux options : signer une CRPC et ainsi reconnaître l’exhibition sexuelle ou porter son affaire devant les tribunaux. Deux solutions qu’ils jugent insatisfaisantes.
En 2006, un certain Christian se rend à une randonnée naturiste avec une équipe de journalistes de l’émission « Toute une histoire ». En chemin ils s’arrêtent au drive d’un MacDo. La caissière se rend compte que Christian est nu. Elle s’absente en prétextant qu’elle doit cuire des steaks et appelle la police. Christian est placé en garde à vue, accusé d’exhibition sexuelle. Il quitte le commissariat dans la soirée libre. L’Apnel naît de cette anecdote. Caricature : Hugo Noirtault/EPJT
Pour les naturistes, il est donc urgent de faire une distinction entre nudité et sexualité. Oui, mais comment faire quand la confusion est savamment entretenue ? L’exemple d’une partie du Cap d’Agde est édifiant. Depuis une trentaine d’années, on y pratique une sexualité pour le moins débridée, collective et échangiste. Et surtout, on vit nu ! Ce qui ne manque pas de renforcer les idées reçues sur le naturisme. Pour Sylvie Fasol, présidente de l’Apnel, « naturistes et libertins sont deux communautés opposées. L’une pratique la simple nudité. L’autre pratique la nudité avec connotations sexuelles ».
Marc Bordigoni, dans Les Naturistes, rappelle que « ce phénomène [la confusion entre libertinage et naturisme, NDLR] est unique en France en tout cas […] ». Contacté par nos soins, ni le village naturiste du Cap d’Agde ni la municipalité n’ont souhaité répondre à nos questions. Par ailleurs, le site Internet etre-naturiste.com, bien référencé, était initialement un forum de discussion. Il est progressivement devenu un site de rencontre pour naturistes. Les messages à caractère sexuel y sont nombreux. Et bien que ces échanges ne concernent pas tous les usagers du site, ils contribuent à la stigmatisation de la communauté naturiste.
En 2013, un naturiste se rebelle. Il refuse de signer la CRPC. Il comparaît alors devant le tribunal de Périgueux. Son histoire rappelle beaucoup celle de Bernard. Alors qu’il se promenait seul et nu en forêt, Alain croise un groupe de promeneurs. Prenant peur, il tente de se cacher pour éviter une querelle. Tenant compte de ces éléments, le tribunal l’acquitte. Désireux de « régler une bonne fois pour toute la question de l’exhibition sexuelle », son avocat, Me Tewfik Bouzenoune, dépose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Une demande dont le tribunal ne tiendra pas compte. En somme, le problème n’est toujours pas réglé.
La France à la traîne de ses voisins
La jeunesse de Bacchus, du peintre William Bouguereau (1884).
Les naturistes français brandissent sans cesse l’argument du retard de l’Hexagone par rapport à l’Europe alors que la plupart des législations sont tout autant ambigües. À vrai dire, peu de pays sont dotés d’une loi claire à ce sujet.
Ainsi, il est courant de voir sur les côtes de la péninsule ibérique des naturistes se promener sans être dérangés par les autorités. En 1995, l’Espagne abroge l’article de loi 431 qui sanctionne la nudité. Un vide juridique se crée qui permet au naturisme de se développer. « En France non plus, le terme “nudité” n’est pas inscrit dans la loi, s’insurge Sylvie Fasol. Mais ici les gens ont tendance à penser que ce qui n’est pas écrit dans la loi est interdit. » En réalité, on laisse la libre interprétation aux juges.
En Allemagne, autre terre promise des naturistes, le nu est banal. Dans son ouvrage Les Espaces du naturisme : modèle allemand et exception française ?, Emmanuel Jaurand, docteur en géographie, explique qu’il est courant, le midi, de voir des personnes se reposer dans le plus simple appareil sur les bords d’un fleuve ou dans des jardins publics.
« Textiles » et naturistes se côtoient sans heurts bien que des garde-fous existent : personne ne peut prendre le métro ni faire ses courses nu par exemple. La mairie de Munich a autorisé, en 2014, le nudisme dans six endroits de la ville, dont l’Englischer Garten, l’un de ses plus grands parcs. La pratique en lieu public n’est pas neuve. Dès le début du XXe siècle, les naturistes investissaient déjà les espaces verts allemands. Les naturistes français rêvent d’une telle situation.
Et si, finalement, le paradis sur terre se situait dans le grand nord ? C’est en Norvège que le naturisme se pratique le plus librement. L’exhibition sexuelle y est sanctionnée, comme en France. Mais la loi définit explicitement différents types de nudité, distinguant naturisme et exhibitionnisme.
Leendert Combee, membre de l’association norvégienne de naturisme, explique : « Nous pouvons nous balader ou nager nus, tant que nous n’offensons pas d’autres personnes. La règle est très simple : la première personne qui arrive définit la tenue à porter. Donc si un naturiste s’installe en premier dans un lieu public, comme une forêt, où il n’y a pas de législation particulière, il peut instaurer la nudité et être rejoint par d’autres. »
La législation octroie aux naturistes norvégiens plus de droits qu’ailleurs. La Norvège étant un grand pays peu peuplé, (385 199 kilomètres carrés pour 5 236 826 habitants), les espaces pour se promener en costume d’Adam – ou d’Eve – sans risquer de déranger sont plus nombreux qu’ailleurs en Europe. Une liberté dont ils ne profiteraient pas pleinement puisque beaucoup privilégient les lieux dédiés, comme les plages et les centres de vacances. Seule ombre au tableau : la météo. Les températures ne sont guère propices à ce mode de vie, même en été où la moyenne atteint à peine à 14 °C.
Malheureusement, pas sûr que la législation française prenne exemple sur ces pays. Pas sûr non plus que les Parisiens acceptent la création d’une aire naturiste au cœur de la ville. Pour ceux qui aiment les balades in naturalibus, mieux vaut réfléchir avant de se dévêtir.
(*) Le prénom a été changé.