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Les loisirs résistent à la crise

L’activité physique favorise le bien être des seniors. Photo libre de droit

Depuis le 1er janvier 2017, les Ehpad sont soumis à une nouvelle tarification. Cette réforme provoque de vives inquiétudes sur les engagements, notamment à propos des activités sportives et cognitives, mises en place pour aider les résidents.

Par Jeanne HELOUIS et Lena PLUMER-CHABOT

Le but, ce n’est pas de vous apprendre à faire des mouvements, mais de vous réapprendre », explique Willy Thomas aux seniors qu’il encadre. Éducateur sportif au Mans, il intervient dans cinq Ehpad (établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes) de la Sarthe.

Par petits groupes, les résidents travaillent surtout les membres inférieurs. « Les jambes sont la priorité : pouvoir s’asseoir, se lever, c’est très important. » Le sport fait aussi travailler le cerveau : l’éducateur se concentre sur la mémorisation des mouvements en musique pour stimuler la coordination.

Marie-Dominique Lamé, animatrice à l’Ehpad Monconseil de Tours-Nord, recourt aussi à des ateliers cognitifs pour se battre contre l’Alzheimer : « Cette maladie qui est comme le sable d’une dune qui s’envole sur un coup de vent et ne revient jamais. »

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A la retraite, les personnes qui pratiquaient un sport avant deviennent plus assidues.

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En janvier dernier, les personnels des Ehpad ont manifesté pour protester contre la réforme de financement du gouvernement. Le système de financement des Ehpad repose sur trois sources :

Le budget « soins », pris en charge intégralement par l’Assurance maladie. Il permet de financer le personnel soignant et les équipements médicaux.

Le deuxième budget « dépendance » est assuré par le conseil départemental, l’association régionale de santé (ARS) et les résidents. Il comprend les prestations d’aide et de surveillance des personnes âgées en perte d’autonomie.

Enfin, le dernier budget est alloué à l’hébergement et couvre les dépenses liées à l’hôtellerie, la restauration, les animations, etc. Il est intégralement à la charge du résident qui peut être soutenu par des aides publiques selon sa situation financière.

Une réforme tarifaire qui divise

Les décrets de la réforme visent à réunir, d’ici 2023, les budgets des Ephad publics (43 % des établissements) avec les budgets des établissements privés à but non lucratif. Cette union concerne les enveloppes « soins » et « dépendance ».

La réforme propose un nouveau mode de calcul qui devrait faire gagner près de 400 millions d’euros aux établissements les moins biens dotés. La majorité de ces gains bénéficieraient au secteur privé. Les opposants dénoncent un nivellement par le bas. Pour les perdants, la Fédération hospitalière de France (FHF) estime que la réforme fera perdre 200 millions d’euros en sept ans aux établissements publics, les obligeant ainsi à réduire leur personnel.

À Tours-Nord, dans l’Ehpad public Monconseil, Marie-Dominique Lamé est satisfaite des moyens dont elle dispose actuellement pour les loisirs. Si son budget n’a pas diminué ces trois dernières années, il n’a pas augmenté non plus. Elle souhaiterait que les kinés, qui n’interviennent que sur demande des résidents, soient intégrés au sein des Ehpad : « Les résidents ont besoin qu’on leur fasse monter un escalier deux fois par jour pour garder de l’autonomie. » Avec la réforme, elle craint que le personnel soignant diminue ainsi que le budget loisirs.

Car ce budget, ce n’est pas seulement de la distraction. Certes, les loisirs proposés apportent de la gaîté mais ils jouent aussi un rôle dans la prévention des maladies. Pour Marie-Dominique Lamé, l’intérêt premier des animations est d’apporter de la sympathie, mais aussi de permettre aux résidents de « garder le plus longtemps possible leurs acquis, qu’ils soient physiques ou psychiques ».

Des activités physiques bénéfiques

Longtemps Jean-Luc Murciani, médecin gériatre à Yvré-L’Évêque (Sarthe), a regretté l’absence d’activité physique : « A cette époque, les résidents faisaient lit-fauteuil, fauteuil-lit toute la journée. Ils étaient toujours assis ou couchés. Les déambulations se limitaient aux allers-retours entre la salle à manger et la chambre. » Cet immobilisme entraînait une dégradation des membres inférieurs, une démarche de plus en plus instable et des chutes régulières.

Et puis, en 2014, l’Ehpad fait appel à Willy Thomas. Celui-ci met en place de nombreuses activités physiques adaptées aux résidents. Pour le médecin, le constat est là : une nette amélioration de leur état. L’autonomie retrouvée des résidents qui soulage aussi le travail des soignants.

« L’activité physique crée une bonne ambiance avec des challenges, avec de l’émulation, des fous rire, le tutoiement… »

Jean-Luc Murciani

Les activités physiques ne sont pas toujours faciles à mettre en place. Dorian, éducateur au comité départemental de sport adapté, explique qu’il a dû « dédramatiser » son rôle et gagner la confiance de son public. Ce travail a porté ses fruits et les résidents des Ehpad ont été eux-mêmes surpris par leurs performances.

Dans l’Ehpad dirigé par Audrey Leroux à Montfort-le-Gesnois (Sarthe), la mise en place d’ateliers sportifs a pu gêner un peu l’équipe au début, surtout pour les questions logistiques. La structure bénéficie de deux créneaux consécutifs d’une heure : comment installer les résidents, leur offrir le même temps, gérer le changement de groupe ? Finalement, avec l’aide de l’éducateur, tout s’est très bien passé.

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La marche de loisirs est la principale activité physique des Français de 50 ans et plus : 62 % des seniors déclarent la pratiquer.

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Ces ateliers sont souvent appréciés des résidents. Jean-Luc Murciani explique que, généralement, les patients connaissent leur voisin de table mais que la communication reste difficile. « Ils sont malentendants, ils sont malvoyants, ils ont des troubles cognitifs donc ils ont du mal à faire connaissance. » Un constat qui change radicalement avec la pratique du sport : « L’activité physique crée une bonne ambiance avec des challenges, avec de l’émulation, des fous rire, le tutoiement… Ils s’interpellent par leur prénom maintenant ».

Beaucoup de résidents ont plus confiance en eux, davantage d’équilibre et d’autonomie. Willy Thomas partage ces observations : « Ça leur permet vraiment de redécouvrir leur corps et de connaître leur potentiel ». Ce bilan est nuancé par Marie-Dominique Lamé : « Le seul retour que j’ai de leur part, c’est leur participation. Ils ne verbalisent pas tellement d’eux-mêmes leur avis sur ces ateliers. Si je vois que les patients reviennent d’une fois sur l’autre, alors je sais que ça leur a plu. »

Ces séances ne sont donc pas un luxe. Plutôt une nécessité, que remet en cause la réforme de l’Ehpad. Jean-Luc Murciani conclut : « L’Ehpad, ce n‘est pas un centre de remise en forme ni un club Med. Mais ce n’est pas non plus un mouroir. »