Les étudiants dans la rue

Étudiants et personnels de l’Espé de Paris ont manifesté le jeudi 22 mars 2018 aux côtés des fonctionnaires. L’objectif était de défendre leur vision du service public et de protester contre la réforme annoncée des Espé.

Par Alice BLAIN et Ariel GUEZ (texte et photos)

Devant le site de l’Éspé des Batignolles, on troue les banderoles pour qu’elles résistent mieux au vent. On teste le mégaphone. En ce jeudi 22 mars, une trentaine d’étudiants de l’École supérieure du professorat et de l’éducation (Espé) s’est réunie dans la cour du site l’école parisienne pour rejoindre la grande manifestation des fonctionnaires.

« On est là pour défendre le service public… Ils essayent de monter les gens les uns contre les autres alors que tout le monde est concerné », explique Antoine, la quarantaine, professeur en sciences et vie de la terre à l’Espé, encarté CGT. À ses côtés, Aude, brunette de 23 ans et étudiante en Master Meef (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) documentaliste, affirme « être aussi là en tant que citoyenne».

Si le groupe, composé d’étudiants, de professeurs et de membres du personnel, défile avec d’autres secteurs de la fonction publique, on comprend vite, grâce aux tracts affichés sur les murs du site des Batignolles, qu’il a ses propres raisons de manifester : la réforme des Espé.

La réforme dans toutes les têtes

Ils n’en savent pas grand-chose rappelle Antoine : « On n’a pas du tout la main, c’est le ministère tout seul qui gère dans son coin. On n’a quasi aucune information. » Celles relayées par le communiqué de la CGT-FERC sur le site d’information l’Étudiant.fr ne les enchantent pas.

L’alternance débuterait dès la première année de master. Or tous les étudiants l’admettent : aucun d’entre eux n’aurait pu être capable de travailler dans une classe entre 20 ou 30 élèves sans un minimum de formation théorique auparavant. « En début de M1 les étudiants n’auront aucune base et ce sont les élèves qui pourraient pâtir des erreurs qui seront commises » explique Aude.

C’est toute la nouvelle organisation de la première année de formation pourrait, selon eux, pénaliser les écoliers. Ils s’inquiètent de la capacité de jeunes enseignants-stagiaires à assurer le suivi d’élèves s’ils ne les voient qu’un tiers du temps. Néanmoins, personne, dans le cortège, ne remet en cause le système d’alternance actuellement en place en M2 sous la forme de mi-temps. Il est bénéfique à leur formation. Ludovic, jeune professeur des écoles de 24 ans à Paris, avoue que, cette année, il s’épanouit davantage avec ses élèves de CE1 que pendant ses cours de l’Espé.

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Les étudiants de l'Espé parisienne ont rejoint la manifestation des fonctionnaires à Bercy.

Alice Blain et Ariel Guez / EPJT

Outre les critiques vis-à-vis de la mise en place de l’alternance en début de master et la modification du calendrier de la formation sur deux ans, les étudiants s’opposent à la mise en place d’un concours d’admissibilité à l’Espé, à l’issue des trois années de licence. Car, pour financer deux ans d’alternance sans augmenter le budget, le ministère de l’Éducation nationale voudrait donner aux étudiants-stagiaires un statut contractuel et un salaire moindre.

Cette mesure pourrait entraîner une perte de diversité dans les profils sociologiques des enseignants, souligne Etienne, qui s’est réorienté après un an d’études de médecine puis d’Histoire. Il explique que « beaucoup d’étudiants en reconversion professionnelle ou issus de milieux populaires ne pourraient pas vivre avec ce statut pendant les deux ans de leur formation ».

« Certaines zones géographiques manquent cruellement d’enseignants »

Le calendrier de la formation changerait lui aussi. Les enseignants-stagiaires assureraient un tiers temps dès la première année, puis en deuxième année un mi-temps au rythme actuel : deux jours et demi à l’Espé puis deux jours et demi en classe devant leurs élèves. Testée actuellement dans cinq académies, la généralisation de cette mesure n’est qu’une « solution acrobatique » pour certains anciens étudiants de l’Espé de Grenoble. On risque « d’envoyer au casse-pipe des gamins de 20 ans» affirme Jean.

Par ailleurs, une diminution du nombre de places au concours s’annonce. Une baisse de 10 % pour les professeurs des écoles et de 20 % pour les professeurs et conseillers principaux d’éducation dans les collèges et lycées. Une mesure qui fera débat si elle est appliquée, de nombreuses académies manquant actuellement d’enseignants.

Le ministère de l’Education nationale a beau avoir démenti auprès de la CFDT les informations révélées par la CGT-FERC, il a confirmé la préparation d’une réforme et les propos de M. Blanquer ces dernières semaines vont dans le sens des révélations de la CGT au début de l’année. Après le nouveau baccalauréat et la mise en place de Parcoursup, qui a fait grincer des dents tout l’été étudiants et parents, les Espé seront donc certainement le prochain gros chantier du côté de la rue de Grenelle.