Les dessous des médecines douces
Photos EPJT
La défiance envers l’allopathie et ses médicaments a ouvert un boulevard aux médecines alternatives. Ces dernières proposent une autre façon de se soigner qui se veut plus respectueuse de l’être humain. Mais que ce soit pour les rendez-vous ou les remèdes à acheter, elles ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Si la tendance du naturel est très forte, ce succès en fait immanquablement un business. Et poussée à l’extrême, elle peut faire prendre de réels risques aux patients.
Par Thomas Neumann, Charlène Torres et Emilie Veyssié
Le Dr Hadjadj est formel : « Il y a un lobbying et un marketing énorme autour des remèdes naturels. » Le constat de ce médecin ostéopathe ne fait que confirmer ce que chacun peut constater : le marché des remèdes de médecines douces (médicaments à base de plantes, huiles essentielles et compléments alimentaires) connaît un boom sans précédent. « Cela se vend car les gens ont besoin de croyances médicales », poursuit le Dr Hadjadj.
Un besoin renforcé par une défiance de la médecine allopathique, celle que nous connaissons tous. Quand, début 2017, la revue médicale indépendante Prescrire publie une liste de 91 médicaments à risque, elle encourage immanquablement la tendance du naturel. Phytothérapie (remèdes à base de plantes), aromathérapie (huiles essentielles) alimentent les conversations et les caisses des laboratoires. Quant aux compléments alimentaires ou aux extraits de plantes fraîches standardisées (EPS), ils sont de plus en plus prescrits par les médecins.
Les dessous des médecines douces
A lui seul, le marché des produits de phytothérapie représente plus de 852 millions d’euros.
Dans les rayons des pharmacies, la place des huiles essentielles et surtout des compléments alimentaires, bio ou pas, progresse. De jeunes diplômés spécialisés sont mêmes engagés pour conseiller les clients. C’est le cas de Priscille Fauvarque, pharmacienne et diplômée en phyto-aromathérapie, employée par la Pharmacie normale de Tours.
Ces remèdes naturels ne sont pas forcément utilisés en première intention. En général, ils permettent de soigner les petits maux du quotidien : on prend des extraits de pépins de pamplemousse pour augmenter ses défenses immunitaires, on applique quelques gouttes d’huile essentielle de menthe poivrée sur les tempes quand on a mal à la tête ou bien on boit un mélange EPS de deux plantes, cassis et plantains, pour lutter contre les allergies.
Souvent chers, ces remèdes se vendent pourtant comme des petits pains. La tendance, plus forte que le pouvoir d’achat ? Selon Jacques Fleurentin, pharmacien et président de la Société française d’ethnopharmacologie, « les gens ont pris conscience que la qualité des soins est primordiale ». C’est un vrai choix que de se soigner au moins en partie avec ces remèdes qui ne sont pas tous remboursés par la Sécurité sociale. Leurs prix dépassent bien souvent la dizaine d’euros : comptez entre 15 et 20 euros pour une boîte de compléments alimentaires de phytothérapie. Cela peut freiner ceux qui n’en ont pas les moyens.
Et il ne faut pas oublier non plus que certaines médecines douces n’ont pas encore jamais prouvé leur efficacité. C’est le cas de la phytothérapie par exemple, malgré le succès qu’elle remporte.
Le marché est donc en pleine expansion. Pour ce qui est des compléments alimentaires de phytothérapie (donc uniquement à base de plantes), les ventes ont grimpé de 7 % entre 2014 et 2015 selon Synadiet, le Syndicat national des compléments alimentaires. La dernière étude sur le sujet réalisée par l’Anses en 2007 mettait déjà en lumière la forte progression du marché des compléments alimentaires. « C’est tout bénéfice pour les labos », indique un médecin homéopathe qui a souhaité rester anonyme.
Les laboratoires préfèrent, eux, parler de thérapeutique du futur. C’est ainsi qu’ils expliquent que leur nombre soient en forte augmentation ces dernières années. C’est notamment le cas de cette responsable de la communication au laboratoire Mediflor : « Les fabricants arrivent en grand nombre sur le marché du naturel car c’est une médecine d’avenir. »
Et de reconnaître à demi-mots que son entreprise profite, elle aussi de cette manne : « Nous avons surtout augmenté les ventes sur deux produits phares : Oropolis (à base de propolis pour les maux de gorge, NDLR) dont le chiffre d’affaires a triplé depuis 2008 et Prospan (sirop contre la toux à base de lierre grimpant, NDLR) dont les ventes ont doublé depuis 2008 ». Autre exemple, le laboratoire Epinum a augmenté sa production de produits contre le diabète, l’arthrose ou encore le stress de 27 % entre 2011 et 2014.
Sectes : la tempête n'est pas loin
A lui seul, le marché des produits de phytothérapie représente plus de 852 millions d’euros.
Un boom économique et un attrait sans réel conséquence lorsque le patient est suivi par un médecin. Mais la tendance vers le naturel peut devenir risquée dès lors qu’elle est poussée à l’extrême.
C’est le cas de la « biologie totale des être vivants », inventée par Claude Sabbah, ancien médecin radié de l’Ordre. Cette « thérapie » est censée soigner les maladies en résolvant les conflits psychologiques qui en seraient l’origine. Il convainc Claude Saksik, atteint d’un cancer, d’abandonner son traitement allopathique pour ne suivre que ses prescriptions. Le patient prend conscience du danger trop tard et admet, peu avant sa mort en 2007, avoir été « victime de ses croyances et de ces marchands d’illusion ». Sa femme avait cependant déposé plainte dès 2004, pour endoctrinement. L’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) s’est constituée partie civile.
Également poursuivi pour abus de faiblesse et homicide involontaire, Claude Sabbah ne comparaît finalement que pour publicité mensongère, la justice n’ayant pu étayer ces infractions. Il ne sera condamné qu’à deux ans de prison ferme et 30 000 euros d’amende.
Pour repérer les dérives sectaires, le juge prend appui sur une liste de critères comme « la déstabilisation mentale, la rupture avec l’environnement d’origine, le discours antisocial ».
Dans cette affaire, les signalements ont été nombreux mais « rares sont ceux qui osent déposer plainte », explique le président de l’ADFI Montpellier-Languedoc, Jean-François Ottan. Le manque de preuve et le fait que la victime soit consentante rendent la tâche de la justice compliquée. Même la loi ne définit pas la notion de secte au nom du respect de la laïcité. Elle se base sur différents textes de références qui permettent d’encadrer ce qu’elle nomme les dérives sectaires. Pour les repérer, le juge prend appui sur une liste de critères comme « la déstabilisation mentale, la rupture avec l’environnement d’origine, le discours antisocial ».
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) entend sensibiliser les Français contre ces phénomènes sectaires. En 2012, elle a édité et imprimé à 4 000 exemplaires un guide en collaboration avec le Conseil national de l’ordre des médecins : Santé et dérives sectaires. Il entend aider à repérer les situations de danger et donne des outils pour se défendre. Il est à destination des particuliers mais aussi des professionnels de santé.
Car, si on en croit la Miviludes, les mouvements à caractère sectaire se sont emparés du domaine de la santé ces dernières années. Sorte de porte d’entrée par laquelle ils peuvent utiliser la fragilité et la peur des familles pour les endoctriner. Le nombre de ces « dérapeutes », comme les appelle la Miviludes, continue d’augmenter.
Pour faire face à l’envahisseur, la Miviludes et d’autres organismes publics déploient tout un arsenal. En 2015, la Miviludes publie la liste noire de quarante pratiques médicales alternatives qu’elle considère comme dangereuses et susceptibles de dérives sectaires. On y retrouve des pratiques aussi curieuses que l’amaroli, qui prétend guérir le cancer par ingestion de sa propre urine, ou l’ozonothérapie, qui encourage à se soigner en suivant une cure d’ozone.
En coopération avec l’École des hautes études en santé publique (EHESP), la Miviludes a également mis en place une formation sobrement intitulée « Comment faire face aux dérives sectaires ». Les professionnels de la santé peuvent la suivre depuis février 2016. Au programme : comprendre le processus des manipulations mentales, identifier les victimes et savoir les accompagner. De nombreuses associations comme le Centre contre les manipulations mentales (CCMM) ou l’Association alerte faux souvenirs induits (AFSI) se proposent également d’aider les victimes.
Mais le problème est complexe car n’importe qui peut créer son centre de formation. Si ces derniers étaient évalués par des organismes indépendants, les dérives sectaires pourraient être limitées. Alors, à qui s’adresser ? Le plus simple et le plus sûr pour se protéger des risques, c’est encore de se fier aux diplômes reconnus par l’État et par l’Ordre des médecins. Et ne pas sombrer non plus dans la théorie du complot. Faire attention, en restant logique. « L’homéopathie n’a jamais soigné un cancer », rappelle Bernard Debré, chirurgien urologue.