Electro-hypersensiblité

Entre mythe et réalité
Le voile de métal porté par-dessus un chapeau permettrait d’isoler le cerveau des ondes. Elea Chevillard / EPJT

L’électro-hypersensibilité, maladie encore méconnue, concernerait près de 3 millions de Français. Pourtant, la communauté scientifique réfute l’existence d’une causalité entre les symptômes et les ondes électromagnétiques.

Par Eléa CHEVILLARD et Louis BOULAY

Des « réfugiées environnementales », exilées au nord de Tours pour fuir les ondes du centre-ville, c’est ainsi que se considèrent Nathalie* et Catherine*. Electro-hypersensible (EHS), le moindre déplacement dans un lieu exposé s’apparente, pour elles, à une expédition. C’est pourtant place Jean-Jaurès, en plein cœur de Tours, que les deux femmes nous ont donné rendez-vous. Oubliée la caricature d’individus vêtus d’aluminium : rien ne les distingue des autres clients du bar. Leurs protections, textiles en coton et fibres de métal, cachées sous leurs vêtements, sont beaucoup plus discrètes. Condition sine qua non pour les approcher ? Avoir éteint notre téléphone avant de les rencontrer.

Au quotidien, être EHS demande une organisation très particulière. Deux heures d’exposition nécessitent un repli chez elles d’au moins deux jours consécutifs pour récupérer. Chez Nathalie, un panneau Turn Off Cell Phone donne le ton dès l’entrée. Les règles sont claires : les téléphones doivent être éteints dans la maison. Pour mesurer son taux d’exposition, elle dispose d’un petit détecteur de hautes et basses fréquences.

Dans le salon, une couverture de survie isole un pan de mur qui, selon elle, se trouve dans le faisceau d’une antenne relais. Cette installation de fortune permettrait de limiter l’exposition de la pièce en bloquant les ondes. Les fenêtres sont protégées par des rideaux, doublés de métal. Pour la cuisine, exit micro-ondes et autres petit électroménager émetteur d’ondes, elle n’a gardé que le strict nécessaire. Les précautions s’étendent jusqu’à la garde-robe : on y trouve un tee-shirt tissé en mailles d’argent pour protéger le cœur et un couvre-chef s’apparentant à un voile d’apiculteur. Ces protections, coûteuses, seraient indispensables, notamment lors des longs et pénibles voyages en train.

« Je ne savais plus ni où j’allais ni qui j’étais »

Nathalie était régisseur dans l’évènementiel en région parisienne, un métier technique qui l’exposait aux ondes quotidiennement. En 2008, alors âgée de 34 ans, elle consulte car, depuis plusieurs mois, plusieurs symptômes troublent son quotidien : migraines, acouphènes aux deux oreilles, vertiges et douleurs articulaire.

Si, dans les premiers temps, elle associe son état de grande fatigue à de l’anxiété, elle ne tarde pas à consulter. Malgré les nombreux examens allant de l’IRM au scanner, son médecin ne parvient pas à poser un diagnostique.

Pourtant, rapidement, son état de santé se dégrade jusqu’à la rendre incapable de s’exprimer et d’écrire. Ses cheveux poivre et sel deviennent blancs. Elle avait l’habitude de se rendre au Monoprix, à seulement quelques mètres de son appartement. Mais extrêmement affaiblie, elle se souvient s’être perdue sur ce chemin qu’elle connaissait par cœur. « Je ne savais plus ni où j’allais ni qui j’étais », se remémore-t-elle.

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Leurs détecteurs de hautes et basses fréquences permettent aux deux femmes d'évaluer leur exposition aux ondes à tout moment.

Eléa Chevillard/EPJT

La prise de conscience est brutale : à moins de 40 ans, Nathalie présente des symptômes de la maladie d’Alzheimer. Alitée et désemparée, elle décide de lister ses symptômes sur un moteur de recherches dans l’espoir de trouver l’origine de ses maux. Elle se découvre alors potentiellement électro-hypersensible alors que son médecin la dirige vers un service psychiatrique.

Après cinq années de calvaire, Nathalie obtient un rendez-vous chez le seul spécialiste français de l’électro-hypersensibilité : le Pr Dominique Belpomme. En 2013, elle entame des soins palliatifs destinés à soulager ses symptômes.

Des soins palliatifs que Catherine a également suivi. Cette ancienne conseillère en gestion avait perdu plus de 10 kilos et souffrait de perte de mémoire et de repères : « Je prenais ma calculatrice pour faire 1+1. » Elle est déclarée souffrante d’un burn out et traitée avec des anxiolytiques.

Elle détaille les trois « phases » présumées de la pathologie. Durant la première phase dite d’induction, le corps accumulerait les ondes auxquelles il est exposé et aucun symptôme ne le trahit. La deuxième, dans laquelle se situent les deux femmes, serait la phase dite allergique où les effets physiques se déclarent. Le traitement permettrait alors aux malades de ne pas basculer dans la dernière phase.Celle-ci amènerait les EHS à une agonie lente et inévitable. Selon les deux femmes, au moins 3 millions de Français seraient concernés.

Le choix de la ville de refuge est primordial et difficile. Tours et son agglomération, qui serait encore « épargnées par les ondes », s’imposent comme un choix stratégique. Pour elles, impossible d’aller au cinéma, dans une salle de spectacle, dans certains parcs voire à l’hôpital puisque le wi-fi est partout. « Pour se protéger, il faudrait éviter tout ce qui fait la vie », déplore Nathalie.

Chacune décide de s’installer au nord de la ville et elles finissent par se rencontrer. C’est la maladie qui a soudé leur amitié : Nathalie a suggéré à Catherine d’aller consulter le Pr Belpomme quand elle s’est reconnu dans ses symptômes.

Se croire électro-hypersensible mène inéluctablement à l’exclusion. Sociale d’abord, puis professionnelle. Depuis la perte de son emploi il y a dix ans, Catherine n’a pas retrouvé de profession adaptable à ses besoins.

Si l’électro-hypersensibilité est entrée dans le dictionnaire, elle n’est pas reconnue comme une maladie. Pathologie méconnue des médecins eux-mêmes, elle est même récusée par nombre de scientifiques qui ne reconnaissent pas de lien entre les ondes et les symptômes. Même si ceux-ci sont réels. Ce qui n’empêche ps les collectifs d’EHS de militer pour une reconnaissance de leur statut et une formation complète des professionnels de santé censée permettre d’identifier la pathologie.

Conscientes du manque d’information de la population au sujet de leur maladie, les deux femmes rient volontiers des idées reçues qui circulent à son propos : « Les gens imaginent que l’on vit pieds nus dans la forêt avec une passoire sur la tête. » Elles espèrent voir le débat s’élever d’ici à une dizaine d’années, lorsque, selon elles, l’électro hypersensibilité sera tristement devenue une réalité incontournable doublée d’un problème de santé publique.

(*) Pour protéger l’anonymat des personnes, les prénoms ont été modifiés.

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